2023 verra la création de deux œuvres de Bernard Foccroulle composées au cours des quatre dernières années : Le Journal d’Hélène Berr et l’opéra Cassandra.
Un monodrame lyrique pour voix, piano et quatuor à cordes, basé sur Le Journal d’Hélène Berr, sera créé en version de concert le3 mai au Trident à Cherbourg. La mezzo-soprano Adèle Charvet y incarnera Hélène Berr aux côtés de Jeanne Bleuse, piano, et du Quatuor Béla. L’œuvre sera reprise le 8 juin à Coulommiers, le 12 juin au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris et le5 novembreau Méjean àArles. À partir du 3 décembre, l’Opéra national du Rhin en présentera une version scénique, signée Mathieu Cruciani, à Colmar, Strasbourg, Mulhouse et en tournée. Le Mémorial de la Shoah, la Médiathèque Hélène Berr, le Crif et la nièce de l’autrice seront associés à ce projet artistique étoffé d’événements, rencontres et ateliers autour des œuvres dérivées du Journal.
Hélène Berr, étudiante juive parisienne, écrivit les premières lignes de son Journal au printemps 1942. Celui-ci s’interrompt tragiquement deux ans plus tard : déportée à Auschwitz en mars 1944 et transférée trois semaines plus tard au camp de Bergen-Belsen, la jeune femme y perdra la vie cinq jours avant la libération du camp, à l’âge de 23 ans. Demeuré inédit durant 63 ans, le précieux manuscrit, conservé au Mémorial de la Shoah, fut édité par les éditions Tallandier en 2008. Profondément ému à la lecture de ce témoignage, Bernard Foccroulle en tira un livret, achevé en 2020.
Marie-Félicie-Clémence de Reiset, future Vicomtesse de Grandval, née le 21 janvier 1828 au Château de la Cour du Bois, à Saint-Rémy-des-Monts, dans la Sarthe et décédée à Paris le 15 janvier 1907, a épousé à Paris, le 12 mars 1851, Charles-Grégoire-Amable Enlart, Vicomte de Grandval.
Au XIXe siècle, la ségrégation dans la vie musicale constituait un obstacle considérable pour les personnes de classes sociales dites inférieures et pour les femmes, quelles que soient leurs origines sociales. Leur statut les liait officiellement au rôle de musiciens amateurs, même si, comme la Vicomtesse de Grandval, elles publiaient régulièrement leurs compositions sur le marché libre. Les qualités d’interprétation des femmes ne sont pas mises en question. Il en va autrement de la création, où elles rencontrent de grandes difficultés à asseoir leur légitimité. Camille Saint-Saëns a écrit, en évoquant les mélodies de Clémence de Grandval pour chant avec accompagnement de piano, qu’il trouve exquises : « Elles seraient certainement célèbres si leur auteur n'avait le tort, irrémédiable auprès de bien des gens, d'être femme ».
Clémence de Grandval souffre d’un double handicap : elle est femme et aristocrate. Toute sa vie, ce sera un souci pour celle qui dira un jour : « On ne veut pas de moi, mon nom est un crime ». Du fait de son statut de femme du monde qui la dessert, elle utilise parfois des pseudonymes, Clémence Valgrand, Caroline Blangy, Maria Felicita de Reiset, Maria Reiset de Tesier, Maria Reiset de Tesier et Jasper… pour ses publications.
La Vicomtesse de Grandval est devenue l’un des membres les plus actifs de la jeune école française mais, selon le critique musical Arthur Pougin (1834-1921), elle a toujours été vue comme un «amateur» en raison de sa fortune et de sa position sociale.
La famille
Son père, le Baron Léonard Jean Népomucène de Reiset de Chavanatte, portant parfois le prénom d’Edouard à la place de Léonard, est issu d’une petite noblesse lorraine installée dans le sud de l’Alsace dès le XVe siècle. Il est né le 27 septembre 1784 à Delle (département du Territoire de Belfort) et décédé à Paris le 29 janvier 1857. Il est militaire durant une période compliquée de l’histoire de France, Premier Empire (1804-1814), Première Restauration de la dynastie des Bourbons (1814 Louis XVIII), Période des Cent-Jours jours avec Napoléon 1er (20 mars-8 juillet 1815), Seconde Restauration, Louis XVIII et Charles IX (1815-1830)...
