Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

Un Fabio Luisi des grands soirs à Bozar !

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Ce dimanche 16 juin a lieu le concert du Dallas Symphony Orchestra à Bozar. La phalange américaine est placée sous la baguette de son directeur musical, le chef italien Fabio Luisi. En soliste, nous retrouvons la violoniste allemande Anne-Sophie Mutter. Au programme de cette soirée, deux œuvres : le Concerto pour violon N°2 de John Williams et la Cinquième Symphonie en do# mineur de Gustav Mahler.

Le concert commence avec le Concerto pour violon N°2 de John Williams. Ce concerto est une commande d’Anne-Sophie Mutter elle-même à son ami John Williams. La pièce a été créée en 2021 à Tanglewood par la violoniste allemande avec le Boston Symphony Orchestra sous la direction du compositeur américain. Cette œuvre démontre à merveille la polyvalence compositionnelle de Williams. 

Ce concerto est composé de quatre mouvements : Prologue, Rounds, Dactyls et Epilogue. Chacun de ces mouvements à son propre caractère. Dès le Prologue, Anne-Sophie Mutter doit immédiatement montrer sa virtuosité, ce qu’elle fait avec brio. Le deuxième mouvement, Rounds, nous rappelle quelque peu Debussy par l’orchestration qu’utilise Williams. Cette partie de la pièce met toujours la violoniste à l’honneur. Le troisième mouvement, Dactyls, nous mène à la cadence avec l’appui des timbales et de la harpe. Notons d’ailleurs le rôle crucial de cette dernière dans l’ensemble du concerto. En effet, ses nombreuses interventions ponctuent la pièce du début à la fin. Pour dire son importance, la harpe est placée au premier rang de l’orchestre entre les violoncelles et les seconds violons, les altos se retrouvant derrière elle. Le dernier mouvement, Epilogue, ramène la tranquillité pour conclure ce concerto en beauté.Mutter doit y faire preuve d’une virtuosité exceptionnelle. De son côté, l’orchestre de grande envergure doit être très précis dans toutes ses interventions et c’est ce qu’il fait. Fabio Luisi y est pour quelque chose. Sa battue est d’une clarté ne pouvant qu’unir ses musiciens autour d’Anne-Sophie Mutter.

60e anniversaire du festival de la Grange de Meslay : le premier week-end, piano en majesté

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PHOTO GERARD PROUST
8 JUIN 2024 GRANGE DFE MESLAY
60 ANS FETES MUSICALES EN TOURAINE
ROSE RICHTER PLANTATION

En 1963, à l’occasion de son récital à Tours, Sviatoslav Richter a eu un coup de cœur pour la grange du XIIIe siècle. Dès l’année suivante, il crée un festival qui fête cette année ses 60 ans. Le vendredi 7 juin, Jonathan Biss ouvre la festivité avec un magistral récital Schubert, suivi d’un autre récital de piano par Dmitry Masleev le samedi 8 et un majestueux concert par la basse Alexander Roslavets avec Andrei Korobeinikov au piano. Un week-end de haute volée, d’une extraordinaire concentration musicale et humaine.

Si le nom du pianiste américain Jonathan Biss n’est pas encore familier du grand public français, son concert avec l’Orchestre de chambre de Paris en mai dernier l’a fait connaître un peu plus, d’autant que son programme était bien original : il s’agit du concert The Blind Banister de Timo Andres (1985-), dans le cadre du projet Beethoven/5, commande de cinq concertos pour piano en relation avec ceux de Beethoven. Mais à Meslay, il captive l’audience avec les deux dernières sonates de Schubert. Ses subtiles oscillations de tempo bercent nos oreilles tout au long du récital. Chaque noire ou chaque croche, écrites de la même manière sur la partition, n’ont pourtant jamais la même valeur. Elle se dilate ici et se rétrécit là, la différence est si infime que cela est à peine perceptible. Or, ce balancement est organique. Sans s’en apercevoir, on suit ses notes et attend ce qui va venir, pour éprouver le malin plaisir de goûter un millième de seconde de moins ou de plus par rapport à la mesure qui reste, elle, intransigeante. Un péché mignon des mélomanes, assurément. Si la lenteur du deuxième mouvement du D. 960 est absolument extraordinaire, son voyage intérieur est tel qu’on ne la sent plus. En l’écoutant, on perd totalement -et nous insistant sur ce mot- la notion habituelle du temps. Ou le temps n’existe plus. Pour autant, il ne cherche jamais d’effet, Biss joue tout simplement Schubert. Mais c’est bien du Schubert filtré par Biss. À travers ces sonates, le pianiste exprime sa personnalité qui ne prend jamais le dessus sur le compositeur. L’équilibre est tout aussi subtil que le balancement, il est minutieusement mis en place jusqu’à devenir complètement naturel. Et on sait que c’est un des signes d’une personnalité musicale exceptionnelle. Ce fut un moment suspendu, et ce moment fut la musique de Schubert. 

