François-Xavier Roth dirige un Beethoven plus que jamais éternel et universel

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Voilà un concert intimement lié à l’actualité.

Le 15 (ou le 16, on ne sait pas ; on sait seulement qu’il a été baptisé le 17) mars 1770, naissait Ludwig van Beethoven. En 2020, on fête donc le 250e anniversaire de cet incroyable génie qui aura tellement marqué l’histoire de la musique dans tous les genres auxquels il aura imprimé sa personnalité révolutionnaire. Parmi eux, il en est un qui lui aura donné une popularité sans frontières : la symphonie. Alors, année Beethoven oblige, les intégrales des symphonies se multiplient. 

Un quart de millénaire après la naissance de ce prodigieux compositeur qui, à lui tout seul, aura marqué l’Humanité, et malgré les progrès de la médecine, le monde est secoué par un virus venu de l’autre bout de la planète et qui, en quelques semaines, est en train de tous nous bouleverser. Les rassemblements de plus de 1000 personnes ont été interdits. Tous les concerts dans la Grande Salle de la Philharmonie de Paris ont été annulés. A Versailles, la jauge est en-deçà. Les concerts sont donc maintenus.

C’est dans cet autre aspect de l’actualité que s’inscrivait le premier concert de cette intégrale, avec les symphonies Nos 1, 4 & 6. Il débutait à l’heure précise où le Président de la République parlait aux Français, dans une allocution télévisée regardée par près de 25 millions de nos concitoyens, un record alors absolu. Dans le splendide et luxueux opéra commandé par Louis XIV, ce discours occupait certainement beaucoup de têtes. Mais aucune retransmission n’étant prévue, seuls Beethoven et ses symphonies se faisaient entendre.

La Première Symphonie doit beaucoup à Haydn, dit-on. Certes. Et pourtant, attaquer sa première symphonie par une dissonance... Qui d’autre que Beethoven pouvait se le permettre ? Sous la direction de François-Xavier Roth, cette introduction Adagio molto nous prend par sa densité interne. Elle perdure dans l’Allegro con brio, qui s’enchaîne avec beaucoup de naturel, malgré le contraste de dynamique et de tempo. Tout le mouvement, qui serait d'ailleurs davantage sautillant que brillant, n’est jamais superficiel, et n’oublie surtout pas de chanter. L’Andante cantabile con moto est effectivement très allant, presque dansant, d’une grande élégance. Le Menuetto (Allegro molto e vivace, qui est dans l’esprit déjà le Scherzo que Beethoven généralisera par la suite) est bondissant à souhait, et contrairement à la tradition, le Trio, avec ses virtuoses arabesques des violons, reste dans un tempo aussi rapide. La très étonnante introduction Adagio du Finale est rendue avec beaucoup de soin et de naturel, et la longue césure avant la gamme qui introduit l’Allegro molto e vivace met celle-ci en valeur ; elle n’en ressortira que mieux tout au long du mouvement qui reste palpitant d’un bout à l’autre, et en particulier à la fin, où ces gammes libèrent superbement l’énergie qui s’est accumulée depuis le début de la symphonie.

Si la Première Symphonie est encore proche de Haydn dans son écriture, la Quatrième en a aussi quelque chose, mais plutôt dans la bonne humeur qui s’en dégage. Elle exprime même un certain bonheur, une certaine joie de vivre auxquels Beethoven n’est pas toujours coutumier. L’introduction Adagio, sur les instruments d’époque des Siècles, sonne avec une saisissante modernité ; et l’Allegro vivace surgit, bouillonnant, plein de sève, toujours allant malgré quelques très courts coups de frein. Dans l’Adagio, François-Xavier Roth nous montre tout son talent à construire de grandes phrases. Pour cela, il a un secret : laisser jouer les instrumentistes, qui sont suffisamment talentueux et musiciens pour s’exprimer collectivement. Le Scherzo (Allegro vivace) est finement phrasé et joliment articulé, non sans humour. Pas d’introduction cette fois pour le Finale, mais une très légère pause de l’orchestre -que l’on peut trouver dommageable- et l’Allegro ma non troppo démarre sur les chapeaux de roue, frémissant et alerte (tant pis pour le non troppo !), irrésistible d’un bout à l’autre. À la toute fin, comme un clin d’œil à l’introduction du Finale de la symphonie jouée juste avant, François-Xavier Roth fait à nouveau une pause (très longue cette fois) avant la gamme qui lance les derniers accords. La boucle est bouclée !

Et c’est l’entracte. Nous sommes heureux d’être à ce beau concert, avec cet orchestre et ce chef tellement formidables. Assurément, en France, l’une des aventures de musique collective les plus enthousiasmantes de ces dernières années.  Nous savons que le Président de la République a parlé. La technologie nous permet de savoir ce qu’il a dit. L’heure est grave. Toutes les crèches, écoles, collèges et lycées fermeront pour une durée indéterminée. Mais pas  de nouvelles restrictions qui toucheraient d’autres concerts. 

Place, donc, à la Sixième Symphonie, dite Pastorale. Indubitablement, il s’est alors passé quelque chose de très fort. Rien de pittoresque, de descriptif ; de la musique, rien que de la musique. Si la Neuvième, en célébrant la Joie, est un Hymne à l’Humanité, cette Sixième des Siècles a été un Hymne à la Nature, cette nature qui aura été, finalement, la plus intime confidente de Beethoven. Et nous avons ressenti, de la part de tout l’orchestre, une véritable joie, justement, de nous offrir cette Pastorale. Sur scène, ce n’étaient pas des plaisirs individuels qui s’exprimaient ; nous assistions à un très puissant événement collectif. François-Xavier Roth en était assurément l’artisan ; mais en toute humilité, laissant l’orchestre s’exprimer en toute confiance.

Face à l’enthousiasme du public, François-Xavier Roth a pris la parole pour dire que le bis, ce serait les concerts suivants. Mais on apprenait le lendemain que la limite pour les rassemblements passait à 100 personnes. Les concerts seraient donc finalement annulés. L’orchestre a tout de même décidé d’honorer celui du 14, mais sans public, et de le diffuser en direct sur Mezzo et il reste disponible pendant un an : https://bit.ly/33p8EP0.

À l’heure de publier cette chronique, la France et ses voisins sont confinés. Qui, mieux que Beethoven, peut continuer de nous rassembler malgré tout ? Et si la folie du monde moderne a sa part de responsabilité dans la diffusion et les conséquences de ce virus, les techniques modernes permettent aussi la diffusion de la musique de Beethoven, tellement universelle, tellement fraternelle. Merci aux merveilleux musiciens des Siècles de nous avoir permis de quitter, provisoirement bien sûr, l’univers des salles de concert sur cette certitude que l’espoir est toujours là, la joie toujours possible.

Versailles, Opéra Royal, 12 mars 2020

Pierre Carrive 

Crédits photographiques :  Holger Talinski

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