Brahms et Tchaikovsky : Virtuosité, précision et émotions à Flagey 

par

Photo: Marco Borggreve

Au programme, le deuxième concerto pour piano de Johannes Brahms et la quatrième symphonie de Piotr Ilyich Tchaikovsky avec Nikolai Lugansky et le Brussels Philharmonic, sous la direction de Michael Sanderling.

Créé plus de vingt ans après son 1er Concerto par un Brahms au sommet de son art, ce 2e Concerto a trouvé un écho retentissant auprès du public lors de la première de celui-ci, en 1881, contrairement au premier qui en avait dérouté plus d’un. Cette œuvre fait sans conteste partie des chefs-d'œuvre de Brahms, tant par sa qualité musicale que par sa dimension virtuose. Le soliste du soir, le pianiste russe Nikolai Lugansky, est reconnu comme un maître du répertoire russe mais aussi du répertoire du dernier romantisme. 

Nous aurons droit à une prestation de haut niveau de sa part. Sa technique exceptionnelle, sa virtuosité avec un jeu tantôt léger et délicat, tantôt élégant mais franc, nous ont permis de vivre un moment inoubliable en sa compagnie dans ce 2eConcerto, où il est en parfaite connexion avec le chef et l’orchestre.

La forme traditionnelle en trois mouvements a laissé place à une forme symphonique, en quatre mouvements. Il faut aussi souligner que Brahms y envisage différemment le rôle du soliste qui devient le partenaire de l’orchestre, à armes égales. Le premier mouvement, l’Allegro non troppo, débute avec un solo de cor avant d’être rejoint, dès la deuxième mesure, par Nikolai Lugansky. Les trois phrases du thème sont exposées par le cor, les bois et puis les cordes. Arrive après cela, la première cadence, certes courte, mais interprétée avec beaucoup de franchise, après un début très calme et intimiste. Le premier vrai tutti de l’œuvre, qui résonne de manière puissante et intense dans le Studio 4, n’arrive qu’après cette première cadence. S’en suit un dialogue constant entre le soliste et l’orchestre. Notons que la réexposition est l’un des passages les plus impressionnants de ce concerto.

Le deuxième mouvement, l’Allegro appassionato, est en réalité un scherzo composé de deux thèmes, un plus sombre et impétueux tandis que le deuxième est plus anxieux et plaintif. D’ailleurs ce dernier sera développé à l’unisson par les cordes, de manière rigoureuse et précise, jouant d’un seul homme. Mais la sombre véhémence du thème principal ne tardera pas à reprendre le dessus. 

Le troisième mouvement, l’Andante, ressemble plus à une œuvre de musique de chambre pour piano, violoncelle et bois. En effet, c’est au bout de ce troisième mouvement, plus intimiste et serein, qu’apparaît un deuxième soliste, Kristaps Bergs, le chef de pupitre des violoncelles du soir qui se voit confier la tâche d’énoncer le thème principal. Ce qu’il fait avec beaucoup de grâce et en même temps de profondeur. Thème qui est aussitôt repris par les violons. Après cette introduction assez calme, le pianiste alterne quelques trilles et arpèges assez crispantes avec des accords échangés de manière délicate entre ses deux mains. Ce troisième mouvement se termine avec le retour du thème au violoncelle mais qui, cette fois-ci, se mélange et se superpose au piano, clôturant cet Andante de la plus belle des façons.

Le dernier mouvement, l’Allegretto grazioso, conclut le concerto avec un rondo final qui se veut plus optimiste et avec des influences hongroises. Ce sont les dernières minutes d’un concerto alliant la virtuosité du soliste, Nikolai Lugansky, et le Brussels Philharmonic Orchestra dirigé avec beaucoup de maestria par le chef allemand Michael Sanderling qui, tout au long de l’œuvre, prête beaucoup d’attention au soliste et à l’équilibre entre l’orchestre et le piano.

Après de longs applaudissements malgré un public assez restreint, le pianiste russe offre un bis, la Chanson sans paroles op.85 n°4 de Mendelssohn.

Après la pause, l’orchestre interprète la 4e Symphonie en fa mineur de Tchaikovsky, créée en 1877 et dédiée à Nadejda von Meck, amie et mécène de Tchaikovsky pendant une quinzaine d’années. Il échangea avec elle une discussion épistolaire, ne la rencontrera et ne lui parlera jamais, mais il lui a expliqué dans une longue lettre, toutes les clés pour comprendre en détails le programme de sa nouvelle symphonie. Cette pièce sera d’ailleurs la première œuvre cyclique de Tchaikovsky puisque le thème du premier mouvement est repris dans le final.

Le premier mouvement, l’Andante sostenuto – Moderato con anima – Moderato assai, quasi andante – Allegro vivo, expose dans l'introduction un thème illustrant le « fatum », le destin. Ce thème est le fil conducteur de la pièce et resurgit à plusieurs reprises au cours de la symphonie. Il est énoncé, pas de la manière la plus précise et dramatique il faut le concéder, par les cors et les bassons, avant d’être rejoints par le reste des cuivres qui vont enfin donner plus de profondeur et ce côté dramatique tant attendu. La suite du premier mouvement nous tient en haleine avec une alternance entre les différents thèmes qui passent partout dans l’orchestre et qui sont interprétés avec toute la tension, le drame et la profondeur nécessaire mais aussi quelques lueurs d’espoir de courte durée.

Le deuxième mouvement, l’Andantino en modo di canzona, exprime à la fois mélancolie et angoisse. La mélodie passe du hautbois aux violoncelles et au basson, accompagnée d’un contrepoint des cordes. Nous retrouvons plus tard des esquisses du thème du « fatum », avant de revenir à la première partie. L’orchestre s’exprime avec émotion tout en restant dans la sobriété.

Le troisième mouvement, Scherzo – Pizzicato Ostinato – Allegro, est mené par un chef sans baguette mais qui contrôle parfaitement les arabesques enivrantes des cordes, qui jouent exclusivement en pizzicato. Notons la vivacité et la précision de ceux-ci, accompagnés par des bois guillerets et des cuivres scintillants.

Le dernier mouvement, Finale – Allegro con fuoco, basé sur un chant populaire russe, la Chanson du Bouleau, conclut cette symphonie de manière grandiose avec un chef en communion avec son orchestre. Ce final joyeux est entrecoupé par le thème solennel et dramatique du destin qui refait son apparition à plusieurs reprises.

L'interprétation de cette symphonie est dûment applaudie, récompensant le travail accompli et les émotions partagées par le Brussels Philharmonic Orchestra avec  Michael Sanderling à la direction.

Bruxelles, Flagey, le 18 décembre 2021.

Thimothée Grandjean, reporter de l'IMEP

Crédits photographiques : Marco Borggreve

 

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