A L’Opéra

Sur les scènes d’opéra un peu partout en Europe.

Incandescente Semele au Théâtre des Champs Elysées

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La nouvelle coproduction de l'Opéra Royal de Londres et du Théâtre des Champs Elysées, portée par une distribution homogène,  met à l'honneur les débuts baroques de la soprano sud-africaine Pretty Yende. La mise en scène, fidèle aux standards londoniens, a également tout pour séduire.

Intéressante histoire que la création de Semele en 1744 sous-titré « à la manière d’un oratorio » afin de séduire le plus large public possible… pour ne finalement rencontrer qu’un succès mitigé lors de sa première.  S’il est aujourd’hui un point commun entre Covent Garden et le TCE, peut-être ce dernier réside t’il dans leurs modèles de financements respectifs où la propension des subventions publiques dans les budgets globaux est, sinon nulle –avenue Montaigne- du moins tout à fait marginale -Bow street-. Conséquence logique, le taux de remplissage des productions lyriques est une condition sine qua none de la bonne santé financière de ces deux institutions et implique nécessairement un succès public de chaque production lyrique, se ressentant logiquement sur les mises en scènes.

Derrière l'apparente simplicité de son propos ainsi que son accessibilité manifeste, la production d’Oliver Mears -également directeur de la RBOH-, se caractérise tant par son délicieux soucis du détail ainsi que la multiplicité des niveaux de lecture -pour lesquels les lauriers reviennent également à Sarah Fahie - que par le revirement particulièrement sombre et explicite s’en suivant. L’intrigue est déplacée dans un intérieur cossu des années 70 et la relecture est assurément classiste. Les humains sont désormais le personnel de maison ; les Dieux, les propriétaires. A y regarder de plus près, certains éléments trahissent déjà le dénouement tragique. Le rideau de scène est en réalité une reproduction de la grille de la cheminée et, lorsque ce dernier se soulève pour la première fois. On aperçoit alors Sémélé débarrassant des cendres, que l’on devine être ensuite les restes de son infortunée prédécesseuse, dans une urne funéraire. Trois enfants apparaissent par deux instants. On comprend finalement que ce sont les fruits des précédentes infidélités du maître des lieux, en témoignent les 8 urnes funéraires dissimulées au-dessus de la cheminée.

L’ouverture réussit alors à exposer en moins de 5 minutes non seulement le sort final attendant la protagoniste que les rapports humains régissant l’ensemble des relations des différents personnages. Apparaissent ainsi les avances de Jupiter vers Sémélé et la découverte de ces dernières par Junon justifiant ainsi le mariage imposé avec Athamas. Pour le reste, soulignons le travail d’orfèvre continu aux lumières de Fabiana Piccioli, les décors remarquables d’Annemarie Woods -mention toute particulière à l’antre de Somnus et à sa montagne de bouteilles- ainsi que les chorégraphies de Sarah Fahie, permettant une utilisation particulièrement efficiente des danseurs/comédiens Lauren Bridle, Bridget Lappin, Bailey Pepper et David Rawlins.

Résultats de la Demi-Finale de la Troisième édition du Concours International de Direction d’Orchestre d’Opéra à Liège

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Le Concours International de Direction d’Orchestre d’Opéra s’est poursuivi ce jeudi 13 février avec la Demi-Finale. Lors de cette troisième journée, 6 candidats se sont illustrés dans des extraits d'opéras choisis par le jury. Au programme de cette Demi-Finale, nous retrouvons les mêmes œuvres que lors de l’épreuve précédente, à savoir : I Capuleti e i Montecchi (Bellini), Norma (Bellini), Anna Bolena (Donizetti), Die Entführung aus dem Serail (Mozart), Les Contes dHoffmann (Offenbach), Nabucco (Verdi).

Après cette belle journée musicale pour les artistes et le public, le jury s’est retiré pour délibérer. Ils doivent sélectionner trois candidats pour la Finale ayant lieu ce samedi 15 février 2025.

Mention spéciale pour les solistes, l’orchestre et le chœur pour le travail qu’ils ont fait avec brio pour donner vie à chacune des demandes des candidats.

