Clara Levy, voyage au centre du violon
Outre-Nuit. Clara Levy (1991-) ; Giacinto Scelsi (1905-1988) ; Kaija Saariaho (1952-2023) ; Erika Vega (1987-) ; Eva Maria Houben (1955-). Clara Levy, violon. 2024 Livret en anglais. 50’44". Sub Rosa. SR570.
Outre-Nuit, troisième disque de la violoniste française installée à Bruxelles (elle y vient à 18 ans pour suivre le cours de Naaman Sluchin au Koninklijk Conservatorium Brussel), est à aborder au casque : parce qu’il s’écoute bien plus qu’il ne s’entend ; parce que la succession des huit pièces obéit à une stratégie inhabituelle, où le travail d’enregistrement et de mixage s’approche au fur et à mesure de l’instrument ; parce que le violon tel que le pratique Clara Levy réclame une intimité soutenue.
Outre qu’elle offre une respiration, un temps, face à la pétarade du monde, la démarche guide l’audition, au travers de ses ouïes, vers le centre vital de l’instrument. Car, quoique de formation au départ classique – tradition dans laquelle le violon, soliste, a une fonction essentiellement mélodique –, la musicienne privilégie la réflexion autour du timbre et l’exploration de la richesse spectrale de l’instrument.
Le point de départ de ce projet original tourne autour de Xnoybis, la pièce du compositeur italien (il préfère se voir comme un médium) Giacinto Scelsi, artisan ascète de la texture du son – le fruit de son travail ne trouve écho que dans les années 1970, sous l’impulsion admirative des Français Tristan Murail, Gérard Grisey et Michaël Lévinas, avant une reconnaissance plus large à Darmstadt en 1982.
A ce « voyage au cœur de la note », un matériel musical particulièrement dense en trois parties, répond un triptyque d’œuvres de compositrices choisies par Clara Levy pour leur capacité à se mouvoir autour du son et à repousser les limites du spectre de l’instrument.
Nocturne est un hommage à Witold Lutosławski pour lequel la Finlandaise Kaija Saariaho puise des éléments dans Graal théâtre, le concerto pour violon sur lequel elle travaille à la même époque ; Allégorie de l’Espagnole Erika Vega trouble par son air de pont avec une certaine musique populaire et Listening Into Silence, de l’organiste allemande Eva-Maria Houben, tire inexorablement vers les profondeurs d’une respiration magmatique.
Avec deux miniatures supplémentaires sorties de sa propre imagination (Prelude et Interlude), la violoniste offre un disque d’une écoute exigeante et valorisante – le concert dans une salle de petite taille ajoute une dimension physique à celle du son, presqu’inconvenante.
Son : 8 – Livret : 7 – Répertoire : 7 – Interprétation : 8
Chronique réalisée sur base de l'édition CD.
Bernard Vincken