The Beggar’s Opera : magouille, sexe et drogue dans les cartons

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Créée en avril dernier au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, la nouvelle version du Beggar’s Opera par Ian Burton (dramaturgie) et Robert Carsen (mise en scène) remporte un immense succès partout où elle pose sa valise : Paris, Italie (Spoleto, Pise, Novara), Edinbourg, Luxembourg, Genève, Clermond-Ferrand, Athène, Angers, Saint-Brieuc, Dinan, Vanne, Saint-Nazaire, Le Mans, Roche-Sur-Yon, Laval, Nantes, Caen, Versailles… Après la production à Renne à laquelle nous avons assisté, la tournée continue à Quimper, à Reims, à Massy et à La Rochelle. Raison de cette réussite ? La modernisation des propos pour situer l’intrigue au XXIe siècle. Car l’univers des bas-fonds de Londres du début du XVIIIe siècle n’a guère changé trois siècles plus tard et se reproduit aujourd’hui dans n’importe quelle ville de n’importe quel pays…

En effet, les cartons qui envahissent la scène comme décors et le look des chanteurs et instrumentistes « parlent » aux spectateurs de tous les horizons, notamment les jeunes. Ils contiennent des marchandises que le couple Peachum, gérant d'un commerce d'« import-export », a obtenues et contrôle de manière peu orthodoxe. Dès l’ouverture, les musiciens se montrent complices de leurs escroqueries : vêtus de blousons à capuche, parfois coiffés de casquettes à l’envers, les cheveux en bataille, ils ont leurs propres cartons sur lesquels ils sont assis, placés sur scène côté jardin, leur iPad sur les pupitres. Le ton est posé d’emblée, invitant le spectateur à entrer dans le monde de la bande des malfaiteurs. Certains musiciens jouent des trafiquants et échangent des petits sachets avec des membres de cette bande. Polly, la fille des Peachum qui conserve encore une once d'humanité, dort dans une chambre entourée de cartons (une niche dans le mur de cartons lui sert de chambre) comme pour annoncer qu’elle est de toute façon prise dans un cercle infernal. De même, dans un bar mal famé, peuplé de dealers et de prostituées, les bouteilles sortent d’un carton-frigidaire et les verres de cartons-étagères… La corruption est partout et ils y sont tous mouillés jusqu’à la moëlle ! Le langage des parties parlées, réécrites pour l’adapter à notre temps et dont les références sont éminemment actuelles -tel que le Brexit- est plus que populaire sans toutefois recourir à l’usage d’argot.

La plupart des chanteurs sont venus du monde de la comédie musicale, sachant chanter, parler et danser. Dès le début, on voit des personnages évoluer dans les mouvements de hip-hop, cassant le regard rigide que le temps a forgé, porté sur la musique de John Christopher Pepusch (1667-1752), au point qu’on a tendance à la « vénérer comme quelque chose d’intouchable » (Robert Carsen). Leur manière de chanter casse aussi ce point de vue ; tout le monde n’a pas la projection d’un artiste lyrique, ni la technique, mais le chant est bien adapté à chaque rôle, ce qui crée un ensemble identifiable pour ce spectacle. Parmi les personnages obscurs, on distingue trois couples qui sont à la fois ressemblants et opposés. M. et Mme Peachum, incarnés par Robert Burt et Beverly Klein, sont vocalement totalement différents. Si le mari a une voix lyrique consistante et bien projetée, et une allure majestueuse dans les gestes malgré son caractère insupportable, la femme, elle, est une résurgence des chanteuses de cabaret des années 1950, avec de forts vibratos et une aigreur dans le timbre, de surcroît criard dans les aigus. Mais cette voix va tellement de pair avec le rôle qu’on ne pense même pas aux nombreuses imperfections ! Kate Batter (Polly, la fille Peachum) et Benjamin Purkiss (Macheath) forment un couple homogène tant vocalement que physiquement ; leurs jeux d’acteur soulignent l’aspect psychologique des personnages : Polly naïve puis frustrée, et Macheath play-boy et méprisant à l'égard des femmes. Kraig Thornber, comédien de taille, campe Lockit, gardien de la prison et Olivia Brereton, pure chanteuse de comédie musicale, endosse le rôle de Lucy, sa fille, enceinte de Macheath et jalouse de Polly.

La partition originelle n'est constituée que d’une ligne mélodique et d’une ligne de basse (d’où de nombreuses adaptations dont la plus célèbre est l’Opéra de Quat’sous de Kurt Weill). Au temps où Haendel était le roi, son ami et écrivain John Gay (1685-1832) trouvait ridicules l’engouement pour les semi operas, les opera serias et les masques du compositeur vedette et cet art extravagant. Quant aux chansons qui composent l’œuvre, elles étaient tous des mélodies connues et si populaires que tout le monde pouvait s’approprier à sa façon le Beggar’s Opera. Ces mélodies étaient chantées a capella sans orchestration, et William Christie n a conservé l'idée, gardant certaines chansons sans aucun accompagnement. Le choix du quintette à cordes et du clavecin renforcés par flûte, hautbois, luth et théorbe ainsi que des percussions fournies, confère de l'épaisseur à la musique mais, comme l’indique le chef, les musiciens des Arts Florissants improvisent chaque soir en décidant eux-mêmes quels instruments ralliera quelles chansons. Cela doit être plus proche de la pratique de l’époque de la création de l’œuvre, plus vivant, plus flexible et plus libre. Lorsqu’ils ne jouent pas (et parfois même en jouant), les musiciens adoptent, expres ou non, l’attitude des « banlieusards » dans des mouvements de bras et du corps et, dans une certaine mesure, dans l’expression du visage, ce qui est fort amusant !

Bien que William Christie affirme que l’idée d’attribuer au Beggar’s Opera le statut de la première comédie musicale de l’histoire est un peu exagéré (Robert Carsen le considère comme la première comédie musicale Juke Box), la façon de monter le spectacle est tel qu’on reconnaît tous les ingrédients de cet art, et c’est certainement cet élément, plus que tout, qui séduit autant de spectateurs d’âges et de natures aussi différents.

Photos © Patrick Berger

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