Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

Joyce Di Donato ou l’interprète sans frontières

par

EDEN est le titre utilisé à dessein pour ce nouveau projet de l’infatigable chercheuse de projets originaux et significatifs qu’est Joyce Di Donato. Il y a quelques années, peu de temps après la montée au pouvoir de Donald Trump, Di Donato présentait au Liceu, avec ces mêmes orchestre et chef, « En Guerre et en Paix. Harmonie à travers la Musique » un témoignage contre la violence et la guerre. Ici c’est plus la destruction de notre planète qui inspire l’artiste américaine, et tous les textes choisis auront un rapport immédiat avec l’amour pour la végétation ou le règne animal. Il faut dire que le Palau de la Mùsica Catalana se prête de manière admirable à un tel propos car la décoration moderniste de la salle en est directement inspirée : des guirlandes de fleurs, de la végétation exubérante ou des allégories musicales complètent un tableau vivant où les interprètes semblent trouver un complice en pierre, verre et lumière. Cependant, la guerre n’est pas encore très loin du propos de la cantatrice : avec les mots : « Non più, Giove, non più guerra, » qui concluent l’air « Piante ombrose » de la Calisto de Cavalli, elle nous transmet un frisson particulier qui nous ramène tout droit à la triste actualité. Mais revenons à notre jardin d’Eden ou des Hespérides musicales : c’est là que brille actuellement la mezzo-soprano. Dont la tessiture tend à s’approcher actuellement de celle du contralto : dans tous les airs, l’on entend un grave plus épais que jadis et aux belles résonances d’airain, mais elle ne s’aventure presque plus dans des aigus qui semblent légèrement serrés ou inconfortables. Toutefois, elle nous régale toujours de ces sons éthérés, sortis parfois du silence ou du pianissimo le plus invraisemblable pour nous conduire, en déployant ses phrases, vers un état second où le frémissement est de mise. Que dire de sa versatilité stylistique : le principe de l’interprète spécialisé dans une période ou dans un répertoire déterminés est ici franchement mis à mal : passer ainsi sans discontinuer de Charles Ives ou Rachel Portman à Gustav Mahler, Francesco Cavalli ou Biagio Marini peut nous conforter dans l’idée que la grande musique est absolument intemporelle, tout comme ses meilleurs interprètes. Cependant, si l’on approche un peu cette interprète à travers ses amusantes « Masterclasses », on comprend tout de suite qu’un telle approche stylistique ne doit rien au hasard : tout est minutieusement documenté par rapport aux sources historiques et passé ensuite au crible d’une sensibilité et d’une capacité à communiquer hors normes. Un moment saillant de la soirée fut l’air « Toglierò le sponde al mare », de Josef Mysliveček, l’ainé et ami de Leopold et de Wolfgang Amadeus Mozart et qui inspira ce dernier dans son écriture symphonique, mais encore davantage par son sens accru du drame à l’opéra. Pour clore la séance de frémissements, Di Donato nous offrit le lied de Mahler « Ich bin der Welt abhandelt gekommen » : difficile d’atteindre un seuil plus élevé dans l’émotion que la musique peut susciter. L’ensemble du récital a fait l’objet d’une mise en scène très précise et soignée : un podium rond, autour duquel jouent les instrumentistes, suggère la souche d’un arbre et les pièces de deux ronds métalliques constitueront un double cercle qui va donner vie à un cycle, tel les anneaux annuels des troncs d’arbre qui nous parlent du climat ou des événements survenus jadis. C’est un travail minutieux, avec des éclairages envoûtants signés Marie Lambert Le-Bihan et John Torres. Je me permets de douter que ce travail aurait eu autant d’impact si la cantatrice n’avait pas les capacités de communication d’une Di Donato : son corps d’actrice exprime aussi bien les différents sentiments que sa voix les nuances les plus subtiles. 

Montreux ovationne Tugan Sokhiev et l’Orchestre du Capitole  

par

Le Septembre Musical à la fin mai début juin, tel est le fait surprenant auquel est confronté le public des habitués du Festival de Montreux-Vevey ! Il faut mentionner qu’au terme du Montreux Jazz Festival qui aura lieu en août, l’Auditorium Stravinsky fermera ses portes pour de longs mois de travaux. C’est pourquoi Mischa Damev, directeur du Septembre Musical, a été contraint d’anticiper la série de manifestations.

Pour la 77e édition comportant dix concerts, la France est à l’honneur, ce qui occasionne la venue de deux de ses grandes phalanges symphoniques, l’Orchestre National du Capitole de Toulouse et l’Orchestre Philharmonique de Radio France. La première de ces formations ouvre les feux les 31 mai et 1er juin sous la direction de celui qui a fait sa renommée internationale de 2008 à 2022, Tugan Sokhiev. 