Léonard de Reiset est sous-lieutenant en Guadeloupe au début du Premier Empire. Il revient en métropole en 1807 puis participe à la guerre d’Espagne où il est blessé et fait prisonnier. Ayant pris la défense du Général Pierre Antoine, Comte Dupont de l’Etang (1765-1840) qui avait signé la capitulation avec le Général espagnol Castaños (22 juillet 1808, à Baylen), il tombe en disgrâce auprès de Napoléon 1er. Libéré en 1812, il devient officier d’ordonnance du Roi Jérôme de Westphalie puis aide-de-camp du Maréchal Ney et fait la campagne de Russie au côté de ce dernier. C’est grâce au passeport du chef de bataillon de Reiset, et donc sous le nom de ce dernier, que Ney proscrit put quitter Paris, avant d’être arrêté le 5 août 1815. Passé au service de Louis XVIII, de Reiset est promu lieutenant-colonel de cavalerie et obtient le titre de Baron héréditaire par lettres patentes du 16 juin 1818. Il est promu Officier de la Légion d’honneur et Chevalier de Saint-Louis et de l’Ordre de la Couronne de Westphalie. Officier des Hussards, il a été Chef d’escadron au régiment de Hussards du Bas Rhin, à Chartres (département d'Eure-et-Loir). Il devait aussi être pianiste amateur.
Sa mère,Anne Louise Adèle du Temple de Mézières(1796-1853), a reçu une éducation très soignée. Le Château de la Cour du Bois, qu’elle a occupé de 1804 à 1853, était situé dans un superbe domaine. Adèle épousa le Baron de Reiset, Léonard Jean Népomucène (1784-1857) à Chartres, le 5 avril 1818. Devenue ainsi Baronne de Reiset, elle tenait salon à la Cour du Bois où elle recevait fréquemment des hommes politiques et des artistes, comme la poétesse Marceline Desbordes-Valmore (Douai 1786-Paris 1859). Elle a écrit divers ouvrages, parfois inspirés de causeries de salon ou de ses souvenirs de l’époque révolutionnaire : La Folle de Pirna, ensemble d’anecdotes ; Iolande ou l’orgueil au 15e siècle. Galerie du Moyen-Age (1834) ; Atale de Mombard ou ma campagne d’Alger ; Nathalie ou les cinq âges de la femme (trois tomes) ; Emérance ou Chronique du temps de Charles Martel (1847)… Certaines de ses œuvres sont publiées sous son nom, Adèle Baronne de Reiset. Pour d’autres, elle utilise des pseudonymes comme Madame Adèle de Ravenstein, Adèle du Temple…
Louvain. Cité universitaire chargée d’Histoire, carrefour culturel, terreau où fourmillent des personnalités inestimables et les talents de demain. Éprouvette en ébullition où se bousculent les projets les plus hétérocliques, ambitieux et rafraîchissants. Dont ceux portés par la Fondation Contius, qui nous réserve de belles surprises dès le 21 avril. Avec trois moments forts au programme: 24 heures de musique d’orgue les 21 et 22 avril, la deuxième édition du Festival International Contius-Bach et une Académie d’été du 7 au 15 juillet.
C’est que le président du conseil artistique de la Fondation a plus d’une corde à son arc : organiste, compositeur, ancien directeur général de La Monnaie et du festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, président de la session 2023 du Concours Reine Elisabeth,… Bernard Foccroulle est un homme à tout faire. Ses rares temps libres, il les passe à raviver la flamme vascillante du patrimoine organistique.
