Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

Benjamin Grosvenor, une clôture magistrale du 16ème Biarritz Piano Festival 

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Créé il y a quinze ans par le pianiste Thomas Valverde, le Biarritz Piano Festival s'est imposé comme un des grands rendez-vous estival dédié au clavier. Sa programmation éclectique est à l'image du directeur artistique lui-même, qui est à l'affiche de la première des deux fins d'après-midi gratuites en extérieur prolongées par un DJ set, ainsi que de la soirée de danse, à la gare du Midi, avec l'une des institutions du genre, le Malandain Ballet Biarritz. Les récitals à l'Espace Bellevue, promontoire sur l'océan, accueillent les grands noms de la nouvelle génération du piano, tels Lucas Debargue en ouverture, ou encore le jeune prodige Ryan Wang. L'accent sur la jeunesse se retrouve avec Gabriel Durliat, qui, à 24 ans, se confirme comme l'un des talents les plus prometteurs d'aujourd'hui. Élargi également à la musique de chambre, avec le duo formé par Simon Ghraichy avec le contrebassiste Marc André, ou le trio I Giardini, le festival se referme avec Benjamin Grosvenor, pour une clôture qui se révèle comme un condensé de son excellence artistique.

A l'exception peut-être du pittoresque de plein air, on évoque rarement assez la place et les interactions de l'environnement avec le concert en lui-même. Avec ses nuances de confession intimiste comme sait si bien les dessiner Schumann, les pastels expressifs de la première pièce de la soirée, Blumenstück op. 19, que révèle avec fluidité le soliste britannique, s'harmonise avec la blancheur du crépuscule entourant les spectateurs de la rotonde de l'Espace Bellevue. Équilibrée entre élans et pudeur, l'interprétation de ce double thème et variations écrit alors que le père de Clara Wieck s'opposait encore à son mariage avec Robert Schumann, et qui évoque les effusions de l'amour à la manière de l'éclosion des fleurs, se fait comme l'antichambre naturel d'une œuvre majeure composée à la même époque, la Fantaisie op.17.

Festival Bach à Saint-Donat: tradition et modernité en résonance

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À Saint-Donat-sur-l’Herbasse, entre les vallées de la Drôme, le Festival Bach a célébré sa 63ᵉ édition sous le thème « Héritage, Transmission, Filiation ». Né dans l’après-guerre pour sceller l’amitié franco-allemande, il trouve son cœur dans la musique de Bach et dans un orgue inspiré des instruments allemands de son époque, devenu le symbole sonore et historique de la manifestation.

De l’accent français à l’héritage universel de Bach

Dirigé depuis cinq ans par Franck-Emmanuel Comte, également directeur artistique du Concert de l’Hostel-Dieu et de La Chapelle de la Trinité à Lyon, le Festival Bach de Saint-Donat conjugue la musique du Cantor avec des esthétiques plus contemporaines. Le dernier jour de cette 63ᵉ édition, deux concerts illustraient cette ouverture : un récital orgue-clavecin par Jean-Luc Ho autour du programme « Bach francophone » et le concert de clôture « Bach to minimalism » par le Concert de l’Hostel-Dieu.

Dans la Collégiale Saint-Pierre & Saint-Paul, Jean-Luc Ho ouvre son récital en évoquant un souvenir marquant : sa première venue en 2001 pour écouter Rinaldo Alessandrini sous le thème de Bach à l’italienne. En contrepoint à ce souvenir, il propose cette fois une exploration de « l’accent français ». Dans son commentaire introductif, quelques exemples au clavecin montrent comment Bach copiait et ornait les œuvres de maîtres français. Puis l’organiste prend place à la tribune de l’orgue, construit en 1968 grâce aux recettes des premières éditions du Festival et inauguré par Marie-Claire Alain. Il enchaîne la Pièce d’orgue BWV 572, la Canzona en ré mineur BWV 588 et An Wasserflüssen Babylon BWV 653b, entourées du Trio en sol d’André Raison et du Récit de tierce en taille de Nicolas de Grigny. Ho rappelle que la passacaille de Raison inspira directement Bach, et qualifie la Pièce d’orgue de « fantaisie à la française ».

À l’Abbaye de Lessay, "Le Messie" de Haendel sans chef par Liberati

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Le 1er août 2025, dans le cadre des Heures musicales de l’abbaye de Lessay, le Chœur et Orchestre Liberati a proposé au public une interprétation audacieuse et stimulante du Messie de Haendel. Loin d’une simple exécution d’un monument, ce concert s’est imposée comme une véritable expérience musicale, interrogeant profondément nos habitudes d’interprétation, bousculant les conventions de direction et, par ricochet, les habitudes d’écoute.

