Concours Reine Elisabeth, mercredi soir

par

A l’issue de cette seconde soirée des premières épreuves, nos lecteurs ne nous tiendront pas rigueur de ne faire que brièvement rapport des prestations des dix candidats, alors que les noms des 24 artistes appelés à rejoindre les demi-finales ont, dans l’intervalle, été dévoilés.

C’est au jeune roumain George Ionut Vîrban (24 ans) que revient la tâche ingrate de chauffer la salle. Formé à l’université de Bucarest, il s’est produit en Russie, en France et dans son pays natal. Les plus chanceux purent notamment l’entendre l’an dernier dans Eugène Onéguine de Tchaïkovski. Il fut lauréat de nombreux concours ces cinq dernières années (Premier Prix du concours de chant Suzana Szörenyi en 2017, Prix du département du Vaucluse dans la catégorie Jeunes Espoirs à Avignon en 2016, « Grand Prix de l’Opéra » de la Radio Roumaine en 2015, Premier Prix du Concours International d’Art Vocal Georges Enescu de Paris en 2014). Techniquement très à son aise dans « Den’ li tsarit ? », extrait des Sept Romances op. 47 de Tchaïkovski, le ténor a beau donner du coffre, sa voix peine par moments à surplomber les vagues déferlantes du piano, de bout en bout déchaîné. Dans « L’amour, l’amour – Ah, lève-toi soleil » (Roméo et Juliette de Gounod), le candidat fait preuve de la même assurance ; davantage statique, il libère néanmoins quelques belles envolées expressives. Il ne manque plus à ce musicien qu’un brin de maturité et de prestance scénique pour qu’éclate au grand jour toute la mesure de son talent.
De maturité, il est question chez le baryton allemand Samuel Hasselhorn (27 ans), qui fit ses classes à Hanovre, puis à Paris. Baryton solo dans les Carmina Burana de Carl Orff l’an dernier à l’Opéra de Leipzig, aux côtés de l’orchestre du Gewandhaus, il s’est également illustré il y a peu dans le Winterreise de Schubert à la Tonhalle de Zurich. En 2016, c’est à l’Opéra de Lyon qu’on le croise. Lui aussi lauréat de plusieurs concours – à Heidelberg, Stuttgart, Londres, New York et Dortmund –, il n’a pas manqué de satisfaire aux attentes impatientes du public. Dans « Oh, qu’est-ce que c’est », extrait de Pelléas et Mélisande de Debussy, il incarne un Pelléas vocalement très convaincant, dont on comprend aisément que Mélisande se soit éprise. L’ensemble rivalise de profondeur et d’élégance. A l’expressivité haute en couleur de la voix ne manquait que celle du geste, parfois un peu trop réservé. Point de Voyage d’Hiver pour suivre, mais Schubert néanmoins, avec un « Erlkönig » très automnal, duquel n’étaient absents ni les tempêtes, ni les brouillards sinistres. Adossé au piano, Samuel Hasselhorn a paru donner un instant l’impression de défaillir, mais son assurance et sa puissance vocales ont suffi pour nous rassurer qu’il n’y avait là qu’un jeu de scène. Tout ici est d’une précision sans faille, pesé et soupesé dans le moindre détail. Il faudra décidément retenir le nom de ce chanteur au timbre aussi chaleureux que généreux, que les vents et marées jaillissant du piano n’auront pas réussi à faire trembler. Du grand art !