Voici les trois candidats qualifiés pour la Finale :

  • Johann-Sebastian Guzman (USA/Colombie - 1995)
  • Matteo Dal Maso (Italie - 1997)
  • Sieva Borzak (Russie/Italie - 1997)

Ce vendredi 14 février a lieu la générale pour le concert de clôture. Les 3 finalistes prépareront l’épreuve finale du Concours en dirigeant l’Orchestre avec solistes et Chœurs. Le public et le jury ne pourront pas assister à cette répétition afin que les candidats puissent travailler sans pression.

Un frustrant Or du Rhin à l'Opéra de Paris

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Annoncé comme l’une production phare de cette saison à l'Opéra de Paris, le prélude du Ring laisse l'auditoire sur sa faim musicalement. La pertinence du propos de Bieito demeure à confirmer.

Juger des qualités d'une mise en scène après le seul prologue du Ring relève du non sens, ce dernier n'ayant après tout valeur que de prologue d'une Gesamtkunstwerk donnée en quatre journée. Il est toutefois d'ores et déjà possible de constater quelques lignes directrices. Point de symbolisme pour Calixto Bieito et son équipe, mais bien une nouvelle relecture sociétale, passée cette fois-ci au prisme du transhumanisme, au motif que les ultranantis désireraient la vie éternelle. Dans ce décor unique signé Rebecca Ringst - le Nibelheim étant désormais le sous-sol d'un Walhalla aux allures de tour d'acier- les mots d'ordre sont ainsi sobriété -à l'exception du Nibelheim aussi foisonnant que dérangeant- et projections, signées Sarah Derendinger. Pour le reste, amateurs de poésie et d’esthétique, point de salut pour vous ici ce soir, mais uniquement une dramaturgie abrupte éclairée par les lumières crues de Michael Bauer. Certains points d’ombre demeurent, à l’image du Tarnhelm dont on peine à saisir tant le concept que les effets dans la troisième scène mais, surtout, l’on ne peut s’empêcher si cette grille de lecture technologico-dystopique -initialement prévue pour 2020- survivra bien aux évolutions de son époque. La Walkyrie de la saison prochaine apportera certainement davantage d’éléments de réponse, tant sur l’actualité d’une pareille vision que sur le rôle que les hommes ont à y jouer.

Sur scène après une indisposition remarquée, l’on retrouve Iain Paterson en Wotan. Peut être la rémission n’est elle pas tout à fait parachevée, mais la projection demeure trop légère durant la deuxième scène et la longueur du souffle un peu juste sur certaines phrases, nonobstant un positionnement quasi systématiquement à l’avant-scène. Vers la fin de l’ultime scène, la fatigue devient manifeste dans les graves de la tessiture. Eve-Maud Hubeaux campe en revanche une Fricka impériale, tant dramatiquement que musicalement, avec une projection remarquée dans toutes les positions imposées, grâce à un efficiente utilisation du diamant du soutien. La longueur de souffle, fort bonne, est également remarquée. En Alberich, Brian Mulligan, livre une prestation aux allures de masterclass d’investissement théâtral, des frontières de l’autisme au tréfonds d’une lubricité sordide, le pinacle est peut-être atteint lors de la malédiction de l’anneau durant laquelle ces imprécations se font d’une ampleur rare, accentuées tant par l’ampleur de la projection que par le dramatisme de sa tessiture. Quant à Simon O’Neill, il campe un Loge au timbre ample et voilé, mais faisant état de bons harmoniques aiguës. La clarté de l’articulation ainsi que la mise en place rythmique laissent toutefois par instant à désirer.

Résultats de l’épreuve éliminatoire de la Troisième édition du Concours International de direction d’Orchestre d’Opéra à Liège.

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Le Concours International de Direction d’Orchestre d’Opéra a commencé ce lundi 10 février avec l’épreuve éliminatoire. Cette dernière se déroulait sur deux journés (10 et 11 février). Lors de ces deux journées, 24 candidat.e.s de 18 nationalités différentes et âgé.e.s de 24 à 31 ans, se sont illustré.e.s dans huit ouvertures et préludes. Au programme de cette épreuve inaugurale : Le Domino Noir (Auber), Norma (Bellini), Anna Bolena (Donizetti), Rouslan et Ludmila (Glinka), L’Italiana in Algeri (Rossini), Prodaná nevěsta (Smetana), Nabucco ( Verdi), Die Meistersinger von Nürnberg (Prélude de l’Acte I - Wagner).

