Magnifique piano d’époque à découvrir dans le premier Concerto de Brahms

par

Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour piano no 1 en ré mineur, opus 15. Ouverture Tragique, opus 81. Luigi Cherubini (1760-1842) : Ouverture d’Éliza, ou Le Voyage aux Glaciers du Mont Saint-Bernard. Alexander Melnikov, piano. Ivor Bolton, Orchestre symphonique de Bâle. Juin 2020. Livret en français, anglais et allemand. TT 74’07. Harmonia Mundi HMM 902602

Brahms admirait Cherubini, dirigea son Requiem en ut mineur, accrocha son portrait dans sa chambre, nous rappelle le livret fort bien informé et rédigé. La présence de l’Ouverture d’Éliza sur ce disque se justifie par un rapprochement avec un concert de janvier 1859 à Leipzig, où fut présenté le Concerto opus 15. Interprétation fine et subtilement colorée mais pas très nerveuse. Neville Marriner et son Academy (Emi, mai 1991) y mettaient plus de vitalité. L’autre Ouverture au programme confirme que l’on peut se dispenser du harnais de sécurité.

En septembre 1961 à Munich, le foudroyant Carl Schuricht bouclait l’Ouverture tragique en onze minutes ! Karajan y cultiva toujours une certaine ampleur (14’36 dans son dernier enregistrement, en 1983), idem que Willem Mengelberg (Telefunken, 1942). À peine plus serré pour George Szell à Cleveland (CBS) : 14’29, qui lui non plus n’était pourtant pas réputé pour son apathie. André Previn (Telarc, 1991) délayait en 15’07, pour un résultat grandiloquent. Rappelons que cette partition durchkomponiert n’inclut aucune barre de reprise qui expliquerait la variabilité des durées, relevant donc de la seule gestion du tempo. Autant dire qu’en lisant le minutage de la présente version (15’25 annoncé, 15’14 sans le blanc), on s’interroge. Et l’écoute fournit la réponse : au mieux qu’on saurait dire, voici une lecture très soignée dans son phrasé, ses gradations dynamiques. Au pire : maniériste, amorphe, dénervée et lénifiante. Malheureuse séquelle des tentations HIP qui en oublient l’expression. L’on n’aurait jamais cru pouvoir s’ennuyer dans cette œuvre qui certes comporte ses nécessaires méandres : là on s’y noie. Tentez votre chance.

Gardez la bouée pour le début du Concerto où l’on escompterait escarpements et visions dantesques. Malgré un certain relief qu’il lui accorde, le maestro enlise l’introduction orchestrale du Maestoso dans un marécage qui ne laisse entrevoir qu’un morne drame. Pour considérer une analogie avec deux célèbres toiles de Caspar David Friedrich, le tableau peint par Ivor Bolton fait moins penser au romantisme exalté du Voyageur contemplant une mer de nuages qu’aux glaciales perspectives de La Mer de glace où Pierre-Jean David entrevoyait la « tragédie du paysage ». Le fougueux compositeur d’à peine vingt ans trouve-t-il à se représenter dans ces icebergs et congères ? Le soliste joue un instrument contemporain de cet opus, un Blüthner de 1859, a priori le même que celui d’András Schiff dans son enregistrement réalisé fin 2019 chez ECM : sa palette pellucide, le medium parfumé répondent au toucher nuancé d’Alexander Melnikov. Les passages de bravoure, soulignés par une claire accentuation, attestent que ce piano en a dans le coffre, malgré une projection limitée (les aigus sont un peu tamisés). Au moins, la direction empesée qui s’impose à ce Maestoso ne vole pas la vedette au soliste dont on apprécie tant la sonorité que l’intelligence.

La phalange baloise et en particulier ses bois délicats tamisent un éclairage vitreux qui convient à l’Adagio. Le pianiste s’y distingue par sa poésie patiente, son lyrisme serein, puis s’enhardit pour le fringant Rondo conclusif. L’articulation du clavier, sa richesse de couleurs, un modelé jamais brusqué y sont vraiment captivants. La baguette, à son meilleur dans ce troisième mouvement, y stimule quelques électrisantes envolées, sans que cette transparence ne subisse quelques baisses de voltage (le fugato des cordes), et donc sans pouvoir rivaliser avec la puissance de feu des meilleures versions du catalogue. À conseiller toutefois aux oreilles qui trouvent opaques certaines références de la tradition germanique. Difficile d’évaluer le présent témoignage que nous moyennons à 8,5 : on adore son versant pianistique, toutefois on est plus circonspect sur la conduite orchestrale, certes majestueuse mais parfois aussi pâle, massive et glacée que l’illustration de couverture, même si l’on y décèle (soyons juste) un soupçon de soleil qui ne demande qu’à chauffer et vivifier. À découvrir prioritairement pour Alexander Melnikov et son instrument.

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 7 (Cherubini) à 10 – Interprétation : 3 (op. 81) à 8,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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