Cyril Guillotin, musiques et poésies

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Le pianiste Cyril Guillotin propose un album qui met en relief le Livre 1 des Préludes de Debussy et 4 des Préludes de la compositrice contemporaine Françoise Choveaux. Mais ce double album Calliope met en miroir ces œuvres de Debussy avec une belle sélection de poèmes énoncés par le comédien François Marthouret. 

Vous proposez un album qui propose le Livre 1 des Préludes de Debussy et 4 des Préludes de la compositrice contemporaine Françoise Choveaux. Pourquoi une telle confrontation musicale ?

À la place de confrontation, je parlerais plutôt de filiation et de continuité dans la manière d'appréhender la substance sonore "palpable" et "impalpable". Comme beaucoup de monde, je connais la musique des Préludes de Debussy depuis mon enfance, avec des présentations interprétatives variées et de grande qualité, mais cependant ne me rassasiant pas en totalité, souvent par une conception à mon goût uniforme, trop unitaire, concrète, matérielle, normative de chaque prélude. Pour moi, pour une raison que je ne m'explique pas, cette musique a toujours représenté un monde empruntant à l'impalpable, au translucide, à l'immatériel, de l'ordre de l'idée et de la sensation, plutôt que de l'acte émotif. J'ai retrouvé ces similitudes conceptuelles dans la musique de Françoise Choveaux.

 Si on connaît très bien les Préludes de Debussy, on connaît mal les œuvres de Françoise Choveaux. Comment pouvez-vous définir sa musique ?

 La musique de Françoise Choveaux gagne à être connue, tant par sa variété que son étendue, et sa qualité bien sûr. C'est une musique faite de lumières, d'odeurs, éprise de nature, mais aussi tellurique parfois, et toujours profondément authentique. Elle touche au cœur avec franchise, et c'est ce qui me plaît ! Ayant été une brillante pianiste elle-même, Françoise Choveaux sait comment exploiter toutes les ressources de notre piano moderne, tout comme Debussy avant elle. Dès les premières notes de musique, on est transporté dans l'univers choisi, pas de chichi ni de blabla inutile, le message est tout de suite captable. C'est une musique qui s'écoute, mais surtout qui se vit.

 Les Préludes de Debussy sont l'un des monuments du piano marqué par de nombreuses interprétations légendaires. Comment allez-vous préparé cet enregistrement ? Est-ce que vous avez écouté d'autres interprétations ? 

Il m'a fallu un certain temps pour prendre la décision finale de faire cet enregistrement, car les Préludes de Debussy sont effectivement un monument du répertoire pianistique, honoré maintes fois de très belles manières à travers les âges. Mais comme je vous l'ai dit en préambule, aucune de ces versions, aussi abouties et respectables soient-elle, ne me comblait entièrement, dans la réalisation unitaire de chaque prélude mais surtout dans la conception et la vision générale d'ensemble, dans cette arche globale que je ressentais tellement et ne retrouvais pas dans mes écoutes. Bien sûr, cela ne m'empêche pas d'être fasciné par le ciselage d'un Arturo Benedetti Michelangeli, les ambiances d'un Krystian Zimerman, sans parler de mon maître Aldo Ciccolini ou encore d'un Théodore Paraskivesco. Il m'a fallu me défaire de toutes ces fascinations que je pouvais avoir enfant, pour que chacun des goûts et aspirations puisse se sédimenter en moi et fusionner en un nouveau tout, avec lequel je sois en pleine cohérence, et ressenti sur chaque note le constituant. C'est là que le temps devient un allié : quand on sait se montrer patient et confiant, il permet ce cheminement personnel.

Dans l'interprétation des Préludes Debussy, on peut écouter une école française caractérisée par des pianistes (Robert Casadesus, Jacques Février...) avec un jeu qui peut sembler un peu sec et très contrôlé dans le rendu des couleurs de cette musique. Est-ce que cette école française vous parle ?

