Une poignée de Concertos de Tartini, détartrés avec poigne

par

Giuseppe Tartini (1692-1770) : Concertos pour violon en ré majeur D.24, en mi majeur D.48, en la majeur D.89, en mi mineur D. 55, en sol mineur D.85. Evgeny Sviridov, violon, Millenium Orchestra. Octobre 2019. Livret en anglais, français, allemand. 63’10. Ricercar RIC414.

On célèbre en 2020 un autre 250e anniversaire, celui de la disparition de Tartini, célèbre pour sa Sonate que lui aurait inspirée le diable, en songe. Sa vie, son tempérament restent mieux connus que sa formation. Il dut se cacher pendant deux ans dans un couvent d’Assise après avoir épousé en secret une parente de l’Evêque de Padoue. Lequel lui permit ensuite un retour en grâce. Sa carrière se déroula dans cette ville de Vénétie où il revint en 1721 après quelques séjours en Italie du Nord (Venise) et centrale (Ombrie).

Hormis deux recueils parus à Amsterdam en 1728 et 1734, les quelque cent-trente-cinq concertos sont difficilement datables, sauf à s’engager dans une analyse de leur style. Du moins, ces œuvres circulèrent dans toute l’Europe, notamment à la faveur des élèves du compositeur : ainsi à Paris par Jean-Pierre Pagin (1723-1799), voué à la musique de son maître. On retrouve des partitions dans plusieurs foyers artistiques, certaines assez librement recopiées voire aménagées. Le D.24 ici joué provient de la Staatsbibliothek de Berlin : un arrangement avec orchestre élargi (incluant deux cors !), qui n’est pas de la main de Tartini. En revanche, pour l’ornementation, Evgeny Sviridov s’est fondé sur une source authentique conservée en Californie. Le D.85 nous est proposé dans la version de Johann Georg Pisendel (archivée à Dresde où officiait ce virtuose) que Tartini avait peut-être connu à Prague dans les années 1720. Les poétiques sous-titres du D.48 nous rappellent combien le compositeur était aussi ouvert aux muses de la plume -reportez-vous au superbe album de Sonates solo de Chiara Banchini (Zig Zag, 2007). Les deux opus en mineur se rapprochent du moule vivaldien ; dans l’Allegro du D.85, l’interprète a inséré un Caprice de Pietro Nardini (1722-1793) en guise de cadenza.

Contrairement à la discographie du Prete Rosso dont, au-delà des Quatre Saisons, le corpus fut abondamment défriché, l’œuvre concertant de Tartini a longtemps été abordé avec parcimonie, au gré de quelques anthologies depuis une soixantaine d’années. Témoignage pionnier au temps du microsillon, la moitié de l’opus 2 par Renato Biffoli et une équipe milanaise (Vox, 1961). Deux concertos par Eduard Melkus avec la Capella de Vienne chez Archiv (1967), deux galettes par André Gertler et les chambristes de Zürich (Amadeo, 1965). Quelques vinyles autour de Claudio Scimone (Erato, 1971-1984) avec Piero Toso (zéphirien), Pierre Amoyal et Uto Ughi (plus flamboyant). On se souviendra aussi de Salvatore Accardo et l’accompagnement poudré d’I Musici (Philips, 1973) puis avec l’English Chamber Orchestra, bien lisse (1982). Dans la décennie 1990, Felix Ayo et les Giovani Musici Italiani chez Dynamic, un label qui a proposé en 2015 une (quasi) intégrale en 29 CDs, par l’Arte dell’Arco. 

« Le grand-père de l’école du violon actuelle » nous dit Chouchane Siranossian dans son excellent disque qui vient de paraître chez Alpha (avec Andrea Marcon), où la soliste émerveille par un phrasé limpide et des tournures légères et fluides, d’une délicate irisation. L’interprétation d’Evgeny Sviridov nous semble plutôt quitter le giron baroque pour se tourner vers sa postérité, en annonçant l’époque classique. Il avait déjà gravé quelques Sonates en juin 2018 pour Ricercar, dans le sillage de son Premier Prix au Concours Musica Antiqua de Bruges. Sur un instrument napolitain de Januarius Gagliano (1732), le jeu droit, viril, plein, robustement articulé, rend hommage au caractère entier et ombrageux que l’on prête au Padouan. Le Millenium Orchestra (une dizaine de cordes et clavecin) apporte un soutien charpenté et sobre. Relief des trilles, vélocité des arpèges et bariolages : le jeune virtuose russe ne craint pas grand-monde dans ce registre. En écoutant par exemple ses témoignages en live dans Jean-Marie Leclair, on sait combien il est capable de finesse et de charme. C’est un surcroît de nuance et de lyrisme dans les mouvements lents (un laboratoire d’affetti, ici un peu densifié voire simplifié) qui aurait parachevé cette prestation musclée, au demeurant aussi admirable que charismatique. Cette fière élégance, ce digne panache, cette claire diction… Dix ans après son Bach/Biber chez Genuin, on souhaiterait qu’Evgeny Sviridov réenregistre le répertoire germanique qui, à entendre ce disque, mérite qu’y revienne son archet. Il a capitalisé les ingrédients pour rayonner dans les Sonates et Partitas.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9

 

 

 

 

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