Un nouvel orgue exceptionnel au coeur de la Sint-Michiel Vredeskerk
L’aurions-nous oublié ? Louvain est actuellement la seule ville en Belgique dotée d’une politique ciblée ayant pour ambition de sauvegarder ce patrimoine. C’est à cette fin que, en 2012, elle a élevé Luc Ponet, Professeur au Leuven University College of Arts, au rang de ‘stadsorganist’. Elle aurait eu tort de s’en priver : ‘Leuven Orgel Stad’ accueille en effet en son sein pas moins d’une quinzaine d’orgues de toute beauté. Parmi lesquels un nouveau venu, et non des moindres !
L’orgue Contius de l’église Saint-Michel de Louvain est une réplique historiquement exacte, réalisée sous la direction de la Fondation Contius, de l’orgue de l’église de la Sainte-Trinité de Liepāja en Lettonie, construit par Heinrich Andreas Contius entre 1774 et 1779. Avec celui de l’église Saint-André à Abbenrode (Allemagne), l’orgue de Liepāja est le seul instrument du facteur d’orgues originaire de Halle en Allemagne qui nous soit parvenu. Ceci explique sans doute pourquoi H.A. Contius demeure aujourd’hui dans l’ombre des grandes figures de la facture d’orgue du 19e siècle en Allemagne centrale -Gottfried Silbermann, Zacharius Hildebrandt et Heinrich Gottfried Trost.
Johann Sebastian Bach tenait pourtant Heinrich Andreas Contius, ainsi que son père Christoph, en haute estime. Entre 1713 et 1716, le futur Cantor de Leipzig suivit de près la construction d’un orgue réalisé par Christoph Contius en l’église Notre-Dame de Halle. En 1749, il n’hésita pas à recommander à Johann Gottlieb Graun les services d’Heinrich Andreas, qu’il jugeait plus habile encore que Zacharias Hildebrand (l’un des meilleurs facteurs d’orgues de l’époque) en vue de la construction d’un nouvel instrument dans l’Unterkirche à Francfort-sur-l’Oder. Quelques années plus tard, le Cantor remit à Heinrich Andreas une lettre de recommandation assurant que « Le travail de Monsieur Contius sur les orgues et les instruments est si bon et constant qu’il n’y a rien à y redire et rien à souhaiter de plus que tous les travaux de ce genre soient réalisés avec autant de compétence, afin que les maisons de Dieu et tous les autres amateurs d’instruments de musique de ce type ne soient plus bernés par des incapables. »
En 1761, Heinrich Andreas s’installa dans les Pays baltes, où il construisit plusieurs orgues à Riga, Reval (aujourd’hui Tallinn en Estonie) et Libau (aujourd’hui Liepāja en Lettonie). L’instrument qu’il réalisa à Libau à partir de 1774, serti dans le buffet d’un orgue érigé un quart de siècle plus tôt par Johann Heinrich Joachim, comprenait 38 jeux, deux claviers et un pédalier. Il fut ultérieurement agrandi par Carl Alexander Herrmann (1877) et Barnim Grüneeberg (1885) ; ainsi modifié, il comptait 131 jeux et était à l’époque le plus grand orgue mécanique du monde.
L’orgue de l’église de la Sainte-Trinité à Liepāja. Source: Wikipedia
La fille d’un compositeur honoré dans son pays peut-elle se créer une personnalité musicale reconnue ? C’est ce que nous allons découvrir en rencontrant Imogen Holst.
La Britannique Imogen Clare von Holst, connue sous le nom d’Imogen Holst, est une musicologue, compositrice, arrangeuse, cheffe d’orchestre et de chœur, enseignante, et auteure/éditrice qui a également été directrice artistique de festivals. Née le 12 avril 1907 à Richmond, dans le Surrey, elle est décédée le 9 mars 1984 à Aldeburgh, dans le Suffolk. Comme enseignante, elle a joué un rôle important dans l'éducation musicale britannique.
Famille
Imogen est la fille unique de Gustavus Theodore von Holst, (Cheltenham, 21/09/1874 - Londres 25/05/1934) et d’Emily Isobel Harrisson (Londres 26/03/1876 - 16/04/1969). Les jeunes gens, connus comme Gustav Holst et Isobel Harrisson, se rencontrent lors d’un concert londonien organisé par l’Hammersmith Socialist Society. Gustav y dirige le Socialist Choir qu’a rejoint la jeune soprano Isobel. Le mariage a lieu à Londres au Fulham Register Office le 22 juin 1901, dès que la situation financière de Gustav le permet. Isobel se met à la couture pour qu’ils arrivent à assurer les fins de mois.