 Vous savez, dès mon plus jeune âge, j'ai eu la chance d'être bercé dans des esthétiques transversales, riches et entremêlées, entre tradition française et russe, notamment avec Gabriella Tormas ; puis à travers mon parcours d'apprentissage de jeune pianiste, par des enseignements aussi diverses et complémentaires que ceux de Chantal Fraysse, Olivier Gardon, Billy Eidi, Jacques Rouvier, Pascal Devoyon... , puis dans le perfectionnement de ma formation au Conservatoire et après, avec Brigitte Engerer, Dominique Merlet, et bien sûr Aldo Ciccolini. Chacun m'a apporté quelque chose de précieux, eux-mêmes transportant une partie de cette "école française", tout en l'ayant adaptée et enrichie. Et j'ai moi-même, ensuite, fait ma propre synthèse de tous ces savoirs pour en générer ce que je suis aujourd'hui. Alors, évidemment que cette "école française" me parle, et que j'essaierai d'en porter une part de mémoire, mais elle n'est qu'une composante de ma réalité artistique et émotionnelle, qui rejette en revanche la sécheresse pure ou le contrôle étouffant. La musique doit pouvoir respirer librement, sans carcan ni exagération forcée ; la respecter dans son essence originelle est la plus belle et difficile des quêtes.

 Debussy est un compositeur que l'on associe plutôt à l'image et à la couleur, mais sur un deuxième CD bonus de votre enregistrement, vous proposez des poèmes avec la complicité du comédien François Marthouret. Pourquoi ce choix des poèmes ?

J'aime prendre le risque d'aller au bout d'un processus de réflexion et de création pour essayer de permettre au plus grand nombre d'accéder à cette expérience de partage. Beaucoup de gens trouvent, par erreur ou manque d'accompagnement, la musique de Debussy difficile d'accès, car moins directe, nécessitant plus d'attention, ne se livrant pas tout de suite sans retenue, plus énigmatique et mystérieuse que d'autres musiques. Alors on peut l'associer à des choses contemplatives et figées, comme regarder un tableau pour la plupart des gens qui ne parviennent pas à déceler le mouvement et la vie d'une toile. Or, il ne fait aucun doute pour moi que la musique est mouvement et vie, même dans ses aspects les plus fixateurs. Alors quoi de mieux, pour prendre le public par la main et le guider sur le chemin de ces 12 Préludes réunis, que de le plonger et l'envelopper du verbe, du langage permettant de déclencher peut-être plus facilement le processus de projection imaginative ?

Dès lors, il était pour moi évident que ma proposition de ce premier cycle de préludes devait s'étoffer de la magie des mots, dialoguer avec elle, et plonger l'auditeur au cœur d'un conte dont il dessinerait lui-même les frontières : l'idée des "Préludes poétiques" était née.

 L'amplitude des auteurs est large avec des poésies qui vont du Moyen-Âge au haïku. Comment avez-vous sélectionné ces poèmes ?

 Le choix des poèmes était une responsabilité centrale. Il me fallait trouver une personne capable, par sa sensibilité et l'étendue de sa culture, de penser en mots ce que la musique pouvait évoquer sous mon ressenti. C'est pour cette raison que j'ai demandé à mon amie et collègue au Conservatoire du Grand Narbonne, Andrée Benchétrit, si elle acceptait de m'accompagner dans cette aventure créatrice. Et c'est à l'écoute de la musique qu'elle a laissé l'inspiration la guider vers tel auteur, telle période, tel poème, pour me faire une proposition de sélection qui colle à la trame que je souhaitais développer au cours des 12 préludes. Il a ensuite fallu vérifier la parfaite concordance de sens, voir de musicalité, entre les poèmes et la musique, et le tour était joué !

 La musique est-elle la continuité du verbe?

 C’est une question épineuse et on pourrait aussi se demander si le verbe n'est pas également une forme de musique et se situer donc en continuité à son tour... je ne saurais et voudrais trop trancher maladroitement cette interrogation. En revanche, ce que je peux assurer, et recommander même aux personnes qui viennent acheter le disque à la fin des concerts, c'est de se laisser véritablement vivre l'expérience de l'immersion sensitive globale et totale du deuxième CD (avec poème), avant d'écouter le 1er CD (avec la musique seule et nue).

Car j'aime à penser que ce voyage, qu’induirait l'enchaînement des musiques et textes en première écoute, prépare l'auditeur à écouter ensuite la fresque des Préludes « seuls », dans une disponibilité auditive libérée de tout carcan, habitudes ou attentes particulières, évitant de se laisser piéger dans une écoute anecdotique et parcellaire, étanche et isolée de chaque prélude, accédant alors à une nouvelle vision de cette œuvre, un nouvel horizon.

Le site de Cyril Guillotin : https://www.bs-artist.com/pages/les-artistes/pianistes/cyril-guillotin-pianiste.html

  • A écouter 

Claude Debussy / Françoise Choveaux : Préludes poétiques, Acte 1. Cyril GUILLOTIN, piano ;  François Marthouret, narration. 2 CD Calliope. CAL2184

 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Jean-Paul Bonincontro

 

 

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