Le 1er août 2025, dans le cadre des Heures musicales de l’abbaye de Lessay, le Chœur et Orchestre Liberati a proposé au public une interprétation audacieuse et stimulante du Messie de Haendel. Loin d’une simple exécution d’un monument, ce concert s’est imposée comme une véritable expérience musicale, interrogeant profondément nos habitudes d’interprétation, bousculant les conventions de direction et, par ricochet, les habitudes d’écoute.
L’abbaye Sainte-Trinité de Lessay et ses Heures musicales, haut lieu de musique baroque
Située dans la Manche, face à l’île anglo-normande de Jersey, l’abbaye Sainte-Trinité de Lessay est un chef-d’œuvre de l’art roman normand. Fondée au XIe siècle, détruite à plusieurs reprises, puis reconstruite à l’identique après la Seconde Guerre mondiale, l’église paroissiale actuelle — qui possède l’un des premiers croisés d’ogives gothiques — bénéficie d’une acoustique remarquable. Celle-ci fait tout le prestige des Heures musicales, festival de la musique ancienne et baroque dont la 32e édition se déroule jusqu’au 12 août. LeMessie donné ce soir-là en a offert une démonstration éclatante.
Liberati : un chœur et orchestre animé par un idéal de liberté musicale
Créé en 2022 par l’organiste Benjamin Alard (actuellement engagé dans l’enregistrement intégral de l’œuvre pour orgue de Bach), la soprano et violoniste Saskia Salembier et le claveciniste Marc Meisel, Liberati Orchestre et Chœur revendique une approche collaborative et libérée des schémas hiérarchiques habituels. Refusant le modèle traditionnel du chef d’orchestre, ils placent chaque musicien au cœur du processus d’interprétation. Le nom de l’ensemble, Liberati, incarne cet élan vers une liberté musicale assumée.
Chaque été, le Prince Albert II de Monaco convie l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo (OPMC) à se produire dans la somptueuse Cour du Palais Princier. Ces concerts, d’une rare élégance, exigent une tenue de soirée, et les places — en nombre limité — s’arrachent rapidement.
En prélude à sa dixième saison et dernière, au titre de Directeur musical et artistique de l’OPMC, le chef japonais a choisi de diriger une œuvre ambitieuse et peu connue du grand public : le Liverpool Oratorio de Paul McCartney. Un concert symbolique, car Kazuki Yamada, qui est également le directeur musical du City of Birmingham Symphony Orchestra a convié le choeur à prendre part à ce concert.
C’est une partition de grande envergure nécessitant un dispositif exceptionnel : un orchestre philharmonique au complet, les 180 chanteurs du City of Birmingham Symphony Orchestra Chorus, le Chœur d’enfants de l’Académie Rainier III… Impossible d’accueillir une telle production en plein air dans la Cour du Palais Princier : c’est donc le Grimaldi Forum, et plus précisément la Salle des Princes (1 864 places, 1 000 m² de scène, dont 690 m² de plateau), qui a été mobilisé. Dans le public, mélomanes avertis, amateurs de McCartney et inconditionnels des Beatles.
C’est en 1991, dans le cadre des célébrations du 150e anniversaire de l’Orchestre de Liverpool, que Paul McCartney, épaulé par le chef Carl Davis pour l’orchestration, s’est lancé dans la composition de son premier oratorio. L’œuvre, écrite pour solistes, chœur mixte, chœur d’enfants et orchestre symphonique, fut créée dans la cathédrale de Liverpool. Résultat : une fresque musicale audacieuse, en huit mouvements, librement inspirée de la vie de McCartney lui-même.
Le festival Les Musicales de Normandie existe depuis 2006. Pour sa vingtième édition, il propose cinquante concerts, pendant tout l’été, dans une trentaine de lieux parmi les plus caractéristiques du patrimoine architectural des départements de Seine-Maritime et de l’Eure (ex-Haute-Normandie). Sa programmation frappe par sa diversité, « du récital au grand orchestre ». Par exemple, un récital solo le 25, et un orchestre le 26. Les 27, 28 et 30, nous étions dans l’entre-deux avec trois concerts de musique de chambre, dans des registres très différents toutefois, car la diversité de ce festival ne s’exprime pas seulement par les formations invitées, mais également par le contenu musical.