Isobel Harrisson rejoint les « Independent-spirited women » et travaille, comme chauffeur volontaire, dans le Women’s Reserve Ambulance Corps venant en aide aux personnes dans le besoin pendant la guerre 14-18. En 1923, elle passe 2 mois en Amérique avec son mari et sa fille. Passionnée de décoration, elle préfère la vie à la campagne aux voyages lointains et rejoint plusieurs sociétés : l’English Folk Dance Society, l’Essex Society for Archaeology & History, l’Essex Agricultural Society, et supporte le British Women’s Institute et l’Eglise de Thaxed. Après son décès, le Times du 19 avril 1969 précise dans sa nécrologie qu’elle a été aimable et généreuse et qu’elle apporté, dans la vie de Gustav, grâce, aisance et confort.
Gustavus Theodore von Holst (1874-1934), le père d’Imogen, est connu comme Gustav von Holst puisGustav Holst parce que, en septembre 1918, il supprime officiellement le « von » trop germanique pour pouvoir participer à l’effort de guerre. Il est nommé organisateur musical pour la YMCA (Young Men's Christian Association) au Proche-Orient, basée à Thessalonique.
Tekla Bądarzewska est une pianiste et compositrice polonaise ayant vécu de 1829 à 1861. Sa vie s’est déroulée dans ce qui est maintenant la République de Pologne. Un bref résumé de la situation politique de la Pologne, en particulier de Varsovie, semble indispensable pour comprendre son époque.
La République des Deux Nations, qui unit le Royaume de Pologne et le Grand-Duché de Lituanie en un seul état par l’Union scellée à Lublin le 1er juillet 1569, gouverne la région de 1569 à 1772 avec Cracovie comme capitale. Cracovie et Vilnius sont les sièges de deux Diètes (parlements) et de deux sénats. La Pologne et la Lituanie conservent leurs armées, leurs administrations et leurs lois propres. En 1596, le Roi Sigismond III (1566-1632), de la dynastie suédoise Vasa, déplace la capitale de la Pologne de Cracovie à Varsovie.
Le Royaume de Pologne et le Grand-Duché de Lituanie sont liés par un monarque commun élu à vie par une Diète commune.
Stanislas August Poniatowski (Vowchyn 1732-Saint-Pétersbourg 1798), couronné en 1764, est le dernier Roi de la République des Deux Nations et Grand-Duc de Lituanie. Il entame des réformes mais son pouvoir est fragile. Son règne est marqué par une révolte de nobles contre l’ingérence de la Russie, ce qui provoque un premier partage de la République des Deux Nations. Le pays est amputé d’un tiers de son territoire et de sa population au profit de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche à la suite d’un traité ratifié par la Diète polonaise en 1772.
La promulgation de la Constitution (3 mai 1791) provoque une guerre russo-polonaise et aboutit, en janvier 1793, à un deuxième partage entre la Russie de Catherine II et la Prusse de Frédéric-Guillaume II, sans l’Autriche alors en guerre avec la France. Varsovie reste polonaise. Après l’échec de l’insurrection de 1794 contre les dominations russe et prussienne, commandée par l’officier polonais Tadeusz Kościuszko (qui avait pris part à la guerre d’indépendance des Etats-Unis), un troisième partage efface définitivement la République des Deux Nations en 1795. Varsovie est incorporée au Royaume de Prusse et devient le chef-lieu de la province de Prusse-Méridionale. Stanislas August Poniatowski abdique.
La femme n’est que le gracieux perroquet des imaginations, des pensées, des paroles de l’homme, et le joli petit singe de ses goûts et de ses manies.
C’est notamment ainsi que le Français Edmond Huot de Goncourt (1822-1896), fondateur de l’Académie Goncourt, considère la « femme » dans son Journal, le 25 janvier 1890.