L’abbaye Sainte-Trinité de Lessay et ses Heures musicales, haut lieu de musique baroque

Située dans la Manche, face à l’île anglo-normande de Jersey, l’abbaye Sainte-Trinité de Lessay est un chef-d’œuvre de l’art roman normand. Fondée au XIe siècle, détruite à plusieurs reprises, puis reconstruite à l’identique après la Seconde Guerre mondiale, l’église paroissiale actuelle — qui possède l’un des premiers croisés d’ogives gothiques — bénéficie d’une acoustique remarquable. Celle-ci fait tout le prestige des Heures musicales, festival de la musique ancienne et baroque dont la 32e édition se déroule jusqu’au 12 août. Le Messie donné ce soir-là en a offert une démonstration éclatante.

Liberati : un chœur et orchestre animé par un idéal de liberté musicale

Créé en 2022 par l’organiste Benjamin Alard (actuellement engagé dans l’enregistrement intégral de l’œuvre pour orgue de Bach), la soprano et violoniste Saskia Salembier et le claveciniste Marc Meisel, Liberati Orchestre et Chœur revendique une approche collaborative et libérée des schémas hiérarchiques habituels. Refusant le modèle traditionnel du chef d’orchestre, ils placent chaque musicien au cœur du processus d’interprétation. Le nom de l’ensemble, Liberati, incarne cet élan vers une liberté musicale assumée.

Le Liverpool Oratorio à Monte-Carlo

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Chaque été, le Prince Albert II de Monaco convie l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo (OPMC) à se produire dans la somptueuse Cour du Palais Princier. Ces concerts, d’une rare élégance, exigent une tenue de soirée, et les places — en nombre limité — s’arrachent rapidement.

En prélude à sa dixième saison et dernière, au titre de Directeur musical et artistique de l’OPMC, le chef japonais a choisi de diriger une œuvre ambitieuse et peu connue du grand public : le Liverpool Oratorio de Paul McCartney. Un concert symbolique, car Kazuki Yamada, qui est également le directeur musical du City of Birmingham Symphony Orchestra a convié le choeur à prendre part à ce concert. 

C’est une partition de grande envergure nécessitant un dispositif exceptionnel : un orchestre philharmonique au complet, les 180 chanteurs du City of Birmingham Symphony Orchestra Chorus, le Chœur d’enfants de l’Académie Rainier III… Impossible d’accueillir une telle production en plein air dans la Cour du Palais Princier : c’est donc le Grimaldi Forum, et plus précisément la Salle des Princes (1 864 places, 1 000 m² de scène, dont 690 m² de plateau), qui a été mobilisé. Dans le public, mélomanes avertis, amateurs de McCartney et inconditionnels des Beatles.

C’est en 1991, dans le cadre des célébrations du 150e anniversaire de l’Orchestre de Liverpool, que Paul McCartney, épaulé par le chef Carl Davis pour l’orchestration, s’est lancé dans la composition de son premier oratorio. L’œuvre, écrite pour solistes, chœur mixte, chœur d’enfants et orchestre symphonique, fut créée dans la cathédrale de Liverpool. Résultat : une fresque musicale audacieuse, en huit mouvements, librement inspirée de la vie de McCartney lui-même.

Les Musicales de Normandie au Musée Michel Ciry : 3 concerts, 3 époques, 3 univers

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Le festival Les Musicales de Normandie existe depuis 2006. Pour sa vingtième édition, il propose cinquante concerts, pendant tout l’été, dans une trentaine de lieux parmi les plus caractéristiques du patrimoine architectural des départements de Seine-Maritime et de l’Eure (ex-Haute-Normandie). Sa programmation frappe par sa diversité, « du récital au grand orchestre ». Par exemple, un récital solo le 25, et un orchestre le 26. Les 27, 28 et 30, nous étions dans l’entre-deux avec trois concerts de musique de chambre, dans des registres très différents toutefois, car la diversité de ce festival ne s’exprime pas seulement par les formations invitées, mais également par le contenu musical.

