La pièce maîtresse de Steve Reich aux mains d’un maître des percussions

par

Steve Reich (1936-) : Music for 18 Musicians. Colin Currie Group ; Synergy Vocals. 63’56 – 2023 – Livret : anglais. Colin Currie Records. CCR0006. 

Depuis sa création, par Steve Reich and Musicians, le 24 avril 1976 au Town Hall de New York, Music for 18 Musicians est devenue la pièce phare du compositeur américain, équivalent du numéro 1 au hit-parade dans la musique contemporaine libérée de la jugulaire sérielle : souvent enregistrée (les ensembles Modern, Links, Signal, Grand Valley State University New Music, Contrechamps & Eklekto -au moins- s’y sont essayés), elle est régulièrement jouée devant des salles combles. Je l’entends à Bozar à Bruxelles et à la Cité de la Musique à Paris -où, du balcon, d’innombrables paires d’yeux suivent, fascinées, le ballet, comme chorégraphié, des musiciens (dont Reich) qui se relayent aux pianos et aux marimbas, ajoutant l’élégance visuelle à l’envoûtement auditif. Pendant les deux ans qu’il consacre à la construction de cette longue pièce ininterrompue (elle dure entre 55 et 65 minutes), le compositeur s’inspire de plusieurs de ses œuvres antérieures en ce qui concerne la pulsation et l’énergie rythmique, mais introduit des nouveautés en matière d’instrumentation (hormis l’amplification destinée à équilibrer le volume, des quatre voix féminines en particulier, tous les instruments sont acoustiques), de structure (un cycle de onze accords, présentés au début et rappelés à la fin, et dont chacun nourrit le déploiement d’une section) et d’harmonie (son développement dans les cinq premières minutes est essentiel). Mais c’est sur une double temporalité que Music for 18 Musicians bâtit son sortilège incantatoire, les deux aussi différentes que simultanées : la pulsation régulière (pianos et percussions) traverse toute la pièce ; la respiration humaine (les voix et les vents) est très présente dans les premier et dernier mouvements, et parsème de son souffle les onze autres sections.

Le maléfice pulsé touche le percussionniste écossais Colin Currie dès le début des années 1980, même s’il ne découvre la pièce en concert qu’en 2006 (la même année qui voit naître le Colin Currie Group) et ne la joue qu’en 2013 : l’ensemble se fait la main sur, entre autres, Mallet Quartet ou Drumming (deux disques parus sur le label de l’instrumentiste) et accumule ensuite d’innombrables exécutions de Music for 18 Musicians, expérience scénique que Currie aime à décrire comme une « ruche musicale parfaite » (un nom plus instinctif pour le ballet chorégraphié), moment de lévitation sonore précipité dans une musique qui occupe chacun de nos neurones et dont la masse sonique dépasse de loin la somme de ses constituants. C’est ce point de vue que livre, avec brio, le Colin Currie Group sur cette œuvre majeure, le travail de fourmis (les instrumentistes, précis et concentrés) dévouées au service de la collectivité (la partition, à laquelle on se fie comme on s’allonge sous la voûte étoilée d’une nuit d’été sans nuage) : un régal. 

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Chronique réalisée sur base de l'édition sur fichier numérique.

Bernard Vincken

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.