Quant au lieu, c’était le même pour ces trois soirées presque consécutives : le Musée Michel Ciry à Varengeville (76), du nom d’un peintre, graveur et dessinateur qui s’y est installé dans les années 1960, et qui a créé lui-même ce musée. Les concerts ont lieu dans une salle d’exposition, de sorte que les musiciens et le public sont, tout autour d’eux, en présence de nombreuses toiles de cet artiste qui n’avait pas que ces talents picturaux, puisqu’il était également écrivain et... compositeur ! Il avait été élève de Nadia Boulanger (tout comme Philip Glass, dont plusieurs pièces seront jouées lors du troisième concert). Dans la salle derrière celle où ont lieu les concerts, visible par une bonne partie du public, trône un piano à queue Gaveau de 1920 que ses parents avaient reçu en cadeau de mariage, et sur lequel il a composé la plupart de ses œuvres.
Des douleurs du XXe siècle, avec le Trio Hélios
Fondé en 2014 par le pianiste Alexis Gournel, la violoniste Camille Fonteneau (remplacée en 2023 par Eva Zavaro) et le violoncelliste Raphaël Jouan, le Trio Hélios est en passe de devenir un ensemble de référence dans le paysage musical français. Dans leur formation initiale, ils ont gravé deux CD, qui ont été accueillis avec beaucoup d’enthousiasme par la presse spécialisée.
Leur programme, d’une densité et d’une élévation exceptionnelles, reprenait en partie celui de leur premier CD, consacré à de la musique française, avec le Trio de Maurice Ravel et deux pièces de Lili Boulanger. Il se terminait avec le Trio N° 2 de Dmitri Chostakovitch (qu’ils n’ont, pour le coup, pas enregistré).
La 43e édition du Festival international d’opéra baroque de Beaune (4-27 juillet) s’est achevée sous les meilleurs auspices, avec Agrippina de Haendel par Les Épopées et le programme « Janua » de l’Ensemble Irini. Succédant à Anne Blanchard et Kader Hassissi, qui ont façonné l’identité artistique du festival pendant plus de quarante ans, Maximilien Hondermarck signe une première programmation fidèle à l’esprit de Beaune, tout en affirmant sa propre vision.
Renouvellement des formats, enracinement dans la cité
Parmi les axes forts du projet retenu lors de son recrutement, le jury soulignait une « ambition artistique […] à la fois novatrice et respectueuse de l’histoire du Festival » selon le communiqué de presse. Dès cette édition, les propositions inédites se sont multipliées : nouveaux formats, nouveaux lieux, nouvelles figures.
L’un de ces exemples est sans doute la promenade musicale dans le centre historique de Beaune conçue par Les Traversées Baroques, l’ensemble basé à Dijon. Chaque halte historique devient le théâtre d’une chanson, souvent de la Renaissance, interprétée par la soprano Jeanne Bernier — timbre cristallin, diction limpide, émission naturelle — en binôme avec une guide-conférencière. Certaines pièces sont reprises en chœur par les participants, instaurant une proximité conviviale. Le parcours s’achève dans la Chapelle de la Charité, dont l’acoustique enveloppante et l’intimité ont convaincu l’équipe du festival d’y programmer plusieurs concerts.
Autre nouveauté conviviale : les bars d’entracte, inaugurés cette année, ont offert aux spectateurs un espace de convivialité propice aux échanges informels. Les « Conversations », rencontres en marge des concerts avec certains artistes, ont permis un dialogue direct autour de leur approche et de leur répertoire. Cette volonté d’ouverture se reflète également dans la programmation, riche en artistes signalés « débuts à Beaune » dans le livre-programme. Certains noms, pourtant bien établis sur la scène baroque — Alex Potter, Benjamin Alard, Thomas Hobbs, Olivier Fortin et son Ensemble Masques, Jean-Luc Ho —, y participaient pour la première fois. À leurs côtés, la relève s’affirme avec des jeunes voix prometteuses telles que Juliette May, Marie Théoleyre, Camille Chopin ou Apolline Raï-Wastphal.
Le festival Les Musicales de Normandie existe depuis 2006. Pour sa vingtième édition, il propose cinquante concerts, pendant tout l’été, dans une trentaine de lieux parmi les plus caractéristiques du patrimoine architectural des départements de Seine-Maritime et de l’Eure (ex-Haute-Normandie). Sa programmation frappe par sa diversité, « du récital au grand orchestre ». La veille, c’était un récital solo. Cette fois, un orchestre (grand, il est vrai, plutôt par la qualité que par la quantité).