La soprano belgo-allemande Julie Gebhart (29 ans) débute sa prestation sous le regard attentif de son « Maître de Musique », José van Dam, qui s’abstiendra donc de l’évaluer. En provenance directe de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, elle fut comblée de grâces l’an dernier : non contente de s’être illustrée au Festival de l’Eté Mosan à Corroy-le-Château, dans un programme dédié à Granados, dans La Flûte de Mozart au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg, ainsi que dans le cadre du Festival des Minimes à Bruxelles (à nouveau dans Mozart, sous la baguette de Jacques Vanherenthals) et à Bozar dans Orphée de Telemann, elle remporta par ailleurs le Prix « Coup de Cœur » au concours Jeunes Talents des Médias Francophones Publics. Dans le Rake’s Progress de Stravinsky (« No word from Tom – Quietly night – I go, I go to him »), elle campe malheureusement une Anne aussi désolée que désolante : il faut attendre quelques mesures, voire davantage, avant que ne tombe le voile d’une certaine retenue, qu’on devinait teinté d’inquiétude. Le fond de l’air, cependant, resta empreint de bout en bout d’une certaine froideur. Difficile, il est vrai, de faire monter la fièvre dans une pièce telle que celui-ci… La quiétude s’installe heureusement, mais un peu tard, dans « Quando m’en vo », extrait de La Bohème de Puccini. A l’évidence, Julie Gebhart se sent plus à sa place sous le soleil d’Italie – sinon celui d’Espagne, tant la musique et la jeune cantatrice prennent ici des couleurs andalouses. Le ton est juste, c’est abouti, mais court ; trop court pour faire oublier un début de prestation en demi-teinte.
Finaliste de l’édition 2017 du Concours international Antonín Dvořák en République tchèque, Zoya Petrova (24 ans) fut soliste au Théâtre du Bolchoï de 2010 à 2017. Grande déception de cette soirée, la soprano russe n’aura pas tenu les promesses de sa biographie. Son « Mädchenlied », issu des Fünf Lieder op. 107 de Brahms, est fade et larmoyant à outrance, l’intonation laisse à désirer, le phrasé se perd ça et là dans les brumes épaisses. On oublie ce mauvais rêve et ressuscite grâce à « Oui pour ce soir – Je suis Titania la blonde », tiré du Mignon d’Ambroise Thomas : on se pâme, on s’extasie… sans convaincre totalement, toutefois, faute de charisme et de naturel. Encore une prestation inégale, entre gris… et blanc foncé.
Même jeux d’ombres et de lumière chez Thembinkosi Magagula (25 ans), dont on finit ici par mesurer les contrastes à condition d’être patient. La soprano sud-africaine, fraîchement sortie du Conservatoire de Maastricht, ne séduit guère dans son Mörike-Lieder de Wolf, « Das verlassene Mägdlein », monochrome et dépourvu d’émotion. Mais voilà qu’arrive Bernstein, et c’est un monde de différence ! La candidate prend, en effet, ses aises dans « Glitter and be gay », extrait de Candide – Jodie Devos, on s’en souvient, avait ravi bien des cœurs dans cet air ébouriffant lors de la finale de l’édition 2014. Malgré quelques approximations dans l’articulation et un vibrato pas toujours parfaitement maîtrisé dans les aigus, on prend un réel plaisir à se fondre dans les traits intensément expressifs de la cantatrice. Se déploie ici tout son talent d’actrice. Bernstein oblige, on s’amuse ! Au terme de quelques montages russes longeant un ambitus qui s’étale jusque dans la stratosphère, le public est conquis. Certes, nous sommes loin de flirter avec la perfection, mais qu’importe, au fond, dès lors que le bonheur est au rendez-vous. Il reste à espérer que le jury fera une fleur à cette charmante candidate, puisqu’elle-même ne fut pas avare en bouquets parfumés.
