Crésus de Keiser ouvre la saison au Théâtre de l’Athénée

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Le Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvé, réputé pour sa programmation audacieuse et parfois underground, ouvre sa saison avec un opéra baroque très peu connue en France : Crésus de Reinhard Keiser. Cette première française en version scénique est sur la scène depuis le 30 septembre jusqu’au 10 octobre, alors que l’Opéra de Paris (le Palais Garnier est situé à deux pas de l’Athénée) est fermé aux spectacles lyriques jusqu’à la fin de l’année et les autres salles parisiennes n’ont pas encore représenté d’opéra, Le Bourgeois Gentilhomme à l’Opéra-Comique, dont la première devait avoir lieu le 28 septembre, ayant été annulé pour un cas de la COVID-19 dans l’équipe artistique.

La première version de Crésus fut donnée durant le carnaval de 1711 au fameux « marché aux oies » à Hambourg, construit en 1678 à destination du public payant. L’œuvre connaît une autre version en 1730. La présente version, montée par l’Arcal (compagnie nationale de théâtre lyrique et musical) et coproduite par l’Athénée, le Centre des Bords de Marne et le Théâtre du Minotaure de Bézier propose une nouvelle édition établie par Johannes Pramsohler est une nouvelle édition à partir du manuscrit original de celle seconde version, proposée par Johannes Pramsohler, directeur artistique de l’Ensemble Diderot. Le sujet traite le parcours du roi de Lydie (actuelle Turquie), immensément riche grâce au fleuve Pactole qui regorge de l’or, sa gloire, sa fortune, ses amours, ses conflits intérieur et extérieur (la guerre avec Cyrus, roi de Perse), sa chute et sa vie graciée.

Ce qui frappe d’abord dans cette œuvre, c’est la diversité musicale, un véritable patchwork de styles et de genres. On peut ainsi goûter de bels airs à des vocalises virtuoses à la Vivaldi, à une expressivité montéverdienne, d’écriture instrumentale colorée (présence de zuffolos, sorte de flûte à bec sopranino) et parfois très dense. Des scènes bouffonnes se mêlent à des moments sérieux, l’exubérance à l’intériorité. Les personnages sont nombreux, dont la plupart rois, princes et princesses avec des tessitures semblables, ce qui rend quelque peu difficile la distinction des rôles. La présente version en présente neuf (mais Pramsohler précise que quelques-uns sont fusionnés et réduits) parmi lesquels émerge particulièrement le serviteur Elcius, dont la bouffonnerie est merveilleusement interprétée par Charlie Guillemin, le seul qui endosse d’emblée son rôle. La partition habile et diversifiée est jouée par 22 musiciens de l’Ensemble Diderot qui  la rendent vivace sous la direction de Pramsohler depuis son violon. Le soir de la première, les chanteurs étaient en retrait par rapport à l’orchestre, surtout avant l’entracte. Problèmes de justesse, vocalises non abouties, placement de voix incertaine, platitude dans l’expression, incarnation hésitante dans le rôle (excepté Charlie Guillemin déjà cité)… Des remarques sont nombreuses mais leur prestation s’améliore fort heureusement dans la deuxième partie.

Pour la mise en scène, Benoît Bénichou joue l’intemporalité du sujet en transportant la scène dans un univers bling-bling de nos jours où des formes multiples de la vanité et de la superficialité font légion. Les costumes et le maquillage, seyants ou sobres selon les scènes, ont leur part important dans la construction scénographique. Ce monde est symbolisé par le cube doré qui tourne et se transforme en différents lieux par l’ouverture à différents endroits. Autour de ce carré, des cailloux noirs sont tapissés en guise de la terre, représentant la régénération et la destruction, le souterrain, mais aussi le « symbole du désir terrestre et de ses possibilités de sublimation et de pervertissement ». La lumière éclaire ou assombrit ces décors, elle joue même un rôle psychologique de tels ou tels personnages. L’ensemble est fort plaisant, mais le caractère ostentatoire de certains éléments visuels disperse notre attention pour la musique d’autant qu’il y a parfois trop de mouvements disparates en même temps.

Quoi qu’il en soit, l’œuvre mérite d’être plus largement présentée tout comme son compositeur, et pour cela, Patrice Martinet, directeur du Théâtre de l’Athénée qui entame sa dernière saison, fait une fois de plus preuve de son choix judicieux.

Paris, Théâtre de l'Athénée, 30-09-2020

Victoria Okada

Crédits photographiques : © Amélie Kiritzé-Topor

 

 

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