Le premier soir, le programme est intégralement dédié à la musique française et commence par Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy, plongé dans un pianissimo étrange d’où se dégagera la lente mélopée de la flûte à laquelle répondra le hautbois enveloppé par les cordes langoureuses. De cette torpeur naîtra une ascension vers un tutti où s’étalera une sensualité débordante qui finira par retomber, alors que le chef prend soin de détailler chaque note de la péroraison.

Intervient ensuite Renaud Capuçon qui aurait dû interpréter le 3e Concerto en si mineur op.61 de Camille Saint-Saëns mais qui se voit contraint de solliciter un changement de programme. En coulisse court la rumeur que ses trop nombreuses obligations l’ont empêché de se rendre à Toulouse pour répéter… En lieu et place, il propose le Poème op.25 d’Ernest Chausson écrit pour le grand violoniste Eugène Ysaye qui en assura la création à Nancy le 27 décembre 1896 puis à Paris le 4 avril 1897. D’une introduction orchestrale tirant sa gravité de la profondeur des basses, le violon se détache lentement en un pianissimo déchirant qui s’anime de pathétiques élans rendant expressives les doubles cordes. Le discours s’exacerbe, l’aigu devient tranchant en un paroxysme tumultueux masquant avec peine le manque de répétitions. Mais la section finale est dominée par une sonorité radieuse corsée par le trille avant de trouver l’apaisement rédempteur.

Attention, Musiques Fraîches !, à Arsonic

par

Année après année, Attention, Musiques Fraîches ! (les anciennes Dernières Nouvelles de Musiques Nouvelles), s’attache à proposer (à Arsonic, puis à Flagey) de nouvelles partitions, souvent jeunes, souvent de chez nous, toujours enclines à titiller notre curiosité -et cette fibre, sensible, réceptive, tressaille quand le compositeur, humain tel que nous, en plus de livrer le produit de son imaginaire sonore aux mains d’un ensemble de musiciens qui se charge de nous le transmettre (c’est là où l’interprétation prend tout son sens), va sur scène, regarde le public, saisit un micro et tente quelques mots, qui expliquent, situent, contextualisent son point de départ, ses recherches, ses errements, ce qui l’a poussé à tenter l’étrange exercice de la création.

La chose est d’autant plus touchante que le programme réunit fille et père : celui-ci, au pas mal assuré, est de retour dans un de ces lieux de musique perdus de vue (et étrangement hors d’atteinte) depuis des années (la santé, les difficultés, la vie quoi…), hésitant, comme si avoir remis la main sur le papier à musique était déjà ahurissant (quand on n’a plus écrit, va-t-on pouvoir réécrire ?), alors que dire quand on est là, quelques secondes avant de faire face à ce qui s’est retrouvé sur la portée, ce qui a coulé entre les lignes, comme malgré soi ? Les Retouches de Jean-Louis Libert sont celles de la vieille dame qui cousait les ourlets du pantalon offert par la marraine de son frère, souvenir d’un temps de slow fashion où l’on maniait aiguille et fil à la maison, parfois à la Singer, souvent à la lumière d’une 40 watts ; sa pièce émeut, mature, pleine de cet entendement stupéfié que l’épreuve apporte, de cette beauté qui ne fraye pas avec le canon, mais fait appel à cette fibre, sensible, réceptive…

L’anniversaire des Heures Musicales de Biot avec Alexander Malofeev

par

Située sur les hauteurs  entre Nice et Antibes, la ville de Biot accueille un festival devenu un incontournable dans la région grâce à la qualité de ses concerts et des artistes invités. La connaissance, l'enthousiasme et le charisme de sa directrice Liliane Valsecchi, ont fidélisé la participation des meilleurs solistes : Brigitte Engerer, Nelson Freire et Nicholas Angelich ont été de fidèles amis. Renaud Capuçon, Gautier Capuçon, Khatia Buniatishvili, Nikolai Lugansky, Edgar Moreau reviennent avec plaisir. Cette année, c’est le jeune pianiste russe Alexander Malofeev qui fait l’évènement. Sa venue avait été programmée à Biot il y a quelques années, mais avec la crise sanitaire, ce n'est que maintenant qu'il a pu venir enchanter le public. 