Après ces journées intenses pour les artistes et le public, le jury s’est retiré pour délibérer. Ils doivent sélectionner douze candidats pour l’épreuve du quart de finale ayant lieu ce mercredi 12 février.

Voici la liste des candidats admis à poursuivre le Concours :

  • Margaryta Grynyvetska (Ukraine - 1994)
  • Filippo Barsali (Italie - 1999)
  • Jakub Przybycień (Pologne - 1995)
  • Johannes Beranek (Autriche - 1998)
  • Nicolò Azzena (Italie - 1993)
  • Lars Corijn (Belgique - 1996)
  • Matteo Dal Maso (Italie - 1997)
  • Sieva Borzak (Russie/Italie - 1997)
  • Giovanni Conti (Italie - 1996)
  • Johann-Sebastian Guzman (USA/Colombie - 1995)
  • Luis Castillo-Briceño (Costa Rica - 1996)
  • Aram Khacheh (Italie - 1997)

A La Monnaie, le « Götterdämmerung » de Richard Wagner est le beau récit d’une terrible histoire  

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Après le beau conte qu’était son  Siegfried, Pierre Audi nous a offert le beau et terrible récit de son Götterdämmerung. Une nouvelle réussite dans sa pertinence dramaturgique et surtout dans sa façon de se mettre ainsi au service de la musique et du chant, de leur permettre le meilleur épanouissement.

Comme pour  Siegfried, la représentation s’ouvre sur des images d’enfants occupés à un atelier de peinture et de bricolage aux thèmes focalisés sur la chevalerie dans ses grands combats. Le ton est donné : après le conte initiatique de Siegfried - « celui qui ne connaît pas la peur » -, la terrible histoire d’un Crépuscule des dieux, que je ne me risquerai pas à résumer ici. Sachez simplement qu’il y a des philtres magiques, des substitutions de personnes, et donc des confusions tragiques, des traîtrises, des révélations ; Siegfried mourra assassiné, Brünnhilde se jettera dans les flammes de son bûcher funéraire, le Walhalla s’embrasera. 

Aucun réalisme sur le plateau, sinon une épée, la Nothung de Siegfried, une lance, celle qui assassinera ce même Siegfried, un voile de mariée, celui de deux femmes, Brünnhilde et Gutrune. Sur le plateau et suspendus aux cintres, des volumes géométriques de Michael Simon, des parallélépipèdes cuivrés notamment, dont les déplacements subtils délimitent les espaces, rapprochent, opposent ou séparent les protagonistes. C’est un univers abstrait qui s’impose par son pouvoir de suggestion. Mais ce qui sculpte l’espace, ce qui crée des atmosphères incroyables, ce qui est décisif dans notre fascination et dans notre adhésion au spectacle, ce sont les lumières de Valerio Tiberi. Elles sont extraordinaires. Une démonstration incontestable de leur pouvoir dramaturgique.

Nadine Sierra : Une « Traviata » pour l’Histoire

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« La plus grande liberté naît de la plus grande rigueur » écrivait Paul Valéry. Cela me fait penser à la somme de travail acharné et introspectif que cette artiste a dû accomplir pour parvenir à nous faire oublier entièrement que le chant requiert une immense technique et qu’il obéit à toute une série de conditionnements physiologiques et émotionnels. Car la « Traviata » de Nadine Sierra est une œuvre d’art superlative : sa voix jaillit des profondeurs de l´émotion, toute notion de difficulté ou de virtuosité s’effaçant devant ce flot d’émotions que l’artiste nous procure à tout instant. Il est même imprécis de parler seulement de cantatrice car déjà l’actrice a un charisme tellement immense et un jeu tellement nuancé, que sa seule présence et ses mouvements provoquent le frisson : pendant le prélude du troisième acte, elle joue les convulsions phtisiques que la maladie provoque à « Violetta » avec tellement de vérité que le spectateur est pris aux tripes bien avant qu’elle ne commence la lecture de la lettre de Giorgio Germont et qu’elle nous brise le cœur en s’exclamant « È tardi ».

