Concours Reine Elisabeth : Première soirée de finale

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Les douze candidats retenus lors de la proclamation à Flagey le 20 mai interpréteront tour à tour trois à six œuvres issues d’une liste de répertoire établie par la commission artistique du Concours. L’Orchestre Symphonique de la Monnaie, sous la direction de Roland Böer, accompagne chaque candidat pour ces quatre soirées. Il est en revanche dommage que la direction n’impose pas une œuvre écrite pour le concours, comme cela se fait pour les autres disciplines.

Jodie Devos (lors des deùi-finales) © Bruno Vessiez
Jodie Devos (lors des deùi-finales) © Bruno Vessiez

Trois belles prestations en cette première soirée de finale. La Belge Jodie Devos se lâche littéralement dans le programme construit et intelligent qu’elle propose. Musicienne qui nous avait déjà touché lors des précédentes épreuves, l’ancienne étudiante de l’IMEP (Namur) diplômée de la Royal Academy of Music of London débute par une brillante interprétation de “ Es bringe die Erde Gras hervor – Nunbeut die Flur ” (Die Schöpfung, Haydn). Récitatif construit, expressivité toujours aussi naturelle et une conduite des phrases remarquable. Son style, pur, convient parfaitement à cette musique où l’on perçoit un véritable travail sur les intervalles. Aigus maîtrisés et colorés, des nuances intéressantes et une intonation proche de la perfection. Elle continue avec plus de finesse dans Vorreispiergarvi, oh Dio de Mozart. Dans un registre davantage dramatique, son timbre explore chaque recoins de la mélodie. Excellente prononciation (comme toujours), de véritables contrastes dans les nuances et une énergie qui contribue à l’aspect dramatique de la pièce. Grande maîtrise du souffle et des respirations, démontrant une technique redoutable. Elle poursuit avec “ Ah tardai troppo – O luce di quest’anima ” (Linda di Chamounix, Donizetti). Pas forcément l’œuvre la plus populaire du compositeur, on y décèle deux parties contrastantes. L’une douce au tempo modéré et l’autre plus rapide et légère. Jodie Devos saisit avec facilité chaque dynamique dans un style presque dansant. Chaque phrase est aboutie proposant une vraie construction générale. Vibrato plus souple pour une finaliste qui ose se libérer des contraintes académiques ce soir. Cette force se retrouve dans Amor de Richard Strauss où la diction est parfaite dans un style contrôlé et mature. Aucun souci ici, tant dans le dialogue avec l’orchestre que dans les registres. Elle termine par une lecture exceptionnelle de “ Glitter and be gay ” (Candide, Bernstein). On se souvient tous du timbre de NatalieDessay dans cette œuvre ; oserions-nous dire que l’interprétation de la jeune candidate dépasse largement nos attentes et surtout apporte une fraîcheur pas souvent présente chez d’autres ? Choix logique pour terminer cette prestation, Jodie Devos est pétillante, amusante sans aucune vulgarité dans des dynamiques libérées, bref une très belle prestation. Notons les très beaux soli des violon un et alto solo. Notre premier coup de cœur réitère ce soir ses premiers exploits, accompagnée par la battue attentive de Roland Böer. Triomphe mérité pour cette jeune candidate.

Emoke Barath (lors des demi-finales) © Bruno Vessiez
Emoke Barath (lors des demi-finales) © Bruno Vessiez