Il commence le récital avec la Sonate nᵒ 14 "Au clair de lune" de Beethoven. Il envoûte le public dès les premières mesures du premier mouvement Adagio sostenuto. Il prend son temps, tout est d'une miraculeuse fluidité, le climat est inquiet, interrogatif, hypnotique, l'auditoire a le souffle coupé. Dans l'Allegretto, il est malicieux, il joue avec humour et fait alterner joyeusement legato et staccato. Malofeev  attaque le Presto avec une puissance fulgurante. Il a d'impressionnants moyens digitaux et nous entraîne, comme une tornade, vers la démesure et la folie.  

Il continue avec la Sonate n°2 en si bémol mineur de Frédéric Chopin. Malofeev semble venir d'une autre planète et il nous invite à venir l'explorer. C'est fulgurant, orchestral. Dans les deux premiers mouvements il y a tout ce qu'on peut imaginer de violence et de terreur de la mort. Malofeev met son génie technique au service des intentions du compositeur. Aucune nuance d'émotion et de drame ne manque. Chaque note est absolument maîtrisée. C'est un clavier qui dévore la musique. La "Marche funèbre" est un spectacle ahurissant. Ce sont des funérailles nationales. C'est hallucinant de précision et de puissance. 

Sturm Und Klang, 1984 et Blanc coupé

par

Après un dégourdissement jambier d’avant concentration auditive dans ses environs, je retrouve avec plaisir l’Alter Schlachthof (l’ancien abattoir d’Eupen , devenu centre culturel) -nous avions fait connaissance lors des Belgian Music Days-, sa terrasse (il fait soleil) baignée de musique actuelle, son bar intérieur et une exposition, temporaire et facétieuse, de sculptures en bois (Georg Thönnes), en fer et en acier (Hans Richter), de robots et objets ludiques (Heinz Birnbaum) et de peintures éclatantes (Erwin Radermacher) : mes lacunes abyssales en langue allemande ne font pas obstacle à un accueil chaleureux et on discute du changement de fût de Tongerlo, du rinçage des tuyaux et du tirage de la première bière.

Le concert s’inscrit dans la programmation de l’Ostbelgien Festival (qui s’étend en fait sur toute l’année) et est soutenu par l’European Composer & Songwriter Alliance, occasion pour Thomas Van Haeperen
et son ensemble de sortir du panier quelques partitions originales et, pour deux d’entre elles, de compositeurs de la région (enfin, presque, puisque Sarah Wéry, qui a étudié à Liège et en Allemagne, est maintenant basée à Bruxelles). Avec son patronyme inspiré, pour sa liberté et son potentiel d’émancipation, du Sturm und Drang, le mouvement politique et littéraire allemand de la seconde moitié du 18e siècle, on sait Sturm Und Klang orienté depuis plus de 20 ans vers la création contemporaine, dans une formation qui peut atteindre jusqu’à 15 ou 20 musiciens -son chef, qui a débuté avec des ambitions symphoniques, tient à cet assemblage de toutes les couleurs de l’orchestre- et ce soir, l’effectif comprend une petite dizaine d’instrumentistes (violons, alto, violoncelle, contrebasse, percussions, flûte, clarinette et piano).

Deux grands solistes à Bozar : Emmanuel Pahud et Anneleen Lenaerts

par

En ce beau dimanche de mai, la salle Henry le Bœuf a été illuminée par deux solistes internationaux : Emmanuel Pahud et Anneleen Lenaerts. Accompagnés par le Belgian National Orchestra et dirigés par Anja Bihlmaier, ils nous ont offert un concert d’une très grande qualité !

Celui-ci débuta avec l’œuvre Subito con forza, composée en 2020 par Unsuk Chin, compositrice coréenne. Cette pièce fût créée à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Ludwig van Beethoven et parsemée de quelques références à certaines œuvres du maître allemand telles que sa  symphonie n°5 ou l’ouverture Corolian. Les musiciens du BNO ont livré une prestation très énergique et emplie de nombreux contrastes. Il faut saluer le travail des percussionnistes dont la partition très chargée leur a demandé beaucoup de rapides changements d’instruments. Malheureusement, cela a aussi causé quelques minimes soucis de mise en place, malgré les gestes très précis de la cheffe allemande. Ce fut malgré tout une très belle ouverture pour ce concert et la compositrice, présente pour l’occasion, semblait conquise.

