David Handler : premier disque, vraie découverte
Life Like Violence. David Handler (1980-). David Handler, Orlando Alonso, Ensemble LPR, William Devos. 31’59". 2025. Livret: anglais. Cantaloupe Music. CA21196.
« C’est le son de ma psyché » indique David Handler (compositeur, multi-instrumentiste et cofondateur de (Le) Poisson Rouge (LPR), salle de concert à New York), qualifiant les cinq pièces qu’il rassemble sur ce premier disque, paru sur le label Cantaloupe Music, mis sur pied en 2001 par le trio fondateur de l’ensemble new-yorkais Bang on a Can (Michael Gordon, David Lang et Julia Wolfe) : une psyché qui ne dort pas tranquille tous les jours et respire souvent par à-coups, soumise aux coups de butoir de la vie du monde, plus intranquille que jamais.
Dans Life Like Violence, il y a de l’incongru, à l’image de la démarche pantelante du déroutant Ever After, où célesta et harpe entrent en collision à chaque circonvolution, à chaque croisement, à chaque inflexion, à chaque changement de direction – comme une horde de fourmis en mouvement tout à coup démunies du GPS anti-collision naturel ; un Time Square à l’heure de pointe envahi par des New-Yorkais engourdis.
Dans Life Like Violence, il y a du vol à l’arraché, telle la brutalité mouvante des incursions incessantes des cordes dans le passionnant Solstice, lardé d’incisions répétées (le court thème lancinant au violon) – sans doute la meilleure illustration de l’étonnante profession de foi du compositeur parlant de ses compositions : « une musique qui s'attaque à elle-même », où l’ironie mord, où l’insistance mine, où la taquinerie poignarde. Le solstice, moment d'inégalité extrême des jours et des nuits, sert de fil conducteur au compositeur pour intégrer la mort d’une parente chère.
Dans Life Like Violence, il y a de l’obscurité sépulcrale, reflet de l’angoisse qui ronge de l’intérieur, contraste de sacré et de profane : on ne sait où mais c’est là que nous mène Lullaby (une berceuse, retravaillée au point d’y perdre sa nature), dans lequel Handler, comme dans la plupart de ses morceaux, joue – ici du piano et de l’électronique (c’est aussi lui qui produit le disque).
Dans Life Like Violence, il y a une colère si contenue qu’elle enrage et ne parvient qu’à murmurer, comme dans Untitled Caprice (aussi titré Life Like Violence Circa 2003, mais je préfère son deuxième nom), que je prends un peu de temps à apprécier : un collage sonore qui parle de trahison, d’amour brisé, de désir satisfait, entortillé par une guitare espagnole façon fin 19ème dont les pincements claquent comme du zinc.
Dans Life Like Violence, il y a la mélancolie du vivant, la ligne imperturbable qui se trace et avance : Sunbled Sky est une romance pour violon et piano, marmoréenne, inflexible face aux ukases bruitistes des machines, insensible à autre chose qu’à son propre spleen – d’une beauté vitale.
Life Like Violence est l’album, court et hétéroclite, (dense et éclectique), d’un musicien-entrepreneur, qui aime juxtaposer – les sons, les esthétiques, les activités – et crée des musiques qui interpellent, heurtent avant qu’on ne s’arrête pour les écouter, vraiment.
Son : 8 – Livret : 7 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8
Chronique réalisée sur base de l'édition digitale.
Bernard Vincken