Deuxième volume d’une intégrale des symphonies de Bruckner transcrites à l’orgue

par

Anton Bruckner (1824-1896) : Drei Orchesterstücke WAB 97 ; Marsch en ré mineur WAB 96 ; Symphonie en ut mineur WAB 101 [transcriptions Erwin Horn]. Oscar Jockel (*1995) : Denn er hatte noch eine dringende Verabredung mit den drei Eichen und den drei Bächen am Fuss des goldenen Berges. Hansjörg Albrecht, orgue de la Brucknerhaus de Linz (Autriche). Février 2021. Livret en allemand, anglais. TT 74’20. OEHMS Classics OC477

À l’horizon du bicentenaire de 2024, le label Oehms poursuit une intégrale des symphonies, envisagée sur dix orgues emblématiques ! En présence, le tout nouveau Rieger (2018) de la Brucknerhaus de Linz, 53 jeux sur trois claviers et pédalier. Acoustique ample, mais peu réverbérée, on s’en doute. Chaque volume invitera une page contemporaine. Ici une pièce de onze minutes dont l’encre est encore fraîche, commandée au jeune chef d’orchestre et compositeur bavarois Oscar Jockel, à l’occasion de sa Résidence 2020-2021 à la Brucknerhaus après qu’il en remporta le concours d’écriture.

On la traduirait par Car il avait encore un rendez-vous urgent avec les trois chênes et les deux ruisseaux au pied de la montagne d'or. Le dénombrement des entités (3 arbres, 2 cours d’eau) est un naïf clin d’œil à l’arithmomanie du compositeur, et peut-être à ses structures rythmiques à « deux contre trois ». Le caractère impérieux de la rencontre indiquée dans le titre contraste avec la fixité du décor naturel : le rendez-vous saurait attendre et semblerait donc anodin. C’est précisément l’enjeu de cette œuvre poétique et volontiers philosophique qui s’attache à l’accessoire, en l’occurrence les transitions dans les symphonies du compositeur. Ces ponts sont par nature transitoires et on les croirait de moindre rang que les thèmes principaux : Oscar Jockel les réhabilite par un procédé qui les essentialise, en exploite la substance même. En l’occurrence, une séquence ininterrompue et quasi-immobile sur une échelle descendante, en perpétuelle mutation, structurée comme un lent crescendo-decrescendo en paliers : à l’instar de Apparition de l’Église éternelle de Messiaen, ainsi que le remarque Hansjörg Albrecht qui a nivelé les gradations par un escalier de 107 registrations successives ! Certes la recette est aussi systématique que rudimentaire, mais cet exercice d’expansion-déflation au ralenti s’avère fascinant dans le genre Klangfarbenmelodie dont on peut scruter au microscope les infinitésimales nuances de timbre. On le quitte hypnotisé.

Comme le précédent volume, le disque inclut de rares partitions orchestrales du maître autrichien, éditées chez Butz Musikverlag Bonn, que Rudolf Innig a lui aussi récemment gravées à Hanovre (MDG, 2020) : Marsch et les Drei Orchesterstücke, essais dans la petite forme qui datent de l’apprentissage auprès d’Otto Kitzler en 1861. Elles sont transcrites par Erwin Horn qui est également l’auteur de l’arrangement constituant l’opus majeur du programme, d’après la version originale de 1865-66, et qui fait ici son apparition dans la discographie. Parmi toutes les symphonies, le livret indique sa particulière légitimité aux tuyaux dans la mesure où Bruckner l’organiste puisait souvent à son Finale pour nourrir ses improvisations à la console. Le choix de la salle de la Brucknerhaus est bienvenu quant aux nombreux et soudains contrastes qui se présentent ainsi dans une nette perspective que ne permettrait pas la résonance d’une église. L’énergique profil de l’Allegro en sort rasé de près, nécessitant un vif tempo qui en resserre la trame. Réciproquement, sans l’appoint de réverbération, l’Adagio dispense un phrasé tendu et des couleurs précises, ce que consentent les subtilités dynamiques du Rieger, même si la magie des hésitations tonales autour du la bémol s’en trouve un peu sacrifiée par la matité du dialogue et un tempo impatient.

Les registrations anchées pour le Scherzo autorisent une exécution accrocheuse mais sèche, qui manque un peu d’assise dans le registre grave et d’épanouissement dans le trio en sol majeur. L’interprète anime le Finale avec science, octroyant l’espace nécessaire à la dramatisation de ce bewegt und feurig, mais là l’acoustique aurait mérité davantage d’ampleur que ne lui accordent les micros. Malgré la coda brossée avec fougue et une certaine puissance, on n’en sort pas complètement édifié. On sait Hansjörg Albrecht réputé pour ses nombreux enregistrements de transcriptions (Faust-Symphonie de Liszt, Symphonie no 9 de Dvořák, Fantastique de Berlioz, The Planets de Holst, Tableaux d’une Exposition de Moussorgski…). Sa prestation ne trahit pas la mécanique orchestrale qui l’inspire, même si le langage de l’œuvre se trouve limité par une palette et une prise de son qui manquent un peu de chair. En tout cas, cette intégrale intéresse, on en guette le prochain volume, annoncé dans la cathédrale de Westminster.

Son : 8 – Livret : 8,5 – Répertoire : 6 (WAB 96 & 97) à 9 – Interprétation : 8 (Bruckner) à 10 (Jockel)

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.