Le récital de Dmitry Masleev le samedi soir a une tout autre allure. D’abord le programme, constitué de courtes pièces -la plus conséquente reste Un Nuit sur le Mont chauve de Moussorgski / Tchernov. La soirée est parsemée de quelques (relatives) raretés, comme des Nocturnes de Glinka et de Balakirev, ou de Fragments, extraits de Trois pièces de Rachmaninov (1917). Sa qualité, indéniable, est un lyrisme dans des moments calmes ou dans des pièces lentes. Ni exacerbés ni sentimentaux, ces moments sont de véritables méditations. Introspectives, songeuses ou absorbées, son interprétation brille d’une sonorité cristalline et apaisante. Dans son jeu, quelques ornements sont étincelants, comme un sursaut d’éclat qui illumine tout avant de retomber dans un état contemplatif.

Arcadi Volodos à Flagey

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C’est dans un Studio 4 de Flagey très bien rempli et plongé dans une quasi pénombre qu’Arcadi Volodos arrive à pas mesurés sur la scène où seuls sont éclairés le beau Steinway et l’interprète. 

Comme le faisait également Radu Lupu, le pianiste se dispense du classique tabouret réglable en hauteur en faveur d’une simple chaise à dossier contre lequel -en dépit de ce qu’enseignent peu près tous les pédagogues de la planète- il se cale fermement, ce qui chez d’autres devrait entraîner une crispation des arrière-bras mais ne semble aucunement affecter le natif de Leningrad. Se produisant dans un programme de choix ne comportant aucun tube du répertoire, Volodos entame la soirée par la Sonate n° 16 en la mineur, D. 845 de Schubert, certainement l’une des plus belles et profondes du compositeur viennois. Tordant le cou au cliché du Schubert aimable, il investit le premier mouvement d’une constante tension et d’une grandeur qui confine par moments au tragique. Comme on pourra le constater tout au long de ce récital, la maîtrise du pianiste est tout simplement confondante : non seulement il n’existe pas pour lui de difficultés techniques, mais cette virtuosité apparemment dépourvue de tout effort alliée à la noblesse de la conception ainsi qu’à une invariable beauté et profondeur de son (ah, ces forte toujours pleins et veloutés) et à la réelle humilité d’une interprétation entièrement mise au service de la musique dans un respect total de la partition le met au niveau de géants d’un passé encore récent, tels Claudio Arrau, Emil Gilels ou Jorge Bolet. 

Ouverture du festival Saint-Michel-en-Thiérache

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Aux frontières belges, l’abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache accueille, du 2 au 30 juin, la 38e édition de son festival. Dédiée à la musique ancienne et baroque, la manifestation propose chaque dimanche deux ou trois concerts sous un thème spécifique. En ouverture du festival, les deux concerts du 2 juin dernier exprimaient « les voix de la nature ».

Dans la matinée, la quintessence du sentiment de la nature est magnifiée à travers des madrigaux Mormorii e sospiri de Monteverdi, par un ensemble espagnol Cantoria. Puis, dans l’après-midi, Christina Pluhar et L’Arpeggiata présentent leur nouveau programme « Terra mater » avec des œuvres de divers compositeurs des XVIe et XVIIIe siècles.

