Dmitri Tcherniakov revisite Eugene Oneguin

par

Pyotr Ilyich TCHAÏKOVSKI (1840-1893) : Eugene Oneguin. Mariusz Kwiecien, Tatiana Monogarova, Margarita Mamsirova, Andrey Dunaev, Makvala Kasrashvili, Anatolij Kotscherga, Valery Gilmanov ; Chœurs et Orchestre du Théâtre du Bolchoï, sous la direction d’Alexander Vedernikov. Mise en scène : Dmitri Tcherniakov. 2019. Livret en français, anglais et allemand. 150.00 (+ Bonus de 26.00). 2 DVD Bel Air BAC 246. 

Ce DVD est l’exacte réédition d’Eugene Oneguin (et de son bonus) filmé en septembre 2008 à l’Opéra de Paris et paru chez le même éditeur sous la référence BAC 046. Seul l’habillage est différent puisque, à la place de l’image sombre qui était alors proposée en couverture, lui succèdent des clichés scéniques plus colorés. A noter aussi l’ajout, aux sous-titres en anglais, français, allemand, espagnol et italien, de leur possibilité de lectures en japonais et en coréen, ce qui explique sans doute cette réédition rapide. 

La mise en scène de Tcherniakov représentait un défi lorsqu’elle a été créée en 2006 car cet opéra célébrissime, passage obligé pour tout passionné russe d’art lyrique, avait connu, avec un succès jamais démenti, la même production depuis soixante ans. Tcherniakov explique son nouveau projet dans le livret : « L’action se déroule en un lieu unique, permettant seulement à la nature et non à la société d’y prendre part. Peu importe l’époque, le déroulement des événements et même l’endroit, il y aura toujours des personnages assis autour d’une table imposante. Elles représentent une certaine union autour de l’éternel triomphe des conventions, de la norme et de la stabilité. » Le drame se passe donc dans un espace clos, appelons-le même huis-clos, d’où ont disparu les fastes des scènes au jardin, dans la chambre, au bal ou dans un bois pour le duel fatal. Malgré cela, ou peut-être à cause de cette sobriété qui recadre les personnages dans un contexte épuré, accentuant le côté théâtral de l’argument et du lieu, on se laisse prendre peu à peu à cette exclusion du monde extérieur. La cohérence du personnage de Tatiana, figure centrale, va se développer autour de cette table abstraite à laquelle elle ne veut pas s’asseoir, sauf au dernier acte où, une fois sa décision prise de rejeter Oneguin, elle s’installera enfin, acceptant son destin. 

Les commentaires ont été abondants sur cette production, bien accueillie à juste titre, car le jeu scénique rejoint le chant d’une façon heureuse. La concentration des passions, l’intensité et l’engagement des protagonistes sont dignes de tous les éloges. Au niveau vocal, l’Oneguin séduisant de Mariusz Kwiecien est un peu éclipsé par le Lenski d’Andrey Dunaev dont la palette vocale impressionne. Quant à Tatiana, elle bénéficie du physique avantageux et du raffinement de la voix de Tatiana Monogarova. Le reste de la distribution est impeccable, de même que les chœurs. Quant à l’orchestre, mené avec efficacité par Alexandre Vedernikov, il a cette âpreté, notamment au niveau des cordes, qui donne du mordant. Très bien filmé par Chloé Perlemuter, ce DVD propose une version moderne de référence, à portée psychologique, qui ne dénature pas le sens profond de l’œuvre de Tchaïkovskï, même si la poésie du roman en vers de Pouchkine n’occupe plus tout à fait la première place que le compositeur lui avait conservée malgré la suppression de quelques scènes et l’ajout de tensions dramatiques. Le bonus nous plonge dans les coulisses de la production : décors, répétitions, mise en scène…

Les nostalgiques pourront toujours aller voir du côté du film de Peter Weigl de 1988, tourné en décors naturels et paru en DVD chez Decca en 1990. Ils y retrouveront tous les aspects « grand spectacle », dont une phénoménale et somptueuse scène de bal et un duel glacial, dans l’incarnation idiomatique de comédiens russes. Ceux-ci sont doublés par les fabuleuses voix de la version de Georg Solti de 1974 à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Covent Garden et du Chœur John Alldis, à savoir Bernard Weikl, Teresa Kubiak (à la vocalité dorée), Stuart Burrows, Julia Hamari, Michel Sénéchal ou Nicolai Ghiaurov. Il n’est bien entendu pas interdit de posséder les deux versions en DVD.

Son : 9   Livret : 8   Répertoire : 10   Interprétation : 9

Jean Lacroix    

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