Bertrand Chamayou crée la nouvelle version révisée des deux Concertos de Ravel

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Ces 2 et 3 octobre a eu lieu à l’Auditorium de Radio France (Paris) la création des deux Concertos pour piano de Ravel, en sol et pour la main gauche, dans la version révisée désormais disponible dans Ravel Edition chez XXI Music Publishing. L’événement était attendu, d’autant que le pianiste des deux soirées, Bertrand Chamayou, a participé à la révision du Concerto pour la main gauche.
Outre ces deux Concertos, on a entendu la création mondiale des deux Etudes pour piano de Yann Robin (le 2), La Mer de Debussy (le 2) et Ma Mère l’Oye de Ravel (le 3) dirigés par Mikko Franck. Deux soirées de musique française par l’Orchestre Philharmonique de Radio France, que peut-on rêver de mieux ? La nouvelle version des Concertos est-elle différente de celle à laquelle nous sommes habitués ? L’attente est palpable, mais peut-on entendre des interprétations à la hauteur de cette attente ?

Impression de non abouti pour la première soirée
La première soirée est un peu terne malgré la brillance du pianiste dans les œuvres de Yann Robin. L’Etude n° 1 est une sorte d’échelle chromatique qui parcourt énergiquement tout le clavier, dans les deux sens, ascendant et descendant. La 2e Étude, intitulée « Arachné », est écrite pour la main gauche, comme une introduction à Ravel ; extrêmement exigeante techniquement, elle est riche en tissus sonores dont plusieurs couches se superposent. Chamayou se sert efficacement de sa dextérité et sa force pour une exécution éblouissante. Vient ensuite le Concerto pour la main gauche. Comme disait le pianiste dans une interview à une émission de radio le matin même, les modifications apportées à la partition ne sont pas fulgurantes à l’oreille. Elles tiennent compte de la gravure initiale non publiée, entreprise par le créateur de l’œuvre, Wittgenstein, et son agent, dont un exemplaire était conservé par le chef Roger Désormière. Ce soir, l’orchestre est un peu déséquilibré, certainement à cause de la distance entre chaque pupitre mais aussi entre chaque instrument ; le grand crescendo initial menant à l’entrée du piano est certes prodigieux mais surdimensionné, avec une présence des vents trop importante. Tout au long de l’œuvre, le même type de déséquilibre revient à plusieurs reprises, avec plus ou moins de décalage entre les cordes et les harmonies. Le piano est parfois absorbé par l’orchestre qui a peut-être besoin de jouer plus fort que nécessaire pour s’entendre… La Mer de Debussy reste assez sage, sans tellement d’exaltation, même si les cordes offrent de belles nuances.

Merveilleuse deuxième soirée, haute en couleur
Le lendemain, on change complètement d’atmosphère. Le concert commence par le Quatuor à cordes n° 2 « Crescent Scrarches » de Yann Robin, sur lequel les glissandi et les crescendi règnent en majesté, créant l’effet de reproduction à l’inverse de bande sonore avec le piano par exemple. En même temps, la musique est traversée par de fortes pulsations que les musiciens (les violonistes Eun Jo Lee et louise Grindel, l’altiste Marc Desmons et le violoncelliste Nicolas Saint-Yves) expriment avec une extraordinaire véhémence. Trois Préludes pour piano de Debussy (La Cathédrale engloutie, La Terrasse des audiences du clair de lune et Feux d’artifice) sont interprétés avec beaucoup d’engagement. Au début des Feux d’artifice, contrairement ceux qui préfèrent l’effet feutré produit par la pédale, notre pianiste joue chaque note clairement détachée, voire sèche, pour rendre le crépitement de petits feux. Puis, le Concerto en sol. Et c’est un régal. La structure classique mise en valeur, le dialogue parfait entre le piano et l’orchestre, des allers-retours et des enchainements entre différents groupes d’instruments, la virtuosité et la sonorité lumineuses et mielleuses au piano et à l’orchestre… Bertrand Chamayou réalise notamment des rubati très subtils dans le deuxième mouvement où le hautbois et la clarinette nous offrent de délicieux moments. Et cette fois-ci, le bel équilibre dans l’ensemble fait ressortir prodigieusement la partie soliste qui, au moment voulu, se fond à l’orchestre. Une si belle interprétation fait oublier tout le reste, à tel point que nous ne prêtons plus attention à la nouvelle version qui nous aurait fait tendre l’oreille, nous sommes tout simplement plongés dans la beauté de la musique. Beauté qui se prolonge grâce au bis du pianiste, la Pavane pour une infante défunte aux mille nuances délicates, avec quelques ornements improvisés introduits avec justesse. Ma Mère l’Oye procure le même bonheur : le caractère de chaque pièce est bien mis en avant dans une innocence enfantine finement taillée. Les violons en sourdine sont absolument exquis dans la Pavane de la Belle au bois dormant, et La Jardin féerique nous transporte dans un pays de rêve. Quelle belle soirée que nous avons passée !

Crédits photographiques : Marco Borggreve

Victoria Okada

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