Cherubini par Riccardo Chailly et La Scala : le temps des découvertes

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Luigi CHERUBINI (1760-1842) : Ouverture en sol majeur ; Symphonie en ré majeur ; Dix Marches. Orchestre Philharmonique de la Scala de Milan, direction Riccardo Chailly. 2020. Livret en anglais, français, allemand et italien. 74.25. Decca 483 1591.

Lorsqu’il compose sa Symphonie en ré majeur, dont il dirige lui-même la première à Londres en 1824, Cherubini n’est déjà plus un jeune créateur. Ce directeur du Conservatoire de Paris compte à son actif une série d’œuvres pour la scène, de la musique chorale et vocale et de la musique de chambre. Mais pas de symphonie, denrée rare dans la musique italienne de l’époque. Après avoir composé la sienne, l’unique, et malgré sa réception anglaise positive, Cherubini semble avoir été insatisfait de son résultat : il la remaniera pour quatuor à cordes, tout en en modifiant la structure. Insatisfait ? Même si Toscanini l’a inscrite à certains de ses programmes et l’enregistra pour RCA, même s’il en existe des versions chez Naxos ou CPO, on peut comprendre la démarche car cette partition ne brille pas par son absolue originalité. Malgré l’influence manifeste de Haydn et des classiques viennois, malgré les contrastes de climats entre les parties instrumentales et la tendance opératique qui se dessine à travers un contrepoint maîtrisé, les couleurs et les rythmes demeurent relativement inspirés. Il faut donc pour animer cette partition une baguette dynamique, capable de transcender les notes par la précision, la clarté et l’équilibre. Riccardo Chailly réussit à rendre intéressant ce rare témoignage italien de symphonie par une mise en place rigoureuse, en y injectant l’indispensable part de drame qui lui convient. Une dizaine d’années auparavant, Cherubini avait écrit, encore pour Londres, une Ouverture en sol majeur qui est en prélude de programme. Chailly lui donne une belle dimension, en lui insufflant un caractère triomphal.

Ce CD Decca vient prendre place dans une série d’autres parutions de « Discoveries » mises en valeur par Chailly ; il s’était déjà penché sur des raretés de Puccini, Rossini ou Verdi. Dans le cas de Cherubini, on découvre neuf marches en premier enregistrement mondial. Il s’agit de pièces brèves pour des circonstances politiques et civiles. La notice signale la cohérence du projet, les œuvres rassemblées ici provenant d’un organisme berlinois, la Musikabteilung der Staatsbibliothek. Le tout a été composé par Cherubini entre 1797 et 1825. Le 29 mai de cette dernière année, eut lieu le couronnement de Charles X. La Marche religieuse pour le jour du sacre y fut exécutée par deux cents musiciens. Son expressivité fut saluée par Berlioz dont on partage l’avis éclairé. Deux marches sont destinées à la glorification du général Hoche, héros mort à 29 ans de la tuberculose. Solennité et intimisme accompagnent la douleur de l’instant. Cherubini a trouvé le ton juste, dans un geste grandiose et respectueux. Les autres marches à l’affiche correspondent à des événements particuliers : parmi elles, deux sont destinées à honorer le préfet du département de l’Eure (1800), une autre à faire plaisir à un baron viennois influent. On trouve même une marche en hommage aux maîtres de Chimay, le Comte et la Comtesse Caraman, dans la résidence desquels Cherubini aimait à se reposer. Une Marche funèbre, qui semble avoir été écrite en 1820 pour les funérailles du duc de Berry, assassiné à sa sortie de l’Opéra, forme comme une apothéose finale. C’est la plus belle réussite de Cherubini dans ce contexte de pages musicales, car la tragédie de cette disparition est transcrite avec une poignante solennité.

Dans cet enregistrement réalisé du 23 au 25 octobre 2016, Roberto Chailly emmène les forces de la Scala de Milan avec une large conviction, assurant à l’ensemble du programme une grande cohérence. L’écoute successive des marches court le risque d’engendrer la monotonie, mais le chef d’orchestre, dont on connaît la subtilité et l’intelligence, arrive à contourner l’obstacle, en enlevant sa formation avec élégance et noblesse. Les instrumentistes lui répondent d’un seul élan, les vents étant souvent mis à contribution. Voilà sans doute un disque utile pour mieux faire connaître ce compositeur qui ne résume pas à la seule Médée, mais ce répertoire n’en est pas moins le reflet d’un compositeur que la postérité, avec raison, n’a pas mis au tout premier rang de l’histoire de la musique.

Son : 9 Livret : 9 Répertoire : 7 Interprétation : 9

Jean Lacroix

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