Discordance de temps et de lieux

par

Les Contes d'Hoffmann
Offenbach : "bizarre génie composé de haine particulière pour la musique et de transcendantale ironie" selon... Debussy, alias Monsieur Croche. Bizarre, aussi, la rencontre improbable entre le Romantisme fantastique de la Belle Epoque et l'Opéra Royal blotti au cœur du Château de Versailles : cherchez l'erreur ? Après le homard géant du salon de Mars et les caniches violets (Jeff Koons), après le lapin rose dans le salon de Vénus et les fleurs en plastic dans la Galerie des glaces (Murakami), les mégalithes et déjections neigeuses actuelles (Lee Ufan, artiste coréen sans doute pour faire oublier la sinistre affaire du photographe mécène AHAE) on ne trouvera pas incongrue une mise en scène qui tourne autour du rideau de scène de l'Opéra Garnier, de cubes rouges et noirs et de figurants clones de Karl Lagerfeld (acte de Giuletta traitée en prostituée de maison close !), le tout sous les boiseries dorées et taffetas d'un adorable bleu céleste qui drapent les balcons du théâtre de Gabriel. C'est, qu'en dépit de ce hiatus, l'esprit des lieux imprègne de son charme indicible et que la production de l'Opéra de Rouen, donnée ici deux fois, s'avère satisfaisante. Frédéric Roels a choisi la version de l'édition Choudens 1907 avec l'ajout du « Scintille diamant », du septuor de la fin de l'acte vénitien tout en utilisant les textes parlés de la création à l'Opéra Comique en 1881. Le luxueux programme ne nous donne pas le texte de l'opéra comme c'est le cas presque toujours maintenant. En revanche, les notes d'intention nous expliquent qu'une clef sert de fil conducteur, supposée ouvrir différents niveaux de conscience symbolisés par les « boîtes ». Allusions au magicien Houdin, à l'hypnose de Charcot, au fantastique de pacotille (breuvage fumant), toutes ces intentions restent extrêmement allusives. Et le résultat s'avère on ne peut plus traditionnel. Les « trois âges de la femme » s'incarnent en une seule cantatrice Norah Amsellem- onctueuse, vaporeuse et assez floue de ligne vocale, tandis que Laurent Alvaro campe avec beaucoup d'assurance les métamorphoses sataniques (Lindorf, Coppélius, Dappertutto et Miracle). Florian Laconi fait d'Hoffmann un athlète fort peu névrosé et son double Nicklause en paraît d'autant plus frêle mais sensible musicienne (Inès Berlet). Elle est même la véritable source d'émotion de tout l'opéra lorsque devenue Muse, elle déclare sa flamme au poète Hoffamnn. Le mélange insolite de bouffonnerie et de tragique est bien assumé par l'ensemble des autres protagonistes (Marcel Vanaud, Carlos Natale, Jean-Philippe Corre, Madjouline Zerari, Benjamin Mayenobe, Olivier Coiffet et Ronan Airault) ainsi que le chœur, à quelques défaillances près. L'Orchestre de l’Opéra de Rouen dirigé par Jonas Alber comme les chanteurs, utilisent peu les ressources de nuances que l'acoustique de ce théâtre exceptionnel permettrait. Les changements de tableaux trop longs auraient mérité de leur côté quelque interlude musical tandis que l'esthétique des costumes et du décor chichement éclairé respirent la tristesse ; c'est vrai qu'il s'agit là d'une histoire de mort fantasmée (Hoffmann) et réelle (Offenbach), d'une ode à la déréliction tant dramatique que musicale. Dommage tout de même, dans un lieu d'éternité.
Bénédicte Palaux Simonnet
Opéra Royal de Versailles, le 16 octobre 2014

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