Les frissons seront le fil conducteur de la soirée car, phrase après phrase, elle nous tient toujours en haleine : je ne peux oublier le « Dite alla giovine » pendant la visite du père Germont, déchirant d’émotion dans le plus subtile pianissmo, ou le généreux « Alfredo, di questo core non puoi comprendere » dans le Finale II avec le forte général ou le magnifique « Amami, Alfredo, amami quant´io t´amo ». Pour ne pas parler de ses deux airs : en finissant le récit « È strano  - Ah ! fors’è lui», elle aborde une cadence tellement invraisemblable, avec suraigus, pianissimi, « messe di voce » et autres fioritures, que le public a éclaté en « bravi » brisant toutes les règles et l’empêchant de continuer son « Sempre libera » pendant de longues minutes… Au dernier acte, son «Addio del passato », dans le calme tragique de celle que s’est resignée à l’idée de la mort et à l’abandon de cet amour inattendu, a fait jaillir pas mal de larmes… 

Les inflexions multi facettes de ce diamant qui est la voix de Sierra rappellent ici et là l’élégance de la ligne vocale de Virgina Zeani, les déchirements dans les récits que provoquait Magda Olivero, l’intensité dramatique de Teresa Stratas, les pianissimi éthérés et le contrôle du souffle de Montserrat Caballé, l’apparente fragilité d’Ileana Cotrubas ou d’Angela Gheorghiu, les cadences intemporelles de Renata Scotto, les élans tragiques de Maria Callas et j’en passe. Tout ça est probablement inconscient dans sa performance, mais elle arrive à transcender toutes ces artistes qui l’ont précédé pour recréer un personnage radicalement nouveau qui s’empare pleinement de la psyché du spectateur actuel. L’accueil du public du Liceu a été triomphal, évidemment ! 

A l’Opéra de Wallonie-Liège, un « Tristan und Isolde » à la très belle lisibilité musicale et scénique

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"Tristan und Isolde », un récit légendaire tel que l’a revu et accompli Richard Wagner en juin 1865, est une œuvre fascinante. Elle est exemplaire d’une conception de l’amour identifié à une passion impossible ici-bas et qui ne peut s’accomplir que dans la mort. Une conception reprise et déclinée notamment par le « Roméo et Juliette » de William Shakespeare, « L’Ecume des jours » de Boris Vian ou encore le « Love Story » d’Erich Segal.

Wagner a donc cristallisé le thème : Tristan et Isolde s’aiment d’un amour aussi irrésistible que désespéré, accru par les effets d’un philtre fatal ; un amour qui les contraint à trahir le roi Marke, époux d’Isolde, oncle de Tristan ; un amour qui ne se résoudra que dans leurs morts.

Pour Wagner, dont on connaît les déferlements textuels, c’est l’occasion d’une accumulation de mots, phrases, images, métaphores, qui disent cette impossibilité de vivre pareil amour « au grand jour », qui exaltent « la nuit merveilleuse », qui soulignent l’implacable fatalité dont le terme est une mort exaltée paradoxalement heureuse. Wagner s’est approprié cet amour-passion.

Mais la musique, sa musique, transcende tout cela pour le porter à un incroyable degré d’incandescence. Ce n’est pas le lieu ici d’une analyse musicale qui montrerait comment tous les moyens de l’expression musicale sont revisités pour multiplier ce qui est raconté, ce qui est vécu. Dans le flux continu d’une partition, dans les récurrences des leitmotive, dans les étagements orchestraux, dans les interventions instrumentales solistes (ah ! la clarinette basse ! ah ! le cor anglais !). L’Orchestre de l’Opéra de Wallonie-Liège en a été un interprète vraiment inspiré sous la baguette d’un Giampaolo Bisanti exactement wagnérien. Oui, quelle remarquable lisibilité musicale.

Quant aux solistes, ils ont nourri leurs airs exigeants (et quelles exigences) de leurs « intonations-appropriations personnelles », conjuguant puissance et nuance, densité et intensité. Michael Weinius-Tristan et Lianna Haroutounian-Isolde « sont » leurs personnages dans les éclats ou les retenues de leurs voix, dans leurs duos, dans leurs monologues désespérés ou emportés. Violeta Urmana-Brangäne est « la suivante de la tragédie », celle qui, voulant venir en aide, précipite en fait le cours du destin. Evgeny Stavinsky-Der König Marke exprime toute la déception, toute la douleur incommensurable et toute la grandeur du roi trahi. Quant à Birger Radde, il confère à son Kurwenal une présence vocale et scénique particulière. Il l’impose. Alexander Marev-Melot, Zwakele Tshabalala-jeune marin-berger et Bernard Aty Monga Ngoy-un timonier, complètent avec bonheur l’éventail vocal.

