Compositeur méconnu et petites merveilles
Eduard NAPRAVNIK
(1839 - 1916)
Trios avec piano opus 24 et 62-Mélancolie opus 48 n° 3
Spyros Piano Trio
2017-SACD-69'32-Textes de présentation en anglais, français et allemand-MDG 903 1996-6
Le nom d'Edouard Napravnik n'évoque plus grand chose chez nous. Ce n'est pas le cas de l'Europe de l'Est, en particulier la Russie qui garde au répertoire son ouvrage le plus célèbre, l'opéra Doubrovsky, dont deux versions enregistrées parurent sous le régime soviétique. S'il est encore prisé de nos jours au pays de Vladimir Poutine, c'est que, bien que tchèque de naissance (il est né à Byst, près de Prague), il émigra à l'âge de 22 ans à Saint Pétersbourg après la perte de ses parents et joua très vite un rôle capital dans le développement de la musique russe. Il ne quittera plus sa patrie d'adoption et se fit même naturaliser en 1874. Nommé chef d'orchestre principal du théâtre Mariinsky de 1869 à 1879, il y assura un nombre impressionnant de représentations et de mises en scène, tout en créant une partie de ses quelque 80 ouvrages lyriques. Membre influent de la section pétersbourgeoise de la Société impériale russe de musique, il se fit le champion des oeuvres nouvelles et veilla à la création rapide des nouvelles partitions dues à des compositeurs russes. Ce fut lui également qui fit la promotion du vent nouveau qui soufflait d'Occident, dominé par la figure emblématique de Wagner. Ses deux trios sont assez fascinants. Leur caractère slave est indéniable et il y règne une sorte de fougue fiévreuse et juvénile, en particulier dans le premier d'entre eux. Tantôt emporté, tantôt nostalgique, tantôt encore inquiet, son style est profondément ancré dans un romantisme qu'on peut sans crainte qualifier d'échevelé et, bien que fort différent de Tchaikovski dans son écriture, il s'en rapproche néanmoins par les climats émotionnels, toujours un peu extrêmes, voire excessifs, qu'il imprime à ses pièces. On pense aussi souvent à Dvorak, notamment dans les rapports entre le piano et les cordes, à l'image des trios de ce dernier ou de son célèbre quintette avec piano opus 81. Le 2ème trio a été composé vingt ans après le premier mais la passion n'a pas faibli, ni la fraîcheur de l'inspiration. En bref, voici deux pages injustement oubliées auxquelles tout public ferait fête si elles étaient jouées en concert car elles ne décevraient certainement pas par rapport aux oeuvres de Dvorak ou Brahms. En guise d'intermède entre les deux partitions, Mélancolie dans sa version pour piano, hommage à Serge Taneyev. L'interprétation « joue le jeu » avec brio, enthousiasme et discipline. Plus qu'une curiosité: un vrai petit trésor à découvrir.
Bernard Postiau
Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10