Beethoven par William Steinberg, l’intégrale oubliée 

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : intégrale des symphonies. Ouverture de Leonore III. Ella Lee, soprano ; Joanna Simon, mezzo-soprano ; Richard Kness, ténor ; Thomas Paul, basse. The Mendelssohn Choir of Pittsburgh. Pittsburgh Symphony Orchestra, William Steinberg. 1963-1966. Livret en anglais et allemand. 5 CD DGG. 483 8344. 

Dans le milieu des mélomanes frappés de collectionnisme beethovénien ou chez les historiens méticuleux de l’art de la direction d’orchestre, cette intégrale avait le statut de mythique car elle était réputée introuvable. Enregistrée dans les années 1960 pour le label Command Classics, les bandes originales auraient disparu dans les années 1970 lors d’une destruction des bandes de ce label. Rééditées au début des années 2010 par le label canadien XXI via un repiquage des LP, le coffret qui présentait un son médiocre battait des records de prix sur les sites de vente en ligne. Par quelques truchements inattendus et la redécouverte de copies des bandes d’origines, ce joli petit coffret a pu voir le jour ! Notons que seule la bande du dernier mouvement de la Symphonie n°9 n’a pas été retrouvé et la présente édition se base sur un vinyle. Il n’empêche, la restitution sonore et le remastering sont excellents et on peut apprécier la vitalité sonore et la puissance des dynamiques. 

Avant de parler de l'interprétation, il est bon de rappeler quel chef d’envergure était William Steinberg (1899-1976). Né Hans Wilhelm Steinberg à Cologne, il étudie avec Hermann Abendroth à Cologne avant d’être l’assistant d’Otto Klemperer. Il occupe des postes à Prague et Francfort, mais devant la montée du nazisme et l’avènement d’Hitler au poste de Chancelier, il quitte l’Allemagne pour la Palestine. En 1936, il est l’un des co-fondateurs de l’Orchestre Symphonique de Palestine, embryon de l’Orchestre Philharmonique d’Israël. En 1938, il part pour les USA pour assister Toscanini au NBC Symphony. En effet, le grand maestro apprécie les hautes qualités de ce musicien et la clarté de sa baguette. En 1945, il devient directeur musical de l’orchestre de Buffalo avant de devenir en 1956 celui du Pittsburgh Symphony Orchestra. Steinberg en sera le directeur musical jusqu’en 1976. Parmi ses hauts faits d’armes musicaux, notons son bref mandat comme chef du Boston Symphony Orchestra (1969-1972), règne abrégé par des raisons de santé. Mahlérien de la première heure, son répertoire était des plus larges, ce dont témoignent ses enregistrements avec le Pittsburgh Symphony Orchestra pour Capitol ou ses Strauss et Holst pour DGG avec le Boston Symphony Orchestra. 

Mais revenons à cette somme beethovenienne. Certes le style de direction est classique, à l’inverse de la récente réédition des symphonies par Hermann Scherchen qui présentait ce chef comme un démiurge visionnaire par son interrogation du texte. William Steinberg reste dans une conception traditionnelle mais dont les lignes de force sont l’allant dramatique et la lisibilité. Quel que soit le style de la symphonie, on apprécie la clarté des pupitres et l’équilibre racé de cette direction jamais brutale ou démonstrative. Là où certains chefs pouvaient se montrer cursifs mais peut-être un peu secs comme Toscanini ou Szell, ou pétaradants comme Bernstein, Steinberg ne perd jamais le sens du legato. Cette conception, d’une grande hauteur de vue, est appliquée dès les Symphonies n°1 et n°2 qui y gagnent en intensité dramaturgique. Les Symphonies n°3, n°5 et n°7, restituées avec un charisme communicatif mais toujours très contrôlé, sont des références. On pointe de la noirceur dans les Symphonies n°4, n°6 et n°8 particulièrement théâtrales avec des couleurs sombres. La Symphonie n°9 est l’apothéose attendue !  On admire dans tous les cas, la qualité d’un orchestre qui n’avait alors déjà rien à céder aux autres phalanges prestigieuses du Nouveau Monde. Rappelons tout de même que le prédécesseur de Steinberg à Pittsburgh était Fritz Reiner, bâtisseur d’orchestre sans concessions…

Cette somme inattendue et enfin restituée dans une qualité sonore superlative vient compléter notre connaissance de l’interprétation des symphonies. Certes, elle ne marquera pas autant l’Histoire que celle, révolutionnaire, de Scherchen, mais elle est un modèle dans une certaine conception de la direction et du style, et donc elle s’imposera comme un parangon auquel on reviendra.

Son : 10  Livret : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Pierre-Jean Tribot 

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