Le jeune quatuor vocal Cantoria est venu dans un effectif élargi, renforcé de deux voix et d’une basse continue. Et il n’est pas dans son répertoire habituel, qui est la polyphonie vocale de la Renaissance ibérique. C’est même la première fois que les musiciens présentent des pièces de Monteverdi en concert ! Des extraits choisis à partir de différents livres de madrigaux parlent de la tranquillité d’esprit et d’état méditatif, de la joie et de la douleur d’amour, à travers des oiseaux, des étoiles, d’eau, des feuilles… Les voix y sont toujours accompagnées d’instruments, y compris les pièces d’avant le cinquième livre où on voit justement l’apparition de la basse continue. Parmi les chanteurs, les sopranos Inés Alonso et Marta Redaelli, l’alto Oriol Guimerà et la basse Victor Cruz impressionnent par leurs timbres riches et par une expressivité qui leur est propre. Leurs chants incarnent différents affects avec intensité. La justesse et l’incarnation des deux sopranos sont à couper le souffle, si bien que le temps est suspendu dans l’église abbatiale. Lorsque Victor Cruz s’aventure dans les aigus inhabituels pour sa tessiture, la concentration vocale rend l’expression plus vive et l’auditoire est littéralement captivé. Le programme est complété de quelques pièces instrumentales d’autres compositeurs contemporains de Monteverdi (Uccellini, Falconieri et Merula), diversifiant encore davantage le plaisir de la musique. 

Un Requiem allemand à Strasbourg

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L’orchestre philharmonique de Strasbourg sous la direction de Aziz Shokhakimov, le chœur de l’Orchestre de Paris, le baryton français Ludovic Tézier,et la soprano sud-africaine Pretty Yende sont en tournée pour offrir un Requiem allemand (ein deutsches Requiem) de Brahms.

Œuvre autant intime grâce à son utilisation des voix – Brahms composa nombre de lieder, et de chœurs ainsi qu’une magnifique Rhapsodie pour alto, tant par goût que pour vivre – et massive avec l’ajout de l’orchestre, ce requiem permit au compositeur de grandir hors de son angoisse de ne pas être capable, de rédiger une symphonie, surtout après la mort de Beethoven. Œuvre tenant à la fois de la neuvième symphonie que du Missa solemnis de Beethoven, Brahms reprend également ici aussi l’humanisme de compositeur de Bohn. Un sentiment de sobriété, de Nuchternheit pour le dire en Allemand, ébranlée par la mort, une confiance en soi fragilisée par la certitude de sa fin émane de cette œuvre extime, et lui confère son humanité.

Il faut saluer ici le chœur qui montre une droiture, une intimité et une harmonie remarquables pour des amateurs. Il en ferait presque oublier son poids sur l’orchestre. Il ne démérite en effet pas non plus, lui qui grandit à partir des violoncelles et contrebasses, et qui reprend de façon si belle le motif d’élan brisé parcourant l’œuvre. 

A Genève, un virtuose ahurissant, Nikolay Khozyainov

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Grâce à une association des amis de l’artiste soutenue par la Fondation Francis et Marie-France Minkoff, se produit, au Victoria Hall de Genève, Nikolay Khozyainov, un pianiste russe époustouflant qui aura trente-et-un ans à la mi-juillet. Diplômé du Conservatoire de Moscou, il y aurait débuté à l’âge de sept ans, avant de paraître à Munich et à Francfort, au Théâtre des Champs-Elysées, au Wigmore Hall de Londres, à Carnegie Hall, au Suntory Hall de Tokyo. Il poursuit actuellement ses études à la Hochschule für Musik de Hanovre auprès d’Arie Vardi, tout en développant une activité intense en tant que compositeur. Et l’on peut se demander pourquoi il est si peu connu.

Interloqué par un programme exigeant incluant la Troisième Sonate de Scriabine, la Rhapsodie Espagnole de Liszt et les Tableaux d’une Exposition, je me glisse dans le public avec une certaine méfiance, annihilée immédiatement par la sonorité ample mais dépourvue de toute dureté émanant des premières mesures de l’opus 23 de Scriabine. La pédale de droite prolonge l’intensité des graves qui soutient les élans dramatiques du début, auxquels répond un cantabile d’une extrême fluidité, innervé d’inflexions pathétiques. L’Allegretto tient de la chevauchée fantastique, brièvement interrompue par une halte rêveuse, alors que l’Andante cultive une poésie interrogative que suscite une main gauche anxieuse. Et le Final s’édifie par les contrastes dynamiques virulents aboutissant à un motif de choral, anguleux dans sa proclamation victorieuse, avant de sombrer dans le néant.

