Brahms en chambre

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Johannes BRAHMS (1833-1897) : Trios pour piano, violon et violoncelle op. 8, 87 et 101. Trio pour clarinette, violoncelle et piano op. 114. Geoffroy Couteau, piano ; Amaury Coeytaux, violon ; Raphaël Perraud, violoncelle ; Nicolas Baldeyrou, clarinette. 2019. Livret en français, anglais, japonais et allemand. 108.32. La Dolce Volta LDV 64.5 (2 CD).

« Brahms ou la passion de la sérénité ». C’est ainsi que ce superbe album de deux CD est sous-titré en grandes lettres sur la page du livret qui succède à la présentation du programme. Le texte qui suit, émanant des interprètes, à lire avant audition, insiste sur le fait que Brahms paraît, à leurs yeux « incarner une sorte de romantisme objectif semblant juguler, grâce aux solides remparts de la forme, les flots de musique qui l’envahissent -au risque sinon de le recouvrir ». 

C’est dans une atmosphère empreinte de douceur et de tendresse généreuse que les artistes abordent ces partitions dont la beauté absolue n’échappe à personne. Le choix s’est porté ici vers un contexte d’intériorité concentrée, de lisibilité, d’équilibre et surtout de partage complice. Partage qui n’est pas seulement une volonté mutuelle, mais surtout une philosophie musicale qui combine l’expressivité, le chant et le contrôle de l’émotion au profit d’un langage qui semble couler de source. Un langage qui répond à l’extrait de la lettre que Brahms adressa à Clara Schumann le 11 octobre 1857, reproduite elle aussi en grandes lettres dans le livret : « Les passions n’appartiennent pas aux hommes comme des choses naturelles. Elles sont toujours des exceptions ou des exagérations. Celui chez qui elles dépassent les bornes doit se considérer comme malade et songer à un remède pour sa vie et sa santé. » On ne peut s’empêcher de penser que Brahms pensait à son ami Schumann, disparu l’année précédente, lorsqu’il écrivit cela.

On ne reviendra pas sur la genèse de ces partitions abondamment commentées, sinon pour rappeler que les trios pour piano, violon et violoncelle, dont l’écriture va de 1854 pour le premier aux années 1882-1886 pour les deux suivants, conservent, au fil du temps qui espace leur création, des qualités d’effusion et de charme naturel qui vont aller en se développant dans une richesse thématique de plus en plus féconde, dans la concentration de la pensée et dans la concision de la forme. Celle-ci trouvera son point d’orgue dans le troisième trio, l’opus 101, qui semble être le témoin d’une jeunesse certes perdue, mais ancrée au plus profond de l’inspiration, intacte dans sa densité et son esthétique. Quant au trio avec clarinette de 1891, à travers ses couleurs automnales, étoffées en harmonies et en contrastes, il montre à quel point la maîtrise de Brahms abonde en sonorités mystérieuses et chaleureusement lyriques.

Dans le présent album, enregistré en janvier et en avril 2019 dans la Grande Salle de l’Arsenal de Metz, le piano tient une belle part. Elle est sans doute due à la personnalité de Geoffroy Couteau, qui remporta en 2005 le Premier Prix du Concours international Johannes Brahms et a enregistré pour le même label La Dolce Volta une intégrale, bien accueillie par la critique, de l’œuvre pour piano seul, puis du Quintette avec le Quatuor Hermès. Son dynamisme racé est si communicatif qu’il entraîne avec lui Amaury Coeytaux, qui a été premier violon solo de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, et le violoncelle de Raphaël Perraud, entendu parmi les pupitres de l’Orchestre National de France, au cœur d’un univers dominé par l’approche poétique, d’un naturel confondant, sans accentuation d’effets et dans un climat chambriste d’une légèreté et d’un allant qui touchent l’auditeur dans ses fibres les plus intimes et les plus participatives. 

Même sentiment lorsque la clarinette de Nicolas Baldeyrou prend le relais du violon pour l’opus 114. La sonorité est souple, avec des inflexions intenses, elle s’inscrit dans la démarche d’homogénéité créée par les partenaires. Ici, Geoffroy Couteau apprivoise le trait pianistique pour permettre à la clarinette de peaufiner sa part de songé éveillé, tandis que Raphaël Perraud distille des accents pudiquement sensuels. Voilà un album à thésauriser pour sa chaleur, sa fluidité et, surtout, pour sa radieuse lumière. 

Son : 9   Livret : 9   Répertoire : 10   Interprétation : 10 

Jean Lacroix

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