Deux autres versions du Deutsches Requiem

par

deutsches requiem SinopoliJohannes Brahms (1833-1897)
Ein deutsches
Requiem, op.45

- Prague Philharmonic Chorus, Lubomir Matle, chef de chœur – Czech Philharmonic Orchestra, Giuseppe Sinopoli, direction – Lucia Popp, soprano – Wowlfgang Brendel, baryton
2014-DDD-75’58-textes de présentation en anglais-Deutsche Grammophon 478 6970
- London Symphony Chorus, Simon Halsey, chef de chœur – London Symphony Orchestra, Valery Gergiev, direction – Sally Matthews, soprano – Christopher Maltman, baryton
2014-SACD-64’07-Textes de présentation en anglais, allemand et français-London Symphony Orchestra LSO0748

Deux versions honorables et intéressantes pour Ein deutsches Requiem de Brahms. Sorte de grande méditation sur la condition du mortel, l’œuvre reprend seize passages de la Bible que Brahms, par son éducation chrétienne, maîtrise. Profondément humain, ce Requiem démontre le talent inné de Brahms pour la musique chorale et la façon dont il fait ressortir certaines couleurs inexploitables à l’orchestre. Schumann affirmait que Brahms goûterait un avenir glorieux s’il s’intéressait davantage à la musique chorale. C’est chose faite avec ce Requiem, plus proche d’une consolation aux vivants qu’un hommage aux morts. L’œuvre en six mouvements est créée en 1868 tandis que la version complète est donnée à Leipzig un an plus tard. Sept mouvements dans une structure large et colossale où se succèdent fugues, oppositions, marche funèbre, passages méditatifs et lyriques avec une orchestration dont le travail conséquent sur les couleurs, la puissance et aussi sur le dramatisme de certaines harmonies offre un hommage bouleversant, apprécié de tous.
La version du London Symphony Orchestra et son chœur bénéficie inévitablement de l’énergie incessante de Valery Gergiev. Dans des tempi allants, le chef modèle sa structure très souplement et sans complications. Le timbre général est intime, parfois froid, tandis que le chœur excelle dans sa partie : timbre précis, homogénéité, texte clair et bonne intonation, notamment dans les redoutables fugues. S’apprécient l’appui de certaines harmonies dissonantes, apportant des accents dramatiques saisissants. Gergiev choisit comme souvent ses tempi en fonction de la fluidité et de la linéarité du discours. De fait et contrairement à trop de versions, aucune lourdeur ne s’installe. Dans la seconde partie, on est fasciné par la construction des vents et le rapport idéal avec le chœur, appuyé par des timbales angoissantes. Petit bémol avec les solistes : la soprano Sally Matthews aurait pu aller plus loin, tant dans le style que dans l’expressivité. Elle semble s’effacer, disparaître et ne va pas dans le sens des audaces de Gergiev. Une seule couleur générale qui peine à évoluer. Le vibrato, très présent, mériterait aussi un peu plus de finesse. Christopher Maltman, plus énergique, dispose d’une très belle voix mais qui conviendra sans doute mieux à l’opéra. La version de Gergiev, enregistrée lors des concerts de mars 2013 à Londres, est vivante et sans épuisement. Mais on se demande si une version DVD n’aurait pas été plus intéressante pour se rapprocher davantage de l’émotion vécue lors du concert.
Enregistrée en studio, la version de Giuseppe Sinopoli est beaucoup plus sobre et contrôlée. Les tempi sont plus lents, plus introspectifs où calme et discrétion sont maîtres. Sinopoli travaille davantage sur le rubato et sur la construction des phrases, là où Gergiev aurait tendance à précipiter les évènements. Sinopoli prend le temps d’affiner certains détails qui lui tiennent à cœur. Belle énergie générale, parfois trop massive dans les tutti. On a le sentiment par moment qu’un manque de naturel s’installe, certainement lié à l’enregistrement studio. L’œuvre ne manque pourtant pas de souffle, se rapprochant plus des versions traditionnelles. Le chœur est moins clair bien qu’homogène et attentif. Lucia Popp offre une lecture plus pure et affectée avec un beau jeu de couleurs et de contrastes. Le timbre de Wolfgang Brendel est également plus convaincant : style plus doux, plus accentué dramatiquement à certains endroits tandis que la conduite des dynamiques en fonction de l’harmonie est meilleure. Enregistré en studio, le Czech Philharmonic Orchestra et le Prague Philharmonic Chorus auraient pu aller plus loin dans la recherche et la construction du matériau. Cette version se rapproche davantage d’une véritable messe pour les morts, alors que celle de Gergiev apporte, selon nous, plus d’humanité à l’œuvre.
Ayrton Desimpelaere

Valery Gergiev : Son 9 – Livret 10 – Répertoire 8 – Interprétation 9
Giuseppe Sinopoli : Son 8 – Livret 6 – Répertoire 8 – Interprétation 8.5

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