Bien sûr, comparaison n’est pas raison (que vise au fond cet adage sot bien plus basé sur un jeu de sonorités -un bon point- que sur du sens ?) et 2021 est un anniversaire (séculaire) qui ne se répète pas chaque année, mais l’édition 2022 du Donaueschinger Musiktage, malgré, ou à cause de, sa bonne tenue, de ses habits de gendre du dimanche -celui qui a son missel à lui à l’église (la blanche Christuskirche, éclairée de bleu pour une soirée Now Jazz d’improvisation si convenue qu’on y cherche encore la spontanéité, trop peu nourrie de la fraîcheur de la violoncelliste Tomeka Reid et de son instrument, gris marbre)-, de l’approfondissement du consensus par un public peut-être engourdi par la pandémie/la guerre/l’inflation, qui disperse son discernement au travers d’applaudissements amollis, cette édition donc, pourtant porteuse d’espoirs avec sa floppée de compositeurs à découvrir, sa dizaine de concerts, du plus petit (un inattendu duo de trombones) au plus grand effectif (l’Orchestre Symphonique de la SWR réparti en trois plateaux), son organisation soignée (un peu tatillonne, aux Donauhallen sous alerte policière, quant au type de sac interdit en salle mais parfois aussi banni du vestiaire -à caser alors dans le « blauer Bus » sur le parking (mais t’as vu la file ?), son environnement sympathique (la ville de Donaueschingen, qui vit, mange et dort ces jours-là au rythme des centaines de festivaliers), son public mi-cheveux blancs, mi-tignasses estudiantines (et quelques-uns entre les deux), ces Musiktage 2022 laissent un goût de trop peu : trop peu de cette folie qu’on décrie chez un Stephan Prins mais qui rafraîchirait n’importe quel mamelon du désert censé accueillir des jeux d’hiver, trop peu de ce courant d’air qu’on trouve dans les fulgurances d’un Jean-Luc Fafchamps quand il cherche où est la fin, trop peu de ces remises en cause plus que formelles auxquelles nous ont nourri (avec des bonheurs aléatoires) les Fausto Romitelli, John Cage ou Luigi Nono.
On sait que 2022, à Donaueschingen, est une année de changement de règne : exit Björn Gottstein, responsable d’une programmation qu’il n’est plus là pour mettre en œuvre et inxit Lydia Rilling, maman (en vrai et en congé parental) mais sans les rênes d’une édition où elle n’est pas, remplacée par Eva Maria Müller, souriante et sympathique mais difficilement accessible à ceux qui ne parlent pas l’allemand (le bilinguisme des annonces aide cette partie du public, qui se débrouille, parle des langues, mais pas toutes)- un air de flottement donc, à quoi on laisse l’année pour dissiper le brouillard et orienter la visée auditive vers ce que sont les musiques nouvelles aujourd’hui. A moins que… A moins que ces musiques nouvelles elles-mêmes… Que les compositeurs d’aujourd’hui… Un creux ? Une crise d’inspiration ? Une stagnation, un immobilisme, une posture figée, un garde-à-vous ? Mais non. Ils sont là, dans la salle peut-être, ceux qui rêvent d’innover, encore, qui débordent d’idées, dont certaines franchiront le stade de l’ébauche et s’épanouiront sur une scène (ou plusieurs), comme cette jeune espagnole, Ixta (du nom de ce volcan mexicain à la forme de femme endormie), qui étudie la composition à Linz, en Autriche, auprès de Carola Bauckholt, tient difficilement en place, note fébrilement ses pensées sur un petit carnet pendant le concert (« je compose à partir d’un narratif ») et assure, avec un large sourire, ironique et sérieux, qu’elle a « le prénom adéquat pour être célèbre ».