Le lieu, c’était la sublime Collégiale Notre-Dame d’Auffay à Val-de-Scie (76), et son immense nef gothique, qui dégage une sensation lumineuse et sereine qui se prêtait magnifiquement au programme proposé.
Quant à l’orchestre, c’était Le Concert de la Loge, un ensemble à géométrie variable sur instruments d’époque qui est en train de prendre une place de tout premier plan dans le paysage français, voire international, de la musique dite « historiquement informée ». Il a été créé il y a dix ans maintenant, par le violoniste Julien Chauvin, pour faire revivre un ensemble de la fin du XVIIIe siècle qui avait été l’un des plus réputés en Europe : Le Concert de la Loge Olympique, du nom d’une loge maçonnique. Malheureusement, notre ensemble contemporain a dû renoncer au mot « Olympique » dans son titre pour des questions juridiques de risque de confusion avec certaines instances sportives.
Pour ce concert, il était en petite formation : un seul instrument à cordes par partie et clavecin (ainsi que deux hautbois et deux cors pour l’une des œuvres). Le programme était composé exclusivement de concertos, avec deux compositeurs : Antonio Vivaldi et Joseph Haydn.
Pour commencer, du premier, deux concertos pour deux violons : le très célèbre en la mineur, RV 522, et le plus confidentiel (malgré ses atouts certains, et notamment son final explosif) en sol mineur, RV 517. En solistes, Julien Chauvin bien sûr, et Roxana Rastegar, qui forment un duo très homogène, tout en ayant chacun leurs propres choix d’ornements. C’est un Vivaldi résolument ensoleillé qu’ils nous proposent, sans effets pittoresques ni excès de dynamiques, mais avec une belle variété dans les attaques de notes, ce qui fait souvent tout le sel de cette musique tellement pétillante. Ils ne craignent pas un certain lyrisme, et jouent à merveille de l’excellente acoustique du lieu.
Place à Haydn, le compositeur associé à cet ensemble, dans la mesure où c’est Le Concert de la Loge Olympique qui lui avait commandé les Six Symphonies dites « parisiennes » en 1785. Elles ont donné lieu aux premiers enregistrements de son successeur (sur plusieurs années, et selon une formule originale : une symphonie par album, couplée avec des œuvres contemporaines parisiennes, peu connues, pour quatre d’entres elles ; un double album avec le Stabat Mater, également composé à Paris, pour les deux autres). C’est dire si Haydn est au cœur des préoccupations musicales du Concert de la Loge (Vivaldi, du reste, en fait également partie, puisque l’ensemble a consacré trois albums à ses concertos pour violon – dont les incontournables Quatre Saisons).
Le festival Les Musicales de Normandie existe depuis 2006. Pour sa vingtième édition, il propose cinquante concerts, pendant tout l’été, dans une trentaine de lieux parmi les plus caractéristiques du patrimoine architectural des départements de Seine-Maritime et de l’Eure (ex-Haute-Normandie). Sa programmation frappe par sa diversité.
Son deuxième concert, inclassable, l’illustre bien. Son titre : « Les sept préludes ». Le site du festival nous explique qu’il s’agit « d’un programme musical original, en écho de la montagne de la Sainte-Baume et de la légende provençale qui dit que Marie-Madeleine vécut dans une grotte, au cœur d’une forêt ancestrale, d’où elle était élevée sept fois par jour par les anges pour rejoindre son bien-aimé ». Puis il précise : « Chevauchées par les six préludes des célèbres Suites de J.S. Bach, des improvisations préfigurent alors un septième Prélude, imaginé et joué dans l’instant par le violoncelliste Éric-Maria Couturier, comme un couronnement final. L’interprétation est unique et différente à chaque représentation parce qu’elle entre en résonance avec le lieu. »
En cette matinée (le concert avait lieu à 11 h), ce lieu était le Jardin d’art Terre d’Accord à La Chapelle-sur-Dun (76), un domaine botanique où sont disséminées les sculptures épurées et apaisantes de Robert Arnoux. Un lieu particulièrement inspirant, donc. Par un temps instable, une bâche avait été installée pour protéger d’une éventuelle pluie. Le public, venu nombreux, y tient à peine. Derrière Éric-Maria Couturier, seul sur scène avec son violoncelle et son dispositif d’amplification, notre vue pouvait se perdre sur de nombreuses espèces d’arbres, parmi lesquelles, tout au fond, une rangée d’immenses peupliers.