Elève de Sophie Koch et de José van Dam, la mezzo-soprano française Sarah Théry nous vient, comme Julie Gebhart, tout droit de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth. Au cours de l’année dernière, nous l’avons entendue dans ce même Studio 4 à Flagey, dans Rossini, aux côtés de l’Orchestre Royal de Wallonie, et dans Vivaldi, accompagnée des Muffatti ; sa voix de velours retentit également à Bozar dans Richard Strauss, ainsi qu’au Festival Aix en Juin. De Strauss, il est d’abord question ce soir, avec « Wie du warst ». Le ton est à l’image du look de la cantatrice : décontracté. A tel point d’ailleurs que nous croirons percevoir des accents « jazzy » dans ce Rosenkavalier – à moins que l’esprit de Bernstein n’ait pas encore tout-à-fait quitté la scène ? Tout au plus pourra-t-on reprocher à ce Strauss de manquer d’un peu de « corps ». Du café-concert (très chic, entendons-nous !), nous passons au salon avec « Les Berceaux » op. 23/1 de Fauré. Sarah Théry nous fait don dans cette mélodie d’un fort beau moment de poésie, au cours duquel on entendit, aux abords du berceau, voler les mouches…
La soprano russe et biélorusse Daria Salnikova (31 ans) s’est produite l’an dernier au Théâtre Mariinksy à Saint-Pétersbourg, incarnant Sophie dans Werther de Massenet sous la direction de Christian Knapp. Elle inaugure sa prestation avec une page de Rostislav Boiko (compositeur russe peu connu, décédé en 2002) : « Ydel jelannii ». L’air, enjoué, se déroule comme si de rien n’était en un instant, suffisant pour révéler un tempérament chaleureux et une assurance appréciable sur le plan technique. Suit un air de Carmen que nous connaissons bien déjà : « C’est des contrebandiers ». Le talent se confirme, mais – hélas ! – c’est un Bizet naturalisé russe qui s’exprime ici : le pas des chasseurs est lourd, la neige colle aux sabots, le lyrisme se mue en pathos… et l’auditeur se met, désespéré, en quête d’une boussole, pour fuir au plus vite la toundra dans laquelle il s’est malencontreusement égaré.
Sortie il y a six ans du Conservatoire Rimski-Korsakov de Saint-Pétersbourg, la soprano russe Sveltana Moskalenko (31 ans) se produit depuis lors sans chômer sur la scène internationale : en Allemagne (Düsseldorf), en France (Nancy), en Suède (Malmö), à Genève, et bien sûr en Russie (au Bolchoï de Moscou). Poker d’as de cette soirée, elle effectue une parcours sans faute. Pour tout dire, elle fut la seule ce soir à avoir véritablement inondé de sa présence la scène du Studio 4. A l’issue d’un exercice de haute voltige dans l’illustrissime et combien périlleux « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen », extrait de Die Zauberflöte de Mozart, au cours duquel la candidate se fait équilibriste, l’intérêt ne faiblit pas dans l’air d’Ambroise Thomas « Oui pour ce soir – Je suis Titania la blonde ». La candidate le transcende, s’y promenant avec une aisance et une grâce, mêlées d’effronterie, qui font mouche. On a peine à croire que c’est le même air que nous avait donné à entendre quelques minutes plus tôt Zoya Petrova.
Le ténor coréen Myungin Lee (29 ans), qui fit son apprentissage en Corée et à la Hans Eisler hochschule für musik de Berlin, joua la carte de l’émotion plutôt que celle de la virtuosité. Difficile de briller, en effet, dans cet « Und Gott schuf den Menschen – Mit Würd und Hoheit angetan » de Haydn (Die Schöpfung Hob. XXI:2). Au moins le candidat s’en tire-t-il avec les honneurs au terme d’une prestation techniquement très soignée. Poursuivant sur la corde sensible avec « È la solita storia », extrait de L’Arlesiana de Francesci Cilea, le candidat témoigne d’une dynamique séduisante et d’une étonnante maîtrise du souffle. Point d’esbroufe, mais que de tendresse…!
C’est avec la soprano Marianne Croux (27 ans) que se referme la première épreuve de cette édition du concours. La jeune franco-belge fit ses études à l’IMEP à Namur, puis au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. L’an dernier, elle se hissait en finale du Concours Lili et Nadia Boulanger. Des trois versions qu’il nous fut donné d’entendre de « C’est des contrebandiers » de Bizet, celle-ci fut assurément la plus habitée, et de loin la plus convaincante. Lui succède un « Cantares » sur les pointes, tout en légèreté, extrait du Poema en forma de canciones op. 19 de Joaquín Turina : il est passé 22 heures, mais le soleil luit encore sous les voûtes du Studio 4… dans l’attente du verdict du jury !
Olivier Vrins
Bruxelles, Flagey, Studio 4, le 2 mai 2018 20h00 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.