Si débuter une épreuve est souvent considéré comme un handicap, passer après une telle candidate est redoutable. Emoke Barath peine à trouver sa place sur la scène du Bozar. Candidate mature à la technique construite, on s’attendrait à une expressivité un peu plus exacerbée dans l’entièreté de son programme et à une interprétation plus poignante. Elle débute par une lecture appropriée de “ Blestbe the pow’r – oh ! had I Jubal’s lyre ” (Joshua, Haendel). Le court récitatif est simple mais efficace, le tout dans un timbre moelleux. On apprécie la construction évolutive qui donne du sens à l’œuvre. Cette pianiste et harpiste de formation, formée à Budapest, impose directement une assise franche. Son interprétation de Haendel est simple, sans complications et sans une puissance hyperbolique. Elle poursuit avec “ Quandoavran fine omai – Padre, germani, addio ” (Idomeneo, Mozart). Bonnes dynamiques générales mais un manque de contrastes évident. Certes la candidate a intégré la structure mais son interprétation ne nous bouleverse pas. Un manque de communication avec le public se ressent très vite, notamment par un style très académique. Dans “ Verstossen ! Verschlossen auf das Goldportal ” (Das Paradies und die Peri, Schumann), quelques belles couleurs mais le même handicap pour les contrastes. Belle partition qui manque ici de dynamisme malgré une maîtrise évidente. La nuance générale reste mezzoforte et n’explore à aucun moment les autres registres. Mêmes remarques pour “ Mesicku na nebihlubokem ” (Rusalka, Dvorak). Malgré une bonne diction et un timbre riche, cette partition si poignante semble un peu superficielle. Dommage que cette candidate à la technique impressionnante et à la maturité évidente ne se libère pas davantage dans les contours mélodiques : certaines notes pourraient être un peu plus chaudes, colorées ou tout simplement plus recherchées. Les rares nuances douces disparaissent aussitôt. Meilleur tempérament dans “ No wordfrom Tom – Quitly night – I go, I go to him ” (The Rake’s Progress, Stravinsky) où la candidate explore davantage les registres dynamiques. Bonne structure générale dans un style fidèle au compositeur. L’anglais est clair et les contrastes entre parties “ calmes ” et “ agitées ” sont ici (enfin !) saisissants. Malgré la rigueur de notre propos, saluons tout de même cette candidate talentueuse dont la place en finale est largement justifiée.

Levente Pall (lors des demi-finales) © Bruno Vessiez
Levente Pall (lors des demi-finales) © Bruno Vessiez

Seul candidat à saluer le Konzertmeister (même si cela pourrait paraître un détail, saluer le premier violon est la moindre des politesses), Levente Pall conclut la soirée honorablement. Candidat qui nous avait impressionné lors de la demi-finale, il propose ce soir une prestation moins aboutie. Ancien étudiant de Vienne et Hambourg, il commence par “ For behold – The people thatwalked in darkness ” (Messiah, Haendel). Style droit et robuste pour un candidat dont la puissance de l’émission vocale est formidable. La douceur de ses piano contraste merveilleusement bien avec l’incroyable puissance de ses forte. De vrais contrastes donc et une construction générale saisissante. Dans un style plus léger, il poursuit avec “ Madamina, il catalogo e questo ” (Don Giovanni, Mozart). On retrouve ici le style cocasse et charmeur qu’il avait proposé dans Rossini en demi-finale. Beaucoup d’humour, sans exagération et un timbre qui convient parfaitement à l’œuvre. Aisance naturelle, somptueuse couleur de voix et toujours ce coffre impressionnant. Le tempo est résolument choisi. Bref, un Mozart idéal. Ce style assuré convient aussi à Verdi et son Requiem (“ Confutatismaledictis ”). Phrases conduites avec justesse qui ne rivalisent pas de puissance avec l’orchestre. Œuvre d’une grande maturité où le candidat expose la même profondeur de ton. Justesse plus délicate dans “ Liubvuvsievozrastypokorny ” (EvgenyOnegin, Tchaikovsky). On entend ici un candidat plus poussif  où certains fortes ont légèrement forcés. Malgré un beau legato général, il manque quelques nuances douces chères au compositeur slave. La dernière œuvre se profile malheureusement de la même façon (“ Le veau d’or ”, Faust, Gounod). Dans ce bref extrait, la voix est poussée à l’extrême, ne permettant aucune nuance et couleur. Le candidat a sans doute démarré l’œuvre trop fort, ne lui laissant plus aucun retour possible. On le sent mal à l’aise, lutant pour maintenir ce niveau de puissance extrême avec une diction pas du tout claire. Mais félicitons ce candidat d’avoir proposé un programme aussi complexe et pour ses capacités vocales impressionnantes.

Les candidats sont accompagnés avec justesse et attention par l’Orchestre Symphonique de la Monnaie et Roland Böer. Nous regrettons juste un enchaînement précipité entre les œuvres, ne laissant pas le temps aux candidats de se recentrer et se préparer au changement de style. Soirée de haut niveau qui présage une finale captivante !

Ayrton Desimpelaere
Bruxelles, Bozar, le 28 mai 2014

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