Quant aux improvisations, et aux Préludes des Suites de Bach, le principe était simple : celui de l’alternance, chaque Prélude étant précédé d’une improvisation, telle un prélude au Prélude.
40 ans, ça se fête ! Le Festival Radio France Occitanie Montpellier souffle une jolie bougie supplémentaire. Avec une multitude de concerts dans différents lieux, la ville bat au rythme d’une programmation variée (baroque, classique, jazz et musique du monde) durant plus de deux semaines.
De grandes formations musicales s’alternent chaque soir à l’Opéra Berlioz du Corum. L’orchestre maison de la ville, qui a une place à part dans le cœur du public, est invité pour l’avant-dernier concert du Festival. Sous la baguette de leur nouveau directeur musical, le chef d’orchestre américain Roderick Cox, l’Orchestre National de Montpellier tisse un lien entre 3 grands noms du XIXe siècle : Brahms, Schumann et Dvořák.
Inspiré du poème Hyperion de Friedrich Hölderlin, Johannes Brahms termine en 1871 son poignant Schicksalslied op. 54 pour chœur et orchestre. Au cours des 3 strophes, le compositeur convoque la force des dieux antiques et des habitants du ciel avant de se faire plus sombre, où la douleur des hommes chancelle dans un gouffre infini. Cette œuvre se termine tout de même sur une possible rédemption de la destinée humaine.Préparés par leur cheffe de chœur, Noëlle Gény, les chanteurs ont pris le parti de défendre la lumière qui émane de ce Chant du Destin. Ils s’emparent avec retenue et puissance des mots du philosophe allemand. Dès les premières mesures, les voix d’altos donnent le ton. La clarté sera le maître-mot. Le chœur brûle par sa ferveur et sa conviction. L’Orchestre, quant à lui, réussit à prendre toute sa place nécessaire, en particulier le pupitre de violoncelle qui se révèle admirablement.
Après Brahms, comment ne pas penser à Schumann ? La soirée se poursuit donc avec cette filiation évidente entre les deux compositeurs romantiques. D’abord conçue comme une fantaisie pour piano et orchestre, dédiée à sa chère Clara, Robert Schumann étoffera son œuvre de deux autres mouvements, enchaînés, pour devenir le Concerto pour piano en la mineur op. 54 créé en 1845. Le jeune pianiste français Jonathan Fournel, premier prix du prestigieux Concours Reine Elisabeth en 2021, s’attaque à ce monument du répertoire où alterne lyrisme et délicatesse. Dès le début du premier mouvement allegro affettuoso, le hautbois d’une solennité magistrale ouvre la voie à un piano tout en retenu. Le son perlé de Jonathan Fournel est d’une précision salutaire. Jamais dans le pathos, le jeune pianiste évite quelques clichés. Après un premier mouvement, nourri par une longue et sincère salve d'applaudissements (!), l’intermezzo laisse apparaître la baguette légère du chef. Toujours dans la mesure, Roderick Cox dégage une sobriété appréciée, laissant la place à une clarinette évanescente. Enfin, l’allegro vivace permet au pianiste de prendre toute sa place et de nous montrer davantage sa personnalité. Le style y est plus singulier et incisif. Visiblement très ému, Jonathan Fournel reprend ses esprits et offre en bis l’Intermezzo op. 177 n°2 de Brahms. La boucle est bouclée.
L’un des points forts du Festival International de Colmar est sans aucun doute le partage de l’affiche entre jeunes artistes tout juste sortis du conservatoire et grands solistes internationaux installés depuis de nombreuses années. 48 ans séparent la naissance de Tom Carré, premier soliste de la journée, et celle de Grigory Sokolov, en clôture de soirée.
La journée a donc débuté par un récital du jeune pianiste français Tom Carré. Nous avons pu entendre les Quatre Klavierstücke Op.119 de Brahms, les Danses de Marosszék de Zoltán Kodály, trois préludes de Rachmaninov (No. 4-5-6 de l’opus 23) ainsi que la Sonate No.4 en ut mineur Op.29 de Prokofiev. Tom Carré brille par la lisibilité de son jeu. Que ce soit dans les traits les plus virtuoses ou les passages polyphoniques, chaque note est très justement prononcée, nous permettant ainsi de profiter pleinement de ces magnifiques pièces. Impassible, le français nous a offert en bis une interprétation tout en introspection de La vallée des cloches de Ravel. Par cette lecture très personnelle de cette pièce, Tom Carré prouve qu’il est d’ores et déjà un musicien mature, capable de faire transparaître son univers dans son jeu.