A Genève, un Roberto Devereux mi-figue mi-raisin

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Comme dernier spectacle de la saison 2023-2024, le Grand-Théâtre de Genève affiche le troisième volet de la pseudo-trilogie Tudor, Roberto Devereux, tragédie lyrique en trois actes que Gaetano Donizetti écrivit pour le Teatro San Carlo de Naples qui en assura la création le 28 octobre 1837 avec l’une des grandes voix de soprano drammatico di agilità de l’époque, Giuseppina Ronzi de Begnis. 

Comme pour Anna Bolena présentée en octobre 2021 et Maria Stuarda proposée en décembre 2022, Mariame Clément assume la mise en scène en collaborant avec Julia Hansen pour les décors et costumes et avec Ulrik Gad pour lumières, signant ainsi la plus convaincante des trois productions. Grâce à un plateau coulissant, l’on découvre la lisière d’un bois où Elisabeth Ière pose pour un portrait ou médite sous la neige, encadrant une salle de palais privée de tout faste et la chambre à coucher de la Duchesse de Nottingham, pourvue d’une lampe de chevet électrique et d’une commode héritée de nos grands-mères… Curieuse idée que celle de faire porter smoking et nœud papillon aux courtisans, tandis que les dames sont engoncées dans leur robe noire à collerette pour broder à l’ouvroir, pendant que la souveraine livre l’un des finals les plus tragiques de Donizetti. Tout aussi saugrenus, le chemisier blanc et pantalon de soie violet de la Duchesse Sara, le complet avec gilet style Phileas Fogg de son époux, le costume de ville vert bouteille de Roberto Devereux, tandis que la seule qui impressionne véritablement est la reine vierge avec ce blanc sépulcral sur le visage et les vêtements d'apparat légués par les portraits de Gheeraerts, George Gower et Quentin Metsys et l’incarnation de Glenda Jackson à l’écran. Et c’est sur elle que Mariame Clément focalise sa mise en scène en épiant ses anxiétés inavouées que l’étiquette réprime, ses ordres péremptoires que son cœur réprouve, son délire hallucinatoire alors que le couperet met fin à ses rêves de passion inassouvie.

A Genève, un Orchestre Symphonique de Vienne clinquant 

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Pour une tournée de concerts englobant Berne, Genève, Zurich et Lucerne, le Service Culturel Migros invite une formation renommée, les Wiener Symphoniker, sous la direction de Petr Popelka,  maestro pragois, qui deviendra leur chef attitré à partir de la saison 2024-2025. 

Le programme commence par le Concerto pour violoncelle et orchestre en si mineur op.104 d’Antonín Dvořák  qui a pour soliste Julia Hagen, faisant valoir à l’âge de 29 ans une rare maturité. A une introduction qui cultive les contrastes d’éclairage avec un cor solo jouant pianissimo, elle répond par des traits à l’arraché donnant consistance à sa sonorité. Puis elle ne se laisse pas décontenancer par un accompagnement empesé par des bois envahissants pour livrer un cantabile expressif, tout en conservant une sobriété réservée, irisée de mille nuances. Sous un magnifique legato, elle développe ensuite l’Adagio en jouant subtilement de l’accentuation pour lui conférer un tour pathétique qui s’étiolera dans les mesures conclusives. Le Final est emporté par de nerveux tutti d’une précision extrême, auxquels elle fait écho par des formules virtuoses à la pointe sèche que diluera la coda en demi-teintes nostalgiques. Face à l'accueil enthousiaste des spectateurs, Julia Hagen fait appel à l’alto solo de l’orchestre pour présenter une Lullaby (Berceuse) de Rebecca Cline, toute de poésie intimiste. 