Quant au lieu, c’était le même pour ces trois soirées presque consécutives : le Musée Michel Ciry à Varengeville (76), du nom d’un peintre, graveur et dessinateur qui s’y est installé dans les années 1960, et qui a créé lui-même ce musée. Les concerts ont lieu dans une salle d’exposition, de sorte que les musiciens et le public sont, tout autour d’eux, en présence de nombreuses toiles de cet artiste qui n’avait pas que ces talents picturaux, puisqu’il était également écrivain et... compositeur ! Il avait été élève de Nadia Boulanger (tout comme Philip Glass, dont plusieurs pièces seront jouées lors du troisième concert). Dans la salle derrière celle où ont lieu les concerts, visible par une bonne partie du public, trône un piano à queue Gaveau de 1920 que ses parents avaient reçu en cadeau de mariage, et sur lequel il a composé la plupart de ses œuvres.

Des douleurs du XXe siècle, avec le Trio Hélios

Fondé en 2014 par le pianiste Alexis Gournel, la violoniste Camille Fonteneau (remplacée en 2023 par Eva Zavaro) et le violoncelliste Raphaël Jouan, le Trio Hélios est en passe de devenir un ensemble de référence dans le paysage musical français. Dans leur formation initiale, ils ont gravé deux CD, qui ont été accueillis avec beaucoup d’enthousiasme par la presse spécialisée.

Leur programme, d’une densité et d’une élévation exceptionnelles, reprenait en partie celui de leur premier CD, consacré à de la musique française, avec le Trio de Maurice Ravel et deux pièces de Lili Boulanger. Il se terminait avec le Trio N° 2 de Dmitri Chostakovitch (qu’ils n’ont, pour le coup, pas enregistré).

Une nouvelle ère pour le Festival international d’opéra baroque de Beaune

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La 43e édition du Festival international d’opéra baroque de Beaune (4-27 juillet) s’est achevée sous les meilleurs auspices, avec Agrippina de Haendel par Les Épopées et le programme « Janua » de l’Ensemble Irini. Succédant à Anne Blanchard et Kader Hassissi, qui ont façonné l’identité artistique du festival pendant plus de quarante ans, Maximilien Hondermarck signe une première programmation fidèle à l’esprit de Beaune, tout en affirmant sa propre vision.

Renouvellement des formats, enracinement dans la cité

Parmi les axes forts du projet retenu lors de son recrutement, le jury soulignait une « ambition artistique […] à la fois novatrice et respectueuse de l’histoire du Festival » selon le communiqué de presse. Dès cette édition, les propositions inédites se sont multipliées : nouveaux formats, nouveaux lieux, nouvelles figures.

L’un de ces exemples est sans doute la promenade musicale dans le centre historique de Beaune conçue par Les Traversées Baroques, l’ensemble basé à Dijon. Chaque halte historique devient le théâtre d’une chanson, souvent de la Renaissance, interprétée par la soprano Jeanne Bernier — timbre cristallin, diction limpide, émission naturelle — en binôme avec une guide-conférencière. Certaines pièces sont reprises en chœur par les participants, instaurant une proximité conviviale. Le parcours s’achève dans la Chapelle de la Charité, dont l’acoustique enveloppante et l’intimité ont convaincu l’équipe du festival d’y programmer plusieurs concerts.

Autre nouveauté conviviale : les bars d’entracte, inaugurés cette année, ont offert aux spectateurs un espace de convivialité propice aux échanges informels. Les « Conversations », rencontres en marge des concerts avec certains artistes, ont permis un dialogue direct autour de leur approche et de leur répertoire. Cette volonté d’ouverture se reflète également dans la programmation, riche en artistes signalés « débuts à Beaune » dans le livre-programme. Certains noms, pourtant bien établis sur la scène baroque — Alex Potter, Benjamin Alard, Thomas Hobbs, Olivier Fortin et son Ensemble Masques, Jean-Luc Ho —, y participaient pour la première fois. À leurs côtés, la relève s’affirme avec des jeunes voix prometteuses telles que Juliette May, Marie Théoleyre, Camille Chopin ou Apolline Raï-Wastphal.

Vivifiants Concertos de Vivaldi et de Haydn par Le Concert de la Loge

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Le festival Les Musicales de Normandie existe depuis 2006. Pour sa vingtième édition, il propose cinquante concerts, pendant tout l’été, dans une trentaine de lieux parmi les plus caractéristiques du patrimoine architectural des départements de Seine-Maritime et de l’Eure (ex-Haute-Normandie). Sa programmation frappe par sa diversité, « du récital au grand orchestre ». La veille, c’était un récital solo. Cette fois, un orchestre (grand, il est vrai, plutôt par la qualité que par la quantité).

Le lieu, c’était la sublime Collégiale Notre-Dame d’Auffay à Val-de-Scie (76), et son immense nef gothique, qui dégage une sensation lumineuse et sereine qui se prêtait magnifiquement au programme proposé. 