Magistral Don Giovanni incarné par Florian Sempey au Théâtre des Champs-Élysées

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Le 20 janvier dernier, Jeanine Roze Production et Les Grandes Voix ont offert un moment mémorable : une représentation en concert de Don Giovanni de Mozart. La distribution réunissait une légion de chanteurs français et francophones. Parmi eux, Florian Sempey incarnait le rôle-titre avec une maîtrise impressionnante.

Assister à Don Giovanni de Mozart, l’un des plus grands chefs-d’œuvre d’opéra, est toujours un événement — même sans mise en scène, comme ce fut le cas ce soir-là. À la place, une mise en espace de Mohamed El Mazzouji laissait une grande liberté à l’imagination du spectateur. Les chanteurs évoluaient devant l’orchestre, mais aussi parmi les musiciens, avec des entrées et sorties tant à l’avant qu’à l’arrière de la scène. Parfois, la salle elle-même était intégrée, une marche placée côté jardin permettant de rejoindre directement la scène.

Dans la version de Vienne (1788) présentée ce soir-là (malgré la mention « version de Prague » sur le programme), le final montrant la chute du libertin aux enfers, sous des lumières rouges intenses, n’exigeait aucun artifice visuel supplémentaire. La musique de Mozart dit tout, et l’ébranlement ultime du corps suffit à transmettre toute l’intensité dramatique. À cet instant, les cris de Don Giovanni, si arrogant et sûr de lui jusqu’alors, résonnent dans le vide, non sans ironie. Et quels cris ! Ceux de Florian Sempey, magistral.

Tout au long des deux actes, le baryton incarne avec un charisme évident le libertin dévoyé et sans scrupule. Il suit la musique de Mozart avec une intonation de l’italien remarquablement vivante, insistant délibérément sur les accents toniques, parfois jusqu’à générer une certaine violence dans la diction. Ainsi, les paroles se fondent naturellement dans la musique et vice versa, leur conférant une théâtralité saisissante. Au cœur de cette vivacité, la douceur musicale trouve également sa place, notamment dans la célèbre sérénade accompagnée à la mandoline par Anna Schivazappa. À travers ce passage, Florian Sempey révèle avec brio le narcissisme du tyran séducteur. Et quel plaisir pour le public !

Thomas Dolié endosse le rôle de Leporello, plus malin que d’être victime face aux caprices de son maître. Son physique élancé crée un effet de contraste bouffon à l’instar de Don Quichotte et Sancho Pança (mais à l’inverse), tout comme la situation similaire dans laquelle les deux laquais se trouvent. Outre son magnifique timbre de baryton, il déploie avec espièglerie les aigus pour accentuer le caractère de son personnage. Cyrille Dubois en Don Ottavio, remplace au pied levé Léo Vermot-Desroches, de sorte qu’il apparaît sur scène avec sa tablette. Sa voix résonne amplement, sans perdre le caractère confident de certains passages. Louis Morvan, à la fois le commandeur et Masetto, est beaucoup plus convaincant dans le premier que le dernier. Si son Masetto souffre quelque peu de statisme, ce même caractère fonctionne à merveille à la fin de l’opéra, conférant à l’homme de pierre une autorité et une froideur effrayante. 

A l’Opéra de Paris, Castor et Pollux au paradis des hippies

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La deuxième Tragédie lyrique  de Jean Philippe Rameau fut créée en 1737 et, trente ans plus tard, inaugura le nouveau théâtre construit par Gabriel pour le mariage du dauphin avec Marie-Antoinette. 

Le récit mythologique met en scène Castor et Pollux nés d’une même mère, la déesse Léda. L’un est mortel, l’autre pas. Le premier a été tué au combat, le second, fils de Jupiter, descend aux Enfers afin de ramener son frère à la vie à condition qu’il prenne sa place au royaume des morts. Pollux se sacrifie mais Castor s’engage à le rejoindre à l’issue d’une journée sur terre. Les dieux touchés d’un tel amour, rendent les Dioscures immortels et les métamorphosent en étoiles- les Gémeaux. 

En symétrie inversée, Télaïre fille du soleil aime Castor et est aimée de Pollux tandis que Phébé, princesse de Sparte, aime Pollux et tente de le détourner de sa rivale.