Ensuite, nous avons eu le plaisir d’entendre le Concerto pour flûte, harpe et orchestre en do majeur KV299 de Wolfgang Amadeus Mozart. À l’exception d’un très léger problème de balance au début du premier mouvement où l’orchestre couvrit un peu trop le son de la harpe, aucune autre réserve. Anja Bihlmaier, précise et très démonstrative, a mené l’orchestre d’une main ferme. Chaque attaque, chaque entrée, chaque nuance était clairement lisible dans son langage corporel et les musiciens, très attentifs, n’avaient plus qu’à suivre. Emmanuel Pahud et Anneleen Lenaerts, quant à eux, ont aisément survolé l’œuvre. Avec beaucoup de musicalité et de précision, ils nous ont offert de très beaux moments. Leurs nombreux duos exposés, sans le soutien de l’orchestre, furent interprétés avec une complicité et une écoute de l’autre très impressionnantes. Le troisième mouvement, surtout, fut le théâtre de passages exceptionnels.

A Genève, Mozart chez les baroqueux  

par

Au terme d’une saison extrêmement diversifiée, le Service Culturel Migros invite le Freiburger Barockorchester à donner trois concerts à Genève, Berne et Zürich. Depuis plus de trois décennies, la formation défend le répertoire baroque et classique sur des instruments anciens. 

Sous la conduite du premier violon Gottfried von der Goltz, le programme entièrement consacré à Mozart commence par la 25e Symphonie en sol mineur K.183. Une fois passées les premières mesures où l’oreille finit par s’habituer à ce son acide produit par les cordes, l’on prête attention à un jeu finement articulé qui recherche les moindres contrastes de phrasé pour répondre aux hautbois et cors empreints de mélancolie. En un pianissimo opaque, les premiers violons recourant aux sourdines déroulent un Andante intériorisé que bousculera le rapide Menuetto débouchant sur un Trio où les vents semblent chercher leur route. Et le Final est un Presto où les lignes s’entrelacent en une tension presque suffocante.

A l’OSR, Charles Dutoit grand seigneur 

par

Au cours de ces dernières saisons, Charles Dutoit a accepté régulièrement l’invitation à diriger l’un des concerts de l’Orchestre de la Suisse Romande. Bardé de deux prix prestigieux, la ‘Royal Philharmonic Society Gold Medal’ et le ’Premio Una vita nella musica’ remis par le Teatro La Fenice de Venise, il défie aujourd’hui le poids de ses quatre-vingt-six ans avec une vigueur qui abasourdit.

Entièrement consacré à la musique française, son programme comporte la première exécution d’une nouvelle révision de l’orchestration du Concerto pour piano et orchestre de Ravel. Mais il débute par la musique de scène que Gabriel Fauré élabora en mai 1898 pour les représentations londoniennes du Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck. Charles Dutoit en aborde le Prélude dans un tempo extrêmement lent empreint de mystère, dominé par un legato expressif dont la charge émotionnelle sera décantée par le cor lointain et le violoncelle solo réexposant pianissimo le motif initial. La Fileuse est dépeinte par le moto perpetuo des cordes déroulant l’écheveau, alors que le hautbois développe sa cantilène qu’assombrit l’intervention du cor et de la clarinette. La Sicilienne oscille au gré de la flûte et de la harpe imitant les reflets changeants dans l’eau de la fontaine. Les bois tragiques évoquent la Mort de Mélisande en chargeant les tutti d’un extrême désespoir que les cordes dilueront en accords vides…

Intervient ensuite Jean-Yves Thibaudet qui reprend l’un de ses chevaux de bataille, le Concerto pour piano et orchestre de Maurice Ravel qu’il aborde avec un jeu clair où le trait est acéré avant de se fluidifier en arpèges amenant un cantabile sobre ponctué par une basse nerveuse. Les miroitements de la harpe produisent une atmosphère étrange dont Charles Dutoit se délecte à souligner les innovations audacieuses, tandis que le soliste livre un flux de doubles croches envenimées par le trille débouchant sur une stretta effrénée. Par contraste, l’Adagio assai n’est que méditation intériorisée, à peine troublée par une tension du tutti que dissipera le cor anglais. Le piano en ornementera la mélopée en sachant se mettre au second plan. Par contre, c’est lui qui se placera à l’avant-scène dans un Presto échevelé aux éclats fauves qui maintiendra cette dynamique haletante jusqu’aux percutants accords conclusifs. Aux insistantes requêtes de bis, Jean-Yves Thibaudet finira par céder en déroulant la Pavane pour une infante défunte comme dans un songe lointain…

Sentiments mitigés au Namur Concert Hall

par

À l’occasion du premier Concours National de Trompette organisé à Namur, l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, renforcé par quatre étudiants de l’IMEP, a proposé un programme construit autour de deux concertos pour trompette.

Pour ouvrir le concert, nous avons pu entendre le très célèbre Adagio pour cordes Op.11 de Samuel Barber. Dirigés par Vahan Mardirossian, les musiciens ont très bien commencé l’œuvre, avec une belle nuance piano. Malheureusement, nous avons dû attendre de longues minutes avant qu’ils n’insufflent plus de tensions dans leur jeu. Bien que les musiciens aient été extrêmement précis d’un bout à l’autre de la pièce, c’est avec un goût de trop peu que nous sommes passés au premier concerto de la soirée.

