Le Festival Beethoven 2019 à Varsovie

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Le printemps à Varsovie est marqué par le festival Beethoven. Créé et dirigé par Elżbieta Penderecka, ce festival ne cesse de nous ravir. Invitant des artistes et des orchestres du monde entier : cette année, le public pouvait ainsi écouter des phalanges d’Espagne, de Corée du Sud, d’Italie, de Finlande, d’Allemagne, de Suisse et aussi les grands orchestres polonais. Le festival est une fenêtre sur le monde, formidable ouverture où l’on croise du public et des professionnels venus de la planète entière, saine attitude à une époque qui voit les esprits et les frontières se fermer. En l’espace d’un week-end, on pouvait avoir un aperçu de cette marque de fabrique unique et enthousiaste.

Le concert avec Susanna Mälkki et son Philharmonique d’Helsinki était des plus attendus. Venant en clôture d’une tournée européenne qui les a emmenés en Allemagne, Autriche, Pays-Bas et Pologne, l’orchestre et sa cheffe présentaient un programme de démonstration qui commençait par un inévitable Sibelius : mais avec l’un de ses poèmes symphoniques les moins usités : En Saga. Susanna Mälkki imprimait une marque intéressante en se concentrant sur une lecture plus orchestrale que narrative qui mettait en avant les masses instrumentales et la force de l’orchestration sibelienne. Violoniste inclassable, Pekka Kuusisto, ne pouvait pas livrer une lecture conformiste du célèbre Concerto pour violon de Tchaïkovski. Dès l’entrée du violon, le violoniste nous emmenait dans son monde musical, prenant le contre-pied du spectaculaire pour livrer une lecture ultra-narrative et même plutôt chambriste et lumineuse, comme si le musicien cherchait les lumières de lac Léman sur les rives duquel l’oeuvre fut composée. L’entente avec l’orchestre et sa cheffe était parfaite, même si le manque de projection du violoniste pénalisait certains passages. En bis, comme de coutume, Pekka Kuusisto sortait encore des sentiers battus avec une chanson populaire suédoise qui voyait l’instrumentiste jouer et siffler.

En seconde partie, cheffe et orchestre revenaient pour une Symphonie n°5 de Beethoven, jouée en tutti, et emportée dans un geste de puissance orchestrale brute. Cette lecture faisait plaisir à entendre par sa maîtrise tellurique qui emportait l’adhésion du public. En bis, retour à l’indispensable Sibelius avec un tube aussi inévitable que circonstancié : la Valse Triste. Un grand concert porté par des interprètes inspirés et par un orchestre aussi solide qu’intéressant dans ses individualités.

Le lendemain, place à Brahms avec un concert de l’Orchestre Philharmonique de Dresde sous la baguette de Michael Sanderling, son directeur musical. Le programme confrontait le Concerto pour piano n°1 à l’orchestration du Quatuor avec piano n°1 par Arnold Schoenberg. Remplaçant Beatrice Rana souffrante, Martin Helmchen proposa une lecture très intellectuelle, plus maîtrisée que foncièrement sensorielle, il était parfaitement accompagné par l’orchestre et le chef qui partagent cette vision plutôt lente et décantée. Changement de registre après l’entracte avec l’orchestration très hollywoodienne de Brahms par Schoenberg, qui transforme le quatuor en sorte de concerto pour orchestre en parade et en technicolor. La direction de Michael Sanderling donnait dans le spectaculaire au risque de vouloir en mettre un peu trop plein les tympans d’une orchestration fortement généreuse. Tout cela était spectaculaire et faisait foncièrement plaisir au public qui acclamait longuement les valeureux pupitres saxons. En bis, du piano à l’orchestre : encore Brahms évidemment avec une danse hongroise de circonstance !  

Invité régulier du Festival Beethoven, le pianiste Rudolf Buchbinder était accompagné de l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich et Paavo Järvi, son directeur musical désigné. A l’orée de sa première saison, il était intéressant d’entendre le chef estonien dans un programme qui débutait par l’Ascension d’Olivier Messiaen, une oeuvre au coeur du premier enregistrement du chef et de son orchestre (à paraître à l’automne). Paavo Jarvi tirait de superbes couleurs transparentes de l’orchestre de la Tonhalle : le dialogue des vents dans la seconde partie “Alléluias sereins d'une âme qui désire le ciel” ou la beauté des cordes dans le conclusif “Prière du Christ montant vers son père” étaient mémorables. Auteur d’une intégrale majeure des symphonies de Beethoven au pupitre de la Deutsche Kammerphilharmonie de Brême, Paavo Järvi proposait la plutôt rare Symphonie n°4, rarement programmée en dehors des intégrales au concert. La réussite était magistrale, le chef galvanisait un orchestre qui connaît également son Beethoven “authentique” par coeur depuis la phénoménale intégrale gravée sous la baguette de David Zinman son ancien directeur musical ! On admirait la tension insufflée, la multitude de détails qui apparaissent du texte et le dialogue parfois chambriste que le chef parvenait à créer entre les pupitres

Adulé du public du festival, le pianiste Rudolf Buchbinder se lançait à l’assaut du Concerto n°3 de Beethoven. Tout comme Paavo Järvi, le pianiste est chez lui avec Beethoven et il connaît tous les moindres détails de ces partitions. Son Beethoven était plutôt ascétique et économe, se concentrant sur la logique du discours. L’entente avec le chef était parfaite, touchante image de deux musiciens de générations différentes mais qui additionnent tant d’excellence dans Beethoven. En bis, Buchbinder offrait quelques variations sur Johann Strauss alors que Paavo Järvi déchaînait les éléments dionysiaques dans l’ouverture des Créatures de Prométhée de Beethoven.  

En complément des concerts symphoniques du soir, le festival Beethoven proposait également des concerts de musique de chambre. Ainsi, le Shanghai String Quartet était invité pour un cycle de six concerts répartis entre Cracovie et Varsovie. Nous assistions à deux concerts exclusivement centrés sur des quatuors de Beethoven. Lectures rigoureuses des plus maîtrisées d’un ensemble que pratique ces oeuvres depuis ses débuts (en 1983) et qui en a enregistré une belle intégrale au disque. Le dimanche, le ténor Benjamin Bruns et la pianiste Karola Theill offraient une après-midi de lied avec An die Ferne de Beethoven et le Dichterliebe de Robert Schumann. On se plaisait à découvrir une superbe voix, éclatante dans le timbre et à la projection irréprochable.

Un week-end d’excellence musicale qui donne déjà envie d’être en 2020 pour une édition qui s’annonce mémorable pour les 250 ans de la naissance du Grand sourd.

Varsovie, Philharmonie nationale, 12-13 et 14 avril

Crédits photographiques : Bruno Fidrych

Pierre-Jean Tribot

 

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