Quant à l’orchestre, c’était Le Concert de la Loge, un ensemble à géométrie variable sur instruments d’époque qui est en train de prendre une place de tout premier plan dans le paysage français, voire international, de la musique dite « historiquement informée ». Il a été créé il y a dix ans maintenant, par le violoniste Julien Chauvin, pour faire revivre un ensemble de la fin du XVIIIe siècle qui avait été l’un des plus réputés en Europe : Le Concert de la Loge Olympique, du nom d’une loge maçonnique. Malheureusement, notre ensemble contemporain a dû renoncer au mot « Olympique » dans son titre pour des questions juridiques de risque de confusion avec certaines instances sportives.

Pour ce concert, il était en petite formation : un seul instrument à cordes par partie et clavecin (ainsi que deux hautbois et deux cors pour l’une des œuvres). Le programme était composé exclusivement de concertos, avec deux compositeurs : Antonio Vivaldi et Joseph Haydn.

Pour commencer, du premier, deux concertos pour deux violons : le très célèbre en la mineur, RV 522, et le plus confidentiel (malgré ses atouts certains, et notamment son final explosif) en sol mineur, RV 517. En solistes, Julien Chauvin bien sûr, et Roxana Rastegar, qui forment un duo très homogène, tout en ayant chacun leurs propres choix d’ornements. C’est un Vivaldi résolument ensoleillé qu’ils nous proposent, sans effets pittoresques ni excès de dynamiques, mais avec une belle variété dans les attaques de notes, ce qui fait souvent tout le sel de cette musique tellement pétillante. Ils ne craignent pas un certain lyrisme, et jouent à merveille de l’excellente acoustique du lieu.

Place à Haydn, le compositeur associé à cet ensemble, dans la mesure où c’est Le Concert de la Loge Olympique qui lui avait commandé les Six Symphonies dites « parisiennes » en 1785. Elles ont donné lieu aux premiers enregistrements de son successeur (sur plusieurs années, et selon une formule originale : une symphonie par album, couplée avec des œuvres contemporaines parisiennes, peu connues, pour quatre d’entres elles ; un double album avec le Stabat Mater, également composé à Paris, pour les deux autres). C’est dire si Haydn est au cœur des préoccupations musicales du Concert de la Loge (Vivaldi, du reste, en fait également partie, puisque l’ensemble a consacré trois albums à ses concertos pour violon – dont les incontournables Quatre Saisons).

Éric-Maria Couturier et Jean-Sébastien Bach en leurs jardins, au gré du vent

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Le festival Les Musicales de Normandie existe depuis 2006. Pour sa vingtième édition, il propose cinquante concerts, pendant tout l’été, dans une trentaine de lieux parmi les plus caractéristiques du patrimoine architectural des départements de Seine-Maritime et de l’Eure (ex-Haute-Normandie). Sa programmation frappe par sa diversité.

Son deuxième concert, inclassable, l’illustre bien. Son titre : « Les sept préludes ». Le site du festival nous explique qu’il s’agit « d’un programme musical original, en écho de la montagne de la Sainte-Baume et de la légende provençale qui dit que Marie-Madeleine vécut dans une grotte, au cœur d’une forêt ancestrale, d’où elle était élevée sept fois par jour par les anges pour rejoindre son bien-aimé ». Puis il précise : « Chevauchées par les six préludes des célèbres Suites de J.S. Bach, des improvisations préfigurent alors un septième Prélude, imaginé et joué dans l’instant par le violoncelliste Éric-Maria Couturier, comme un couronnement final. L’interprétation est unique et différente à chaque représentation parce qu’elle entre en résonance avec le lieu. » 

En cette matinée (le concert avait lieu à 11 h), ce lieu était le Jardin d’art Terre d’Accord à La Chapelle-sur-Dun (76), un domaine botanique où sont disséminées les sculptures épurées et apaisantes de Robert Arnoux. Un lieu particulièrement inspirant, donc. Par un temps instable, une bâche avait été installée pour protéger d’une éventuelle pluie. Le public, venu nombreux, y tient à peine. Derrière Éric-Maria Couturier, seul sur scène avec son violoncelle et son dispositif d’amplification, notre vue pouvait se perdre sur de nombreuses espèces d’arbres, parmi lesquelles, tout au fond, une rangée d’immenses peupliers.