Attention, Musiques Fraîches !, 5 créations comme 5 continents

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Je rejoins Flagey (et la pluie le long des étangs) pour la nouvelle édition d’Attention, Musiques Fraîches !, une des contributions de Musiques Nouvelles à la vigueur de la création, après le spectacle de fin d’année des élèves de l’école de cirque de Marchin – Latitude 50 étonne par l’acuité de sa programmation, parfois contaminée par la musique contemporaine, comme le rappelle la violoncelliste Eugénie Defraigne, mêlée au public du Studio 1 pour applaudir Virgine Tasset, la jeune compositrice qui ornait il y a peu de ses miniatures le show case de l’album Echos de la Terre, du Trio O3.

Présenté par Jean-Paul Dessy, dirigeant de l’ensemble, chaque compositeur introduit, en quelques phrases et selon l’angle de sa préférence, l’œuvre qu’il confie pour sa création à la dizaine d’instrumentistes – dont la soprano Elise Gäbele, voix de Thus spoke Rossetti, « inqualifiable » pièce en trois mouvements de Claude Evence Janssens, tromboniste et saxophoniste classique de formation, tôt inspiré par le jazz, puis par cette veine de l‘agrégation des courants (classique, jazz, R&B, world…), venu il n’y a pas si longtemps à la composition contemporaine (« inqualifiable », donc), péché transgressif répété (devenu alors « impardonnable »), porté ici par cinq textes de la poétesse anglaise progressiste du 19ème siècle Christina Rossetti : on y parle d’amour et de vie, de la finitude de l’un et de l’autre, que Janssens évoque par une émotion à la fois grave et tournoyante. Emue elle aussi, Virginie Tasset parle de sa pièce D’un souffle comme un récit en progression, qui part du… souffle, attise une braise, génère une étincelle, la transforme en flamme, grandie en un brasier et culminant en incendie : cet avancement chaleureux prend place au travers, notamment, de la finesse (empreinte de tendresse) des interactions entre les instruments – les pincements de la guitare acoustique à 10 cordes d’Hughes Kolp, ceux du piano de Xavier Locus (servi dans ses écarts par sa grande taille), la frappe des maillets de Mathias De Amicis ; le court thème échangé entre la flûte de Berten D’Hollander et le violon de David Núñez. J’avais eu l’attention titillée à la découverte de ses interludes à Arsonic, la voici éveillée.

« Ravel et l’Espagne » par Les Siècles : des couleurs et du théâtre

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Ce concert risque malheureusement de rester dans les mémoires davantage comme étant le premier que François-Xavier Roth aura été contraint de renoncer à diriger, par suite de l’article « Un chef d'orchestre qui mène son monde à la braguette » paru le matin même dans Le Canard Enchaîné, que pour son contenu musical propre, pourtant réel.

Qui n’aurait pas su tout cela ne l’aurait sans doute pas soupçonné lors de ce concert. Les Siècles ont été fondés en 2003. Les musiciens, inévitablement bouleversés (ne serait-ce que parce que cela fragilise grandement leur avenir professionnel), étaient souriants, particulièrement avenants vis-à-vis d’Adrien Perruchon (qui malgré une brillante carrière ne fait pourtant pas toujours l’unanimité auprès des instrumentistes qu’il dirige). Sans doute lui étaient-ils reconnaissants d’avoir pu assurer ainsi, au pied levé, la direction de ce concert, sans en changer le programme, et surtout en donnant une impression d’aisance remarquable étant donné le contexte. Et, en effet, il faut saluer cette performance.

Ravel et L'Espagne, donc. L’idée est on ne peut plus pertinente, quand on sait à quel point ce pays a influencé le compositeur. À vrai dire, il faudrait plutôt parler de l’idée qu’il s’en faisait, à travers, notamment, les très nombreux musiciens espagnols qui venaient en France à cette époque. Car Ravel n’est allé en Espagne qu’à l’approche de la cinquantaine, bien après avoir écrit presque toutes les œuvres de ce concert (à l’exception du Bolero). 

La première partie, purement instrumentale, commençait par Alborada del Gracioso. Les cordes, très présentes, donnent une sonorité un peu massive à la pièce. Malgré la plus extrême liberté laissé au basson dans ses solos, cette « Aubade du bouffon » a un peu de mal à décoller.