Cantates de Richard Blackford : de Saint François d’Assise au Covid-19
Richard Blackford (°1954) : Mirror of Perfection ; Vision of a Garden. Elizabeth Watts, soprano ; Roderick Williams et Stephen Gadd, barytons ; Ikon ; Britten Sinfonia ; The Bach Choir ; Philharmonia Orchestra. Direction : David Hill. 2021. Notice en anglais. 53.27. Lyrita SRCD.406.
Richard Blackford a effectué sa formation au Royal College of Music of London, sa cité natale. Il a complété son doctorat à l’Université de Bristol. Son catalogue abondant comprend trois opéras, deux ballets, de nombreuses pages de musique orchestrale, chorale et instrumentale, publiées sous les labels Sony, Warner, Decca, Signum ou Nimbus. Il a aussi composé près de deux cents partitions pour le cinéma ou la télévision, dont plus d’une centaine pour la ZDF allemande. Le présent album propose deux exemples de ses œuvres chorales.
Écrit en 1996, Mirror of perfection a déjà fait l’objet d’un enregistrement chez Nimbus en 2012, le compositeur dirigeant lui-même le Symphonique de Bournemouth. Cette cantate, divisée en sept cantiques, s’inspire de textes de Saint François d’Assise (1181/82-1226) ; elle débute par le très connu Cantique des créatures, rédigé probablement dans un monastère vers 1225 en dialecte ombrien, et traduit depuis en plusieurs langues, dont l’italien moderne (Cantico di Frati Sole). La musique en a été perdue. La compositrice russe Sofia Gubaidulina en avait tiré en 1997 un Cantique pour le soleil, pour violoncelle, choeurs et percussion, une partition dans laquelle Rostropovitch s’illustra. Les premiers mots de ce Cantique des créatures ont été repris par le Pape François dans son encyclique du 24 mai 2015 : Laudato si’ est une invitation à la sauvegarde de la création, avec des préoccupations écologiques et environnementales, dans la ligne du saint dont le pontife actuel porte le nom. Dans cette première page de la cantate, que le baryton entame seul, le message de simplicité, d’expressivité émotionnelle, d’espoir et d’acceptation, d’amour et de paix domine ; ce message traverse toute la partition. L’évocation est vibrante. Blackford, qui manie les voix avec habileté, en a saisi toute la portée symbolique. Le soliste et les chœurs, avec un orchestre éthéré qui inscrit les idées dans un espace intemporel, font de cette introduction à la cantate un moment de sérénité et d’appel à la foi. Celle-ci pourrait apparaître quelque peu naïve dans notre contexte moderne, mais c’est aussi une occasion de rappeler que le spirituel, quelle que soit la forme qu’on lui donne, demeure une pierre angulaire pour éviter que l’humanité ne sombre. Ce rappel était déjà présent dans les mots de François d’Assise dont l’actualité nous interpelle dès lors comme une évidence.
Les six autres cantiques de Mirror of Perfection se déclinent selon les constantes religieuses du saint, toujours basées sur l’amour pour la création en hommage à Dieu. Le baryton et la soprano se répondent dans une envolée qui touche profondément le cœur dans le Canticle of Love I ; des moments d’extase traversent le chant du chœur dans le Canticle of The Furnace. La soprano lance un appel douloureux dans le Canticle of Love II, pour signifier qu’il n’y a pas d’autre choix que l’amour. Le fameux Canticle of the Birds est chanté en français par le baryton, dont on salue l’excellente diction, dans une fine instrumentation d’où émerge le cor.
Le quatrain Mes frères les petits oiseaux/Vous devez louer votre Créateur/ Il vous a choisi une demeure/Dans la pure région de l’air retentit comme une profession de fraternité envers la création animale dont Saint François s’est toujours profondément préoccupé.
L’amour est à nouveau exalté avec une ardente ferveur dans le sixième mouvement, Canticle of Love III, dans un climax lumineux, la répétition du mot amore servant de leitmotiv. La cantate s’achève par le Canticle of Peace, qui semble jaillir des tréfonds de l’orchestre, avec un superbe solo de violon, les solistes et le chœur apportant à cette vision sereine une touche harmonieuse. La soprano Elizabeth Watts (°1979) et le baryton Roderick Williams (°1965), qui se sont illustrés, la première dans Schubert ou Richard Strauss, mais aussi dans Scarlatti ou Haendel, le second dans Mozart ou Britten, traduisent avec justesse tous les sentiments positifs que cette partition distille. Le chœur Ikon et le Britten Sinfonia, fondé en 1992, menés ici par David Hill, spécialiste de la musique anglaise dont il a laissé des gravures mémorables (par exemple une magnifique A Mass for Life de Delius chez Naxos), sont tout à fait immergés dans cette atmosphère bénéfique envahie par l’apaisement, la douceur et l’équilibre.
Avec la première gravure discographique de Vision of a Garden, on fait un immense pas dans le temps : le contenu évoque le drame du Covid-19 à travers des textes de Peter Johnstone (°1948), mathématicien réputé et professeur à Cambridge. Atteint par la maladie en 2020, il a été hospitalisé dans une unité de soins intensifs dont il n’est sorti qu’après une longue période, après avoir failli mourir. Il raconte dans la notice qu’au cours de son séjour, le personnel soignant a noté dans un carnet des messages chaleureux à son intention, carnet qui lui a été remis à sa guérison. Johnstone a rassemblé une partie de ces phrases, que Blackford a mises en musique. Le mathématicien évoque aussi un songe fait pendant cette douloureuse épreuve : il y voyait un jardin comme une oasis d’amour, qu’il situait à Cape Town et qu’il appelait « son rêve sud-africain ». Lorsqu’il a été encouragé, dans le contexte de l’hôpital où sa convalescence se déroulait, à élargir avec prudence le périmètre de ses déplacements, Johnstone s’est rendu compte que le jardin intérieur de l’établissement, nommé Jubilee Garden, était celui qu’il avait visité en rêve, et qui était en fait une réminiscence inconsciente des brefs moments où le personnel lui faisait prendre un peu d’air.
Blackford explique dans une note qu’après avoir pris connaissance de ces messages si poignants, il a voulu composer sur cette base une cantate de gratitude à l’intention de leurs auteur(e)s. Le chœur symbolise ces intervenant(e)s, un accompagnement de cordes col legno battuto évoquant les sons des machines respiratoires. L’œuvre est brève (six mouvements d’une durée totale de seize minutes), elle baigne dans une atmosphère empathique et chaleureuse qui alterne les interventions des choristes/infirmier(e)s avec Peter/le malade. Le baryton Stephen Gadd (°1964) est très émouvant dans ses interrogations quant à sa présence à l’hôpital et à sa réaction à une visite familiale ou au moment où il raconte recevoir le carnet de messages. La musique illumine ces moments tragiques, qui ont connu une fin heureuse, à travers des élans bienvenus des cordes, où la sensation qui domine est celle de la victoire sur le destin. La « vision du jardin » qui donne son titre à la partition, est laissée à un violon solo, qui soutient la ligne du baryton. On entend même une allusion au Messie de Haendel. On partage pleinement cette ambiance de compassion et de bonté collectives.
Remarquable interprétation des voix féminines et masculines du Bach Choir, que David Hill anime depuis 1998. Les qualités du Philharmonia jouent à fond la carte de cette œuvre profondément humaine, qui apparaît comme une lumière dans notre époque de temps si troublés et si dévastateurs. On ajoutera qu’une série de prénoms du personnel soignant présent auprès du malade jalonne le texte : l’hommage en devient encore plus concret.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 9 Interprétation : 10
Jean Lacroix