Juliette Folville est une preuve, parmi bien d’autres, de l’inanité de cette citation.
Eugénie Emilie Juliette Folville est née à Liège le 5 janvier 1870. Son père Jacques Hubert Louis Jules Folville, connu sous le prénom de Jules, est un avocat renommé né à Liège le 13 octobre 1827. Il y a épousé en 1868 la Liégeoise Emilie Joséphine Eugénie Ansiaux, née le 19 février 1835, connue sous le prénom d’Emilie, une musicienne de talent, mais « sans profession ». Son grand-père maternel, Emile Louis Ansiaux (1804-1874), un banquier nommé Chevalier de l’Ordre de Léopold, a été juge puis président du tribunal de commerce de Liège. Lors de la naissance de leur fille unique, les parents de Juliette étaient domiciliés 7, rue Lonhienne à Liège et la famille y a vécu, au moins jusqu’au décès de Jules (27 novembre 1890).
Famille
Juliette, enfant unique,est élevée dans une famille de mélomanes, musiciens amateurs de haut niveau. Sa mère Emilie Ansiaux(1835-1929) chante très bien, notamment des œuvres de Jean-Théodore Radoux (1835-1911), directeur du Conservatoire Royal de Musique de Liège de 1872 à 1911. Son père, l’avocat Jules Folville(1827-1890), a suivi, au Conservatoire Royal de Liège, les cours de piano de l’excellent professeur Jules Jalheau (1798-1862), né à Bruxelles de parents liégeois. Ce dernier a été professeur de solfège au Conservatoire de Paris avant d’être appelé, dès 1827, à l’Ecole Royale de Musique et de Chant de Liège nouvellement fondée et qui deviendra le 10 novembre 1831, dès l’indépendance du pays, le premier Conservatoire Royal de Musique de Belgique. Ami de Franz Liszt et adepte de méthodes nouvelles, il y a contribué à la formation de pianistes de valeur comme César Frank (1822-1890). En 1860, il est devenu Chevalier de l’Ordre de Léopold.
« Grossmächtige Prinzessin, wer verstünde nicht »… Il suffit de ces quelques mots sentencieux prononcés par la pimpante Zerbinetta d’Ariadne auf Naxos pour entendre immédiatement la voix d’Edita Gruberova, celle qui en sera à jamais la plus grande interprète. Car elle n’avait rien du rossignol mécanique qui produisait trilles, notes piquées et suraigus sans valeur expressive. Par le biais d’une technique chevronnée, elle hypnotisait son auditoire par la ‘messa di voce’ lui permettant d’augmenter et de diminuer le son sur une note. L’appui sur le souffle lui faisait atteindre l’aigu sans l’amoindrir, lui donnant au contraire une ampleur qui ne compromettait ni la beauté du timbre, ni la perfection de l’intonation.
Comment imaginer aujourd’hui qu’il lui faudra attendre près de dix ans pour parvenir à la gloire ? Née à Raca, un quartier de Bratislava, le 23 décembre 1946, fille d’une mère hongroise et d’un père d’ascendance allemande qui ne s’intéressent pas à la musique, elle doit à sa maîtresse d’école d’être incorporée dans une chorale puis d’être inscrite, dès l’âge de quinze ans, au Conservatoire de Bratislava où elle étudie le piano et le chant dans la classe de Maria Medvecka. En 1967, elle débute au Théâtre de la ville en incarnant Rosina dans un Barbiere di Siviglia produit par ses camarades de l’académie. Elle prend part à un concours à Toulouse, voudrait se rendre en Italie pour se perfectionner, mais éclate le Printemps de Prague avec la répression russe. Plutôt que d’accepter un stage à Leningrad, elle préfère s’engager dans un obscur théâtre de province, à Banska Bystricka, où elle passe de La Traviata aux quatre rôles féminins des Contes d’Hoffmann et à My Fair Lady. Durant l’automne de 1969, elle se rend à Vienne, y trouve un professeur remarquable, Ruthilde Boesch, auditionne à la Staatsoper et y débute le 7 février 1970 avec une Reine de la Nuit qui ne soulève aucune réaction, pas plus que la poupée Olympia qu’elle présente cinq jours plus tard. Néanmoins, le 25 octobre 1970, l’on prête attention à son page Tebaldo dans la nouvelle production de Don Carlos qui a pour têtes d’affiche Franco Corelli, Gundula Janowitz et Nicolai Ghiaurov. Mais l’effet est sans lendemain puisque, entre décembre 1970 et août 1973, elle doit se contenter de quinze rôles secondaires. Bernard Haitink fait inviter, au Festival de Glyndebourne, sa Reine de la Nuit qu’Herbert von Karajan ne présentera au Festival de Salzbourg que le seul soir du 26 juillet 1974. Alors que Graz découvre une première Konstanze dans Die Entführung aus dem Serail et que Vienne ne prête aucune attention à sa première Zerbinetta, ses Poussette de Manon, Glauce de Medea, Oscar du Ballo in Maschera, Oiseau de la forêt de Siegfried, Rosina et Sophie de Der Rosenkavalier, elle tente la formule du récital dans la capitale autrichienne.
