Descendu de son chameau, Félicien David s'élance vers l'Amérique !

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Christophe Colomb de Félicien David
Fort du succès phénoménal de son Désert en 1844, Félicien David continue sur sa lancée : se succèdent Moïse au Sinaï, Christophe Colomb, L'Eden enfin, accueillis diversement par un public qui espérait encore et toujours de l'exotisme oriental. Non, David ne fut pas que l'auteur du Désert, même si son nom reste attaché à l'invention officielle de  l'orientalisme en musique. Qu'est-ce qu'une "ode-symphonie" ? Une oeuvre un peu hybride, non destinée au théâtre, entre le mélodrame et l'oratorio, dont on peut trouver des antécédents chez Berlioz (Lélio), comportant un narrateur, un ou plusieurs solistes, choeur et orchestre. Le Désert, purement descriptif, évoque des scènes et des paysages, Christophe Colomb (1847), lui, suit une trame, du départ de l'explorateur jusqu’à la découverte de l'Amérique. L'oeuvre est plus longue et plus imposante aussi (une heure et demie), et se divise en quatre parties : Le Départ, Une nuit des tropiques, Le Calme plat - La Révolte, Le Nouveau Monde. Nous assistons au départ de l'expédition : première intervention de Colomb, beau duo de fiancés séparés, rappelant toute l'invention mélodique de l'auteur de Lalla Roukh, puis hymne de départ et prière angoissée. La seconde partie, en pleine mer, débute par un admirable nocturne orchestral. Suit peut-être le plus beau passage de la partition : la rencontre entre les marins et d'enjôleuses sirènes, scène d'une beauté magique. Le tableau se termine par une chanson espagnole (avec castagnettes) et un pittoresque choeur de buveurs. Le vent tombe, les navires sont immobilisés, arrive alors la fameuse scène de la révolte des marins, que Darius Milhaud a si bien illustrée dans son propre Christophe Colomb. Par son talent d'orateur, Colomb calme la fièvre de ses gens : belle scène, presque verdienne dans son élan dramatique. Le quatrième tableau nous amène en Amérique : après un superbe prélude instrumental (les violoncelles, les cors et les vents s'y taillent un beau succès), un matelot crie " Terre "! Suivent une petite danse avec tambourin, un choeur des indigènes païens, une fort agréable berceuse pour soprano, trois pages où l’on retrouve le compositeur « exotique » et, avant le choeur final, un récitatif vigoureux de Christophe Colomb, invitant à respecter les droits des américains, nos frères. Félicien David se montre ici bien disciple saint-simonien, presque socialiste, fort en avance sur son époque colonisatrice.
Comme pour le grand opéra Herculanum, autre chef-d'oeuvre de Félicien David, dont la résurrection a été chroniquée ici même, nous avons assisté à une véritable redécouverte. Certes, David n'est pas Berlioz, et il n'en a pas les éclairs de génie fulgurants. Mais il est une voix du XIXème siècle français que nous ne pouvons ignorer. Voici un musicien profondément sincère et original, et qu'à nouveau, le Palazzetto Bru Zane, instigateur du concert (donné déjà à La Côte Saint-André, et redonné à Versailles)  nous amène à réentendre, dans sa politique de redécouverte du romantisme français. Le charme des mélodies, l'harmonie classique mais toujours intéressante et l'écriture chorale magistrale, confirment la maîtrise de Félicien David, compositeur bien digne de figurer aux côtés de Berlioz, son prédécesseur au fauteuil de l'Institut. Interprétation superbe de Chantal Santon, Julien Behr, et surtout de Jozef Wagner en Colomb puissant et dramatique. Jean-Marie Winling était un récitant sobre et efficace, et d'une diction parfaite. François-Xavier Roth a dirigé son ensemble des Siècles et le Vlaams Radio Koor avec une énergie formidable, qui a concouru de manière magistrale à la réussite de ce concert. On se réjouit déjà de la parution de l'enregistrement d'une oeuvre qui en vaut vraiment la peine.
Bruno Peeters
Gent, De Bijloke, le 11 décembre 2014

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