Celui-ci était le Concerto pour piano, trompette et orchestre à cordes en do mineur Op. 35 de Dimitri Chostakovitch. Avec Tristan Pfaff au piano et Dominique Bodart à la trompette, l’orchestre nous a livré une belle prestation. Malgré un début quelque peu hésitant et un léger problème de balance entre le piano et l’orchestre, le premier mouvement fût joliment interprété. Tristan Pfaff a déployé tout son talent de virtuose dès le début de l’œuvre, tandis que Dominique Bodart a bien assuré chacune de ses interventions (la trompette ayant un rôle plutôt secondaire). Le deuxième mouvement fut beaucoup plus équilibré, bien que les pizzicato des cordes furent systématiquement inaudibles. Ce fut l’occasion d’entendre des interventions plus longues du trompettiste belge et d’ainsi pouvoir apprécier la sonorité très ronde de son jeu. Partie la plus réussie de la pièce, le troisième mouvement fut interprété avec plus d’énergie et de caractère que les précédents. La balance entre le pianiste, le trompettiste et l’orchestre était parfaite.

Très applaudi par le public, Tristan Pfaff a interprété en bis la Danse du Sabre de Khachaturian dans un arrangement pour piano seul. Impressionnant de calme et d’aisance dans cette pièce requérant une virtuosité et une précision chirurgicale, le pianiste a conquis le public.

Au-delà de la nuit, au-delà des frontières

par

Par certains éléments structuraux (la mezzanine, le fer forgé), le Grand Salon du Botanique me replonge dans le décor du Museum d’Histoire Naturelle, où le k l a n g collective mettait un point final à l’édition 2022 du Walden Festival. Ce soir, c’est complet et en soi c’est déjà un beau résultat pour les Nuits Botanique, 30e édition que clôture un 3+1 (3 créations, 1 variation) contemporain, là où on trouve bien plus souvent, dans ce festival éclectique qui en inaugure la saison (des festivals), rock, musiques electronique ou expérimentale, r&b, chanson, hip hop ou pop -une culture du jeté de ponts entre les genres, comme une manie de déranger méthodiquement le tiroir à chaussettes, trop ordinaire si rangé par couleurs, ou par pointures.

Et de la (hip-)pop, c’est ce dont se nourrit la Mulitude Variation qui ouvre le programme, née de l’expérience d’arrangeur de Bruno Letort sur l’album de Stromae (un travail de production sonore qui exige « la même précision chirurgicale qu’en musique contemporaine »), variations sur La sollasitude, ce morceau, au refrain crispant et touchant à la fois (« le célibat me fait souffrir de solitude, la vie de couple me fait souffrir de lassitude »), parmi les six sur lesquels l’orchestrateur a posé sa patte : une image déformée de l’idée d’un autre, qui s’y retrouve mais plus tout à fait, colonne vertébrale concurrencée sur son fondement, menacée même dans sa polyrythmie par l’appropriation altérée, comme au travers d’un miroir courbe -comme on tord, en médecine, une image radiographique afin de mettre en évidence des détails autrement difficiles à percevoir.

L’idée des variations vient du Bota, comme les commandes des trois concertos, confiées à trois autres flamboyances de la scène comtemporaine belge francophone -Bruno Letort s’est importé de Paris, mais dix ans d’acclimatation en ont arrondi les us et accents (jusqu’à son look Inspecteur Columbo de ce soir)-, des éclats au tempérament spécifique, irridescent pour Jean-Luc Fafchamps, l’homme de la « woman qui est là » (deuxième et dernier épisode en date de l’irréel opéra qui en compte trois), impérial pour Jean-Paul Dessy, ce soir au four et au moulin puisqu’il tient la baguette devant les cordes de Musiques Nouvelles, rigoureuse et réservée pour Apolline Jesupret -une génération après celle des trois autres, mais une maturité d’écriture qui déconcerte chaque fois que je l’entends. Et c’est encore le cas pour Ardeurs intimes (un oxymore qui m’autorise celui de la flamboyance réservée), concerto pour violon (la jeune Maya Levy, au jeu saillant et à la posture altière) et orchestre à cordes, qui séduit par la promptitude avec laquelle sa musique convoque le profond du ressenti -ici celui, personnel et intérieur, contrasté par les trois mouvements de la pièce, de l’amour, par lequel on vibre, on contemple, on pulse.