Alors que Warner fait paraître l'intégrale des enregistrements studio de Wilhelm Furtwängler, Crescendo Magazine vous propose de relire un texte de Bruno d'Heudières sur l'art de compositeur du maestro.
Un parcours paradoxal
"Je tiens à dire que j'ai commencé comme compositeur bien avant de diriger, et toute ma vie je me suis considéré comme un compositeur qui dirige mais jamais comme un d'orchestre".
Cette profession de foi de Wilhelm Furtwängler illustre bien la place que tenait dans sa vie son activité de créateur. Celle-ci se trouvera favorisée par des dispositions précoces. En effet, il compose son opus 1 à l'âge de 7 ans. A douze ans, alors qu'il a déjà écrit des pièces pour piano, des Lieder et des oeuvres de musique de chambre, il achève La première nuit de Walpurgis pour chanteurs solistes, deux choeurs et orchestre. Deux ans plus tard, en 1900, le compositeur Josef Rheinberger lui enseigne les règles du contrepoint ; puis c'est enfin Max Von Schillings qui achèvera la formation musicale du jeune compositeur. De la musique de chambre, des essais symphoniques et des oeuvres vocales constituent ainsi l'essentiel de sa production de jeunesse qui s'achève en 1909 avec l'imposant Te Deum pour chanteurs solistes, choeur et orchestre. A cette date, Furtwängler alors âgé de 23 ans délaisse quelque peu la composition au profit de la direction d'orchestre, pour entreprendre le parcours légendaire que l'on connaît. Singulièrement, ce sont des "nécessités alimentaires" qui l'orientent dans cette voie. Il confessera en ce sens : "La direction d'orchestre a été le refuge qui m'a sauvé la vie car j'étais sur le point de périr compositeur".
Son activité au pupitre qui s'intensifie jusqu'au début des années '30 ne lui interdit pas quelques incursions dans le domaine de la composition puisqu'on peut relever une allusion au futur Quintette avec piano en ut majeur dans une lettre qu'il écrit en 1915. En outre, le Concerto symphonique pour piano et orchestre en si mineur est très vraisemblablement en gestation dans les années '20. Quoi qu'il en soit, dès 1932, Furtwängler se remet au travail avec assiduité. Une des périodes les plus difficiles de sa vie commence alors, au moment où le nouveau régime se met en place en Allemagne. En 1935, le compositeur achève son Quintette avec piano. A cette date, ayant démissionné de ses fonctions par hostilité contre les autorités nazies, il compose sa Première sonate pour violon et piano en ré mineur, négligeant ainsi ses oeuvres de jeunesse. C'est donc à 49 ans que Furtwängler entame une nouvelle période créatrice, assurément la plus significative. Il termine la première version de son Concerto symphonique pour piano et orchestre en 1936 et écrit sa Deuxième sonate pour violon et piano en ré majeur trois ans plus tard. Dès lors, c'est exclusivement le répertoire symphonique qu'il abordera, des années de guerre jusqu'à sa mort. Il achève sa Première symphonie en si mineur en 1941, et entame en 1943 l'élaboration de la suivante. Il y travaille lorsque Himmler le soupçonne d'avoir été complice de l'attentat contre Hitler en juillet 1944. Furtwängler se réfugie en Suisse en 1945 pour y achever l'orchestration de sa Deuxième Symphonie en mi mineur. Agé de 60 ans, il commence alors à concevoir sa Troisième Symphonie en Ut dièse mineur, en 1946. Les quatre mouvements sont terminés en 1953. Mais lorsque le compositeur s'éteint le 30 novembre 1954, s'il a pu mettre un terme à la seconde version du Concerto symphonique, il n'a pas parachevé l'allegro assai final de son ultime symphonie.
