En DVD, deux opéras du Trittico de Puccini au Mai Florentin de 2019
Giacomo Puccini (1858-1924) : Suor Angelica, opéra en un acte. Maria José Siri (Suor Angelica), Anna Maria Chiuri (La Princesse), Marina Ogli (L’Abbesse). Chœur delle voci blanche ; Choeurs et Orchestre du Mai Musical Florentin. 2019. Livret en italien et en anglais. Sous-titres en italien, anglais, français, allemand, japonais et coréen. 60.00. Un DVD ou Blu Ray Dynamic 37873.
Giacomo Puccini (1858-1924) : Gianni Schicchi, opéra en un acte. Bruno de Simone (Gianni Schicchi), Francesca Longari (Lauretta), Anna Maria Chiuri (Zita), Dave Monaco (Rinuccio). Orchestre du Mai Musical Florentin, 2019. Livret en italien et en anglais. Sous-titres en italien, anglais, français, allemand, japonais et coréen. 54.00. Un DVD ou Blu Ray Dynamic 37874.
En novembre 2019, le Teatro del Maggio Musicale Fiorentino programmait en une soirée, comme il convient, les trois opéras en un acte qui constituent Il Trittico de Puccini, créé en 1918 au Metropolitan de New York. Le label Dynamic a opté pour une diffusion de ces spectacles en trois livraisons séparées ; il aurait été plus judicieux de présenter l’ensemble en un seul coffret. N’ayant pas reçu Il Tabarro, premier volet de la trilogie, nous nous limiterons aux deux suivants, Suor Angelica et Gianni Schicchi.
La mise en scène de l’ensemble, joué du 20 au 23 novembre 2019, a été confiée à Denis Krief qui s’est également chargé des décors et des lumières. Ce metteur en scène, qui s’est déjà fait connaître dans des partitions de Verdi, Bellini, Humperdinck ou dans Carmen de Bizet, a déplacé l’action du XVIIe siècle à notre époque, ce qui fonctionne sans souci dans Suor Angelica. La scène est aménagée dans une vaste architecture en deux parties : le lieu au sein duquel la communauté religieuse se réunit et vaque à ses occupations, dont un jardin et une immense grille de cloître qui n’est pas sans évoquer celle d’une prison. Ce qui n’est pas loin de la réalité pour le personnage principal, fille d’une famille de la noblesse italienne ; elle a cédé à un amour coupable et a donné naissance à un enfant illégitime qui lui a été retiré. Depuis sept ans, Suor Angelica expie son péché dans ce couvent dont l’Abbesse (Maria Ogli, impeccable dans sa froideur) n’est pas tendre. Elle reçoit la visite de sa tante, la Princesse, qui vient lui faire signer des documents car sa sœur va se marier dignement et doit pouvoir bénéficier de la succession. Moment scéniquement très réussi : la Princesse est non seulement méprisante mais aussi d’une cruauté absolue : elle annonce sans ménagement à Suor Angelica que son enfant est mort depuis deux ans. Dans ce rôle cruel, Anna Maria Chiuri est impitoyable à souhait, avec dans la voix, une noirceur qui glace. Face à elle, Maria José Siri est touchante et provoque la pitié ; elle utilise la puissance de sa voix pour traduire en éclats douloureux et accablés le tragique de son destin.
Avant cette rencontre fatidique, on a assisté à quelques moments de la vie monastique, comme l’expression de regrets pour des fautes vénielles ou la permission d’un divertissement léger. Les ensembles choraux sont réussis, les individualités sont typées, et l’on prend conscience d’un enfermement peu épanouissant. Après la rencontre, le drame va se nouer : Suor Angelica s’empoisonne puis implore le pardon de la Vierge. Un miracle se produit alors : l’enfant perdu apparaît dans une sorte d’illumination miraculeuse avant que Suor Angelica meure dans la transfiguration. Ici, on reste sur sa faim : le merveilleux semble fabriqué et ne touche ni le cœur ni l’âme ; les effets de lumière ne créent pas l’effet mystique. Le metteur en scène travaille au premier degré du début à la fin, et c’est encore le cas en ce moment de haute élévation, auquel on ne participe pas malgré l’investissement de Maria José Siri qui se révèle sobre dans son désespoir. Cette absence globale d’émotion est due aussi à la direction de Valerio Galli qui livre une interprétation musicale sans grand relief, malgré la finesse de l’orchestration puccinienne qui doit conduire à l’extase, et l’intervention d’un chœur de jeunes filles qui n’est pas assez mis en valeur. Cet opéra en un acte laisse ici une impression mitigée, un peu compensée par la présence pleine de justesse de Suor Angelica et de la Princesse, et par un plateau vocal qui s’investit mais souffre d’un manque de vision musicale. On reconnaîtra cependant la qualité des prises de vue qui, sans compenser une certaine déception, en atténuent quelque peu l’effet.
L’action de Gianni Schicchi est plus satisfaisante : le livret de Giovacchino Forzano, qui a signé aussi celui de Suor Angelica, s’inspire d’un passage de L’Enfer de La Divine Comédie de Dante, transposé de la fin du XIIIe siècle à notre époque, dans un décor brut fait de parois qui laissent entrevoir un Ponte Vecchio stylisé. Elle joue la carte de la fantaisie débridée autour d’un héritage et d’un testament perdu qu’il faut retrouver et que tout le monde recherche. La situation entraîne un imbroglio amoureux autour de Rinuccio, qui a découvert le précieux document et le marchande pour épouser Lauretta, la fille de Schicchi. L’arrivée de ce dernier va l’y aider : il va berner sans scrupules la famille concernée par l’héritage pour se le faire attribuer, permettant aux promis de se marier. La mise en scène de Denis Krief est dynamique, elle joue sur un comique de situation mais aussi sur un cynisme de bon aloi qui, en fin de compte, trouve un semblant de justification dans la concrétisation d’une idylle. Le plateau vocal est en forme et s’amuse. Bruno de Simone est un Schicchi roublard à souhait, Dave Monaco prête sa jeunesse à Rinuccio, convaincant dans Firenze è come un albero fiorito, et Francesca Longari laisse se dérouler un legato onctueux dans le personnage de Lauretta. Elle ne rate pas son air O mio babbino caro. On retrouve encore l’allure hautaine et sèche, voix en concordance, d’Anna Maria Chiuri en tante Zita. Les jeux de scène retiennent l’attention, les mouvements sont vifs et tous les protagonistes se révèlent bons comédiens. Mais une fois de plus, la direction anémiée de Valerio Galli plombe un peu l’ambiance globale, ne rendant pas justice à la vitalité et à la dimension de dérision.
Malgré la bonne qualité des prises de vue, cette programmation du Teatro del Maggio Musicale Fiorentino de 2019 ne peut être conseillée comme une priorité pour Il Trittico de Puccini. Elle ne tient pas la route face à d’autres productions disponibles en DVD, notamment celle de la Scala de Milan avec Barbara Frittoli, Mariana Lipovsek ou Leo Nucci sous la direction brillante de Riccardo Chailly, publiée par le label Hardy, ou le plateau de rêve constitué, chez Opus Arte, par Eva-Marie Westbroek, Ermonela Joaho, Anna Larsson ou Lucio Gallo au Covent Garden, sous la baguette enflammée d’Antonio Pappano. D’autant plus que ces labels proposent, en toute logique, les trois opéras en un seul coffret.
Notes globales : Suor Angelica : 7 / Gianni Schicchi : 7,5
Jean Lacroix