Iván Fischer et l’Orchestre du Festival de Budapest bouclent leur intégrale des symphonies de Brahms

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Johannes Brahms (1833-1897) : Symphonie n° 3 en fa majeur op. 90 ; Sérénade n° 2 en la majeur op. 16. Orchestre du Festival de Budapest, direction Iván  Fischer. 2020. Notice en anglais, en allemand et en français. 68.13. SACD Channel Classics CCS SA 43821.

Avec ce quatrième CD, Iván  Fischer et sa phalange hongroise mettent un point final à une intégrale qui a couplé la Symphonie n° 1 avec les Variations sur un thème de Haydn, la Symphonie n° 2 avec l’Ouverture académique et l’Ouverture tragique, et la Quatrième avec une sélection de Danses hongroises. Pour clôturer ce cycle dont les trois premières étapes ont été bien accueillies par la critique, la Symphonie n° 3 est accompagnée de la juvénile Sérénade n° 2, un choix qui va se révéler judicieux.

Si votre attirance brahmsienne, dans le cas de la Symphonie n° 3, est nourrie, pour ne parler que des grands anciens, de la version intense, animée par une énergie lumineuse, de Wilhelm Furtwängler avec le Philharmonique de Berlin en décembre 1949 (sans doute parmi les plus grands témoignages du maître allemand) ou de la grandeur romantique pleine de sensualité de Rafael Kubelik avec la Philharmonie de Vienne en 1957 -récemment rééditée par Decca, la présente version risque de vous demander un temps d’adaptation. On essaie de trouver le terme juste qui convienne à la conception de Fischer et l’on s’accorde en fin de compte à ne pouvoir conclure la recherche que par les mots « allégée » et « décantée ». C’est que l’Orchestre du Festival de Budapest, dont les réussites dans Mahler, Schubert ou Beethoven relèvent de l’évidence, est une phalange aux accents savoureusement travaillés, avec une mise en lumière des sonorités d’ensemble, des couleurs instrumentales chaudes et colorées et un lyrisme rarement pris en défaut. Voilà encore un terme à attribuer à cette version : le lyrisme domine et s’impose au drame que d’autres y dessinent, et la priorité esthétique l’emporte sur l’émotion non contrôlée.

On sait que Brahms a achevé cette merveille symphonique au cours de l’été 1883, passé dans la station d’eau de Wiesbaden, où le compositeur pouvait faire de longues promenades. On laissera au mélomane le plaisir de la lecture complète des sept lignes insérées en guise d’avant-notice, par Iván Fischer lui-même, qui débutent par cette affirmation : L’histoire d’une vie en dix mesures - il n’y a pas de plus magnifique ouverture de symphonie que les 34 premières secondes de la Troisième symphonie de Brahms. De son côté, Clemens Romijn, l’auteur de la notice, ne manque pas de rappeler que Brahms a choisi de composer de la musique pure et abstraite, non « descriptive » : pas de récit, de souvenir de voyage, d’impression visuelle. Et pourtant, la Troisième symphonie est portée par un élément sous-jacent très personnel. Voilà l’occasion de rappeler que le fil directeur des quatre mouvements est une cellule constituée par les notes fa-la-fa (F-A-F) évoquant le fait que, célibataire endurci, le compositeur avait une devise : Frei aber froh ! (Libre mais heureux !). Après audition de la symphonie, Clara Schumann verra néanmoins une aurore dans le premier mouvement, et des images sonores de nature ou de prière dans le second… 

On va droit au Poco Allegretto, le troisième mouvement, hautement inspiré, avec sa veine à la fois douloureuse et consolatrice, son évocation bucolique en demi-teinte, qui respire la tendresse et la passion maitrisée. La fluidité de la phalange hongroise occupe ici le terrain avec toute la chaleur que Fischer lui insuffle, avec une lucide portée qui se refuse à souligner le tragique tout en frôlant la vérité qu’il suggère. Admirable moment qui domine l’interprétation. Avant lui, le premier mouvement, l’Allegro con brio et ses 34 secondes initiales, exubérantes et palpitantes, a été lancé par Fischer avec une conviction absolue, avant de planter un décor où l’élan et la vigueur se répondent sans excès. Les instrumentistes y font apprécier leurs qualités de souplesse et de verdeur. L’Andante est d’une subtilité qui englobe des côtés tristes et sombres, voire résignés, dont l’unité émotionnelle est parfaite. Après que le Poco Allegretto, déjà évoqué, ait laissé sa marque langoureuse dans les rêves intérieurs de l’auditeur, l’Allegro final apparaît comme tourmenté, avec des élans solennels, avant que la symphonie ne s’achève dans un apaisement majestueux, comme si une contemplation intérieure, ou plutôt une méditation, devait venir conclure toute cette architecture mélodique de façon interrogative. On sent que Fischer a beaucoup réfléchi à la structure même de son vécu brahmsien. Il semble en avoir retenu les composantes lyriques les plus nobles en les adaptant aux qualités des couleurs de son orchestre, privilégiant la substance expressive et l’éclairage chaleureux plutôt que le message de grandeur ou de dramatisation. Ce qui peut légèrement décevoir. Une vision en tout cas homogène ; nous lui préférons l’engagement plus pathétique des grands anciens cités, auxquels nous ajouterons, pour la bonne bouche, l’équilibre et la mise en place des gravures de Karajan, ou, plus proches de nous, la plasticité de Paavo Berglund ou les séductions de Mariss Jansons. Il est cependant certain que maints amateurs de Brahms trouveront leur bonheur avec Fischer, dont le complément de programme est idéal et vivement recommandé.

Dans la Sérénade n° 2 créée à Hambourg en février 1860 par Brahms lui-même alors âgé de 26 ans, le compositeur n’a conservé que les cordes graves et les bois ; ni violons, ni trompettes ou trombones, absence de percussion. Ici, la capacité de fraîcheur et de transparence de la phalange hongroise fonctionne à merveille. Intensément lyrique et chaleureuse, la version de Fischer s’épanouit dans un contexte brillant qui met en lumière des nuances mélodiques de toute beauté. Cette page trop négligée chante dans son Allegro moderato initial, déploie une rusticité énergique dans le Scherzo, s’épanouit dans un Adagio non troppo à la fois lent et concentré qui a soulevé en son temps l’enthousiasme de Clara Schumann. On savoure la fine collaboration entre le hautbois et les cordes graves dans le Quasi minuetto avec sa touche d’ironie bien comprise, pour admirer un Final enlevé, vif et robuste, aux accents fruités, qui n’occultent pas la nostalgie qui se dégage de la scène pastorale. Superbe lecture qui rejoint, à plus de cinquante ans de distance, la poésie et la saveur expressive d’István Kertesz à la tête d’un élégant Symphonique de Londres. L’excellence de la prise de son, effectuée du 30 août au 2 septembre 2020 au Müpa de Budapest, est à souligner. 

Son : 10 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 8,5 (Symphonie) ; 10 (Sérénade)

Jean Lacroix 

 

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