Alors que Warner fait paraître l'intégrale des enregistrements studio de Wilhelm Furtwängler, Crescendo Magazine vous propose de relire un texte de Stéphane Topakian, cheville ouvrière de ce coffret, sur l'art du grand chef.
Misère du chef d'orchestre ! cela devrait être un art, et c'est une exhibition, une comédie... Wilhelm Furtwängler, 1926, Carnets, Ed. Georg.
Le 30 novembre 1954, à Baden-Baden, s'éteint Wilhelm Furtwängler, l'un des plus grands musiciens de notre siècle. Quarante ans après, il demeure étonnamment présent.
Ses enregistrements figurent toujours aux catalogues, pris et repris sous tous les labels, des "majors" aux "pirates" ; ses écrits sont publiés ; son nom cité comme une référence. Pourquoi ? D'autres chefs de sa génération ont marqué de leur génie l'interprétation musicale : Toscanini, Walter, Mengelberg, pour évoquer les plus connus... D'autres interprètes ont parlé haut et fort ou ont écrit : Ansermet, Celibidache. Alors pourquoi Furtwängler représente-t-il un pôle si attractif ? Pourquoi, par-delà les chapelles, les écoles, les tendances nationales, est-il l'archétype du chef d'orchestre et plus encore du musicien interprète ? Voilà bien un mystère que nous n'avons pas la prétention de percer, mais seulement d'approcher, livrant au lecteur les contours d'une vie, d'un style, d'un caractère aussi, lui permettant de cerner ce qui constitue un destin assez exceptionnel, et peut-être de s'interroger sur ce qu'est la musique.
Vuillermoz, dans son histoire de la musique et parlant de Beethoven, remarquait que le public s'attendait à une vie aux détours compliqués vécue par un homme simple, alors que les vies sont souvent banales et les hommes -les âmes- complexes. Furtwängler n'échappe pas à ce trait. Sa vie, son "cursus", est une succession d'épisodes où la volonté personnelle le dispute à l'incidence des événements du monde, et ils furent parfois tragiques, mais, au fond, n'a rien d'extraordinaire, s'il n'y avait au premier plan un être très compliqué, bourré de contradictions, qui s'efforça toute sa vie, et par-delà les contingences, de mettre en pratique des aspirations très profondes et qu'il voulait universelles.
Il y crut toute sa vie durant, gardant le plus souvent par-devers lui -ses carnets les plus intimes ne furent publiés que bien après sa mort- ce qui à ses yeux constituait l'essentiel : l'art au service de l'homme, l'interprète au service de l'art, médiateur entre ce qu'il y a d'éternel dans l'oeuvre d'art et ce qu'il y a de divin en chacun de nous. Peut-être, au soir de sa vie, s'aperçut-il du côté trop idéaliste et illusoire d'une telle démarche, mais pour constater que, s'il y avait divorce, les torts étaient à la charge d'une époque consommatrice de stars (qu'aurait-il pensé aujourd'hui ?) et plus préoccupée de matérialisme que d'idéal artistique. L'homme était dans le siècle, mais ce siècle n'était plus le sien. Il préféra disparaître, presque discrètement, pour ne pas avoir à compromettre. Sans se rendre compte que légion étaient ceux, alors comme aujourd'hui, et sans doute comme demain, qui avaient un besoin de se reconnaître dans cette attitude, de s'identifier à cette démarche esthétique.