Quant aux improvisations, et aux Préludes des Suites de Bach, le principe était simple : celui de l’alternance, chaque Prélude étant précédé d’une improvisation, telle un prélude au Prélude

Festivités Montpelliéraines sous la direction de Roderick Cox

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40 ans, ça se fête ! Le Festival Radio France Occitanie Montpellier souffle une jolie bougie supplémentaire. Avec une multitude de concerts dans différents lieux, la ville bat au rythme d’une programmation variée (baroque, classique, jazz et musique du monde) durant plus de deux semaines.

De grandes formations musicales s’alternent chaque soir à l’Opéra Berlioz du Corum. L’orchestre maison de la ville, qui a une place à part dans le cœur du public, est invité pour l’avant-dernier concert du Festival. Sous la baguette de leur nouveau directeur musical, le chef d’orchestre américain Roderick Cox, l’Orchestre National de Montpellier tisse un lien entre 3 grands noms du XIXe siècle : Brahms, Schumann et Dvořák.

Inspiré du poème Hyperion de Friedrich Hölderlin, Johannes Brahms termine en 1871 son poignant Schicksalslied op. 54 pour chœur et orchestre. Au cours des 3 strophes, le compositeur convoque la force des dieux antiques et des habitants du ciel avant de se faire plus sombre, où la douleur des hommes chancelle dans un gouffre infini. Cette œuvre se termine tout de même sur une possible rédemption de la destinée humaine.Préparés par leur cheffe de chœur, Noëlle Gény, les chanteurs ont pris le parti de défendre la lumière qui émane de ce Chant du Destin. Ils s’emparent avec retenue et puissance des mots du philosophe allemand. Dès les premières mesures, les voix d’altos donnent le ton. La clarté sera le maître-mot. Le chœur brûle par sa ferveur et sa conviction. L’Orchestre, quant à lui, réussit à prendre toute sa place nécessaire, en particulier le pupitre de violoncelle qui se révèle admirablement. 

Après Brahms, comment ne pas penser à Schumann ? La soirée se poursuit donc avec cette filiation évidente entre les deux compositeurs romantiques. D’abord conçue comme une fantaisie pour piano et orchestre, dédiée à sa chère Clara, Robert Schumann étoffera son œuvre de deux autres mouvements, enchaînés, pour devenir le Concerto pour piano en la mineur op. 54 créé en 1845. Le jeune pianiste français Jonathan Fournel, premier prix du prestigieux Concours Reine Elisabeth en 2021, s’attaque à ce monument du répertoire où alterne lyrisme et délicatesse. Dès le début du premier mouvement allegro affettuoso, le hautbois d’une solennité magistrale ouvre la voie à un piano tout en retenu. Le son perlé de Jonathan Fournel est d’une précision salutaire. Jamais dans le pathos, le jeune pianiste évite quelques clichés. Après un premier mouvement, nourri par une longue et sincère salve d'applaudissements (!), l’intermezzo laisse apparaître la baguette légère du chef. Toujours dans la mesure, Roderick Cox dégage une sobriété appréciée, laissant la place à une clarinette évanescente. Enfin, l’allegro vivace permet au pianiste de prendre toute sa place et de nous montrer davantage sa personnalité. Le style y est plus singulier et incisif. Visiblement très ému, Jonathan Fournel reprend ses esprits et offre en bis l’Intermezzo op. 177 n°2 de Brahms. La boucle est bouclée.

Brahms en fil rouge au Festival International de Colmar

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L’un des points forts du Festival International de Colmar est sans aucun doute le partage de l’affiche entre jeunes artistes tout juste sortis du conservatoire et grands solistes internationaux installés depuis de nombreuses années. 48 ans séparent la naissance de Tom Carré, premier soliste de la journée, et celle de Grigory Sokolov, en clôture de soirée. 

La journée a donc débuté par un récital du jeune pianiste français Tom Carré. Nous avons pu entendre les Quatre Klavierstücke Op.119 de Brahms, les Danses de Marosszék de Zoltán Kodály, trois préludes de Rachmaninov (No. 4-5-6 de l’opus 23) ainsi que la Sonate No.4 en ut mineur Op.29 de Prokofiev. Tom Carré brille par la lisibilité de son jeu. Que ce soit dans les traits les plus virtuoses ou les passages polyphoniques, chaque note est très justement prononcée, nous permettant ainsi de profiter pleinement de ces magnifiques pièces. Impassible, le français nous a offert en bis une interprétation tout en introspection de La vallée des cloches de Ravel. Par cette lecture très personnelle de cette pièce, Tom Carré prouve qu’il est d’ores et déjà un musicien mature, capable de faire transparaître son univers dans son jeu.