Ici, la version d’origine avec Prologue aurait été choisie de préférence à celle de 1754 plus courte et plus souvent représentée (en 2014  au T.C.E. ou à Lille et Dijon dans une remarquable mise en scène de Barrie Kosky).  L’intrigue qui nous est présentée est néanmoins remaniée, empruntant certains éléments à la seconde version et en modifiant d’autres. Mais, le décalage le plus important concerne  le propos central de la tragédie quelle qu’en soit la version.

Pour le librettiste Pierre-Joseph Bernard et pour Rameau, la question cruciale est celle du passage de la condition humaine à la divinisation à travers la mort - sujet abordé  soixante ans plus tôt par les tragédies lyriques de Lully, Thésée et Alceste, admirées du compositeur.

Pour le metteur en scène Peter Sellars, l’enjeu est différent : « il s’agit de montrer comment mettre fin à la guerre ». Ainsi a-t-il rétabli le Prologue parce que « la guerre détruit » et que l’amour répare. « Nous avons besoin de nouvelles étoiles et de diverses lumières. Chaque être humain doit briller de tout son éclat. », précise-t-il, guirlandes de lucioles à l’appui.

A Lausanne, un triomphe pour A Midsummer Night’s Dream

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Pour la période des fêtes, l’Opéra de Lausanne affiche pour la première fois un ouvrage insolite, A Midsummer Night’s Dream de Benjamin Britten. Heureuse initiative de Claude Cortese, le nouveau directeur de l’Opéra de Lausanne, qui convainc Laurent Pelly de venir en personne adapter sa production lilloise de mai 2022 aux dimensions exiguës du plateau lausannois.

Dans un cadre nocturne totalement ouvert, sous un fascinant jeu de lumières conçu par Michel Le Borgne, l’on devine les frimousses des elfes aiguillonnés par un nain Puck d’une stupéfiante agilité, alors que d’invisibles treuils propulsent dans les airs leur roi, Oberon, cherchant querelle à son épouse, Tytania, afin d’avoir à son service un jeune page indien qu’elle s’entête à lui refuser. A un deuxième niveau, se situent les deux couples d’amoureux Lysander-Hermia et Demetrius-Helena, arborant pyjama et nuisette et entrechoquant lits et matelas pour orchestrer leurs différents, surtout lorsque Puck confond les galants en prenant Lysander pour Demetrius et en appliquant sur les yeux du premier le suc d’une herbe magique qui le rendra fou amoureux d’Helena, la promise de son ami. Sur un troisième niveau, terre à terre, se juche la troupe des six artisans qui se sont mis en tête de jouer une tragi-comédie lors des noces de Theseus, duc d’Aquitaine, et de la belle Hippolyta. Mais l’un des leurs, Bottom, s’étant isolé du groupe, se verra coiffé par Puck d’une tête d’âne qui, à sa grande surprise, suscitera les élans passionnés de Tytania, condamnée par Oberon à s’éprendre du premier venu lorsqu’elle s’éveillera. Les sortilèges se dissiperont, la reine croira qu’elle a fait un cauchemar. Et Bottom, libéré de sa coiffe hirsute, rejoindra ses collègues pour ce morceau de roi que sera Pyramus and Thisby. Dans leur vêtement de nuit, sur les lits métalliques mis bout à bout, prennent place les deux couples réconciliés entourés du duc et de sa femme, qui se gaussent de cette irrésistible pantomime passant en revue les poncifs de l’opéra italien. Et Puck tirera le rideau sur cette fantasmagorie qui se dissout dans les profondeurs de la nuit.

Face à cette production captivante, la musique est à diapason égal. Car Guillaume Tourniaire qui avait dirigé les représentations lilloises connaît parfaitement cette partition et sait mettre en valeur le génie de l’orchestration. Il sollicite chaque pupitre de l’Orchestre de Chambre de Lausanne pour créer un univers sonore fascinant à partir des glissandi des cordes graves suscitant les visions oniriques, tandis que le célesta caractérise Oberon. Le tambour et la trompette dessinent le nain Puck, quand cuivres et bois s‘en donnent à cœur joie pour dépeindre les grotesques, avant de doubler les violons pour faire sourdre les tourments de la passion. Admirable, la prestation de la Maîtrise Opéra du Conservatoire de Lausanne préparée par Pierre-Louis Nanchen, qui est d’une précision rythmique ahurissante dans chaque intervention des elfes.