Pour sa troisième année à la direction artistique du Festival International de Colmar, Alain Altinoglu continue d’attirer les plus grands artistes et les ensembles les plus prestigieux. Lors de cette édition 2025 nous pouvons notamment citer Gautier Capuçon, Bertrand Chamayou et Yuja Wang, ou encore le Mahler Chamber Orchestra et les Belgian Brass. Comme on ne change pas une formule à succès, deux à trois concerts sont proposés chaque jour, faisant la part belle aux jeunes artistes, aux ensembles de musique de chambre installés et aux plus grandes stars internationales.
Ce 9 juillet, nous avons pu assister à deux magnifiques concerts. Le premier, à 18h, fut assuré par Anastasya Terenkova au piano et Georgi Anichenko au violoncelle. Ils nous ont proposé un programme retraçant l’évolution de l’écriture pour leur formation. Nous avons ainsi pu entendre la Sonate pour violoncelle et piano de Claude Debussy, la Fantasiestücke Op.73 de Robert Schumann, les Sept Variations sur le thème “Bei Männern, welche Liebe fühlen” de La flûte enchantée, en mi bémol majeur, WoO 46 de Beethoven ainsi que la Sonate pour violoncelle et piano en la mineur, Op.36 d’Edvard Grieg. Georgi Anichenko a livré une prestation exceptionnelle, usant de toutes les ressources de son instrument pour donner vie à ces magnifiques pièces. La finesse déployée dans son Beethoven, le déchirement ressenti dans son interprétation du premier mouvement de Grieg et l’énergie palpable tout au long du concert furent un véritable régal. Anastasya Terenkova a quant à elle livré une prestation légèrement plus contrastée. Nous avons parfois manqué de matière, notamment dans le Debussy, où elle a plus pris un rôle d’accompagnatrice que de chambriste. Malgré tout, la douceur de son jeu et sa palette de nuances piano furent le terreau de moments tout simplement magiques. En bis, nous avons pu entendre le mouvement lent d’une sonate de Jean-Sébastien Bach.
La Symphonie n°3 de Mahler a été donnée à l'Arsenal de Metz pour clôturer la saison. Pour ce faire deux orchestres, à savoir l'Orchestre national de Metz Grand Est et l'Orchestre national de Mulhouse, se sont alliés sur scène pour un total de 153 musiciens afin d'atteindre les dimensions requises par son compositeur. L'exigence est bien de mise pour respecter cette symphonie. Du point de vue de la composition de son orchestre, elle demande, outre une dimension orchestrale plus importante que celle de celui de Haydn ou de Mozart, avec des cordes, des vents et des percussions plus nombreux et plus virtuoses, des chœurs ; ici le Chœur philharmonique de Strasbourg, le chœur de Haute Alsace et le chœur des enfants du conservatoire Gabriel Pierné – Eurométropole de Metz.
Si la Shéhérazade de Rimsky-Korsakov du concert précédent permettait déjà d'apprécier les qualités de l'orchestre national de Metz Grand Est, à savoir la luisance de ses cordes, l'éclat de ses cuivres, et surtout une balance admirable des pupitres, le défi du chef d'orchestre David Reiland avec cette symphonie de Mahler est plus ambitieux. Ainsi, la Shéhérazade est une œuvre moins longue, moins ambitieuse et nécessitant un moins grand orchestre que la troisième Symphonie n°3 de Mahler, nonobstant elle en prépare le chemin.
Dépassant l'architecture classique de l'orchestre haydenien avec les cordes comme élément central, simplement agrémenté de quelques percussions et vents, l'orchestre ici, proche de ceux des Russes comme ceux de Rimsky-Korsakov et Tchaïkovski, qui font déjà dialoguer ces pupitres de natures différentes, donnent à la rencontre des cordes et des vents, nourrie des percussions, une perspective religieuse.
Le premier mouvement s' ouvre sur un univers très brisé, moderne en ce sens, dans lequel les cuivres dominent. Progressivement l'harmonie monte avec l'apport des autres vents. Puis avec les cordes au deuxième mouvement. Plus que d'un simple dialogue musical entre les cordes et les vents, comme dans la Shéhérazade de Rimsky-Korsakov, plus même qu'une simple dialectique philosophique, la Symphonie n°3 de Mahler est un dépassement religieux vers un état d'apaisement divin, raison pour laquelle les chœurs comme autant d'anges arrivent, et la soprano qui parle d'éternité.