Les Moreau dans Dvořák et Korngold, une fratrie à suivre

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« A Family Affair » : Anton Dvořák (1841-1904) : Bagatelles, Op. 47* ; Song to the Moon, ext. de Rusalka – Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) : Mariettas Lied, ext. de Die tote Stadt ; Suite Op. 23*. Jérémie Moreau, piano ; Edgar Moreau, violoncelle ; Raphaëlle et David Moreau, violons*. 2020. 65’18. Livret en français, en anglais et en allemand. 1 CD Erato 0190295241315. 

« A Family Affair » : quatre jeunes gens qui se ressemblent fort, dynamiques et élégamment décontractés, ornent une pochette avec leur nom de famille écrit en très gros. Pour les noms de compositeurs, il faudra retourner le CD. On trouvera, en bas, Dvořák et Korngold.

Dans la famille Moreau, nous connaissons bien, depuis quelques années déjà, l’aîné, Edgar, violoncelliste ; il a déjà plusieurs albums à son actif, et son nom est souvent à l’affiche de concerts avec de prestigieux partenaires. La cadette, Raphaëlle, violoniste, n’est plus tout à fait inconnue non plus, depuis qu’elle a été nommée Révélation des Victoires de la musique 2020 (catégorie « Soliste instrumental »). Et voilà les deux benjamins : David, également violoniste, et Jérémie, pianiste. Très proches en âge (ils sont tous nés entre 1994 et 1999), ils se disent très soudés sur le plan musical. Et à l’écoute de cet enregistrement, on veut bien le croire !

Les œuvres pour piano, deux violons et violoncelle sont rares. Mais bien sûr, les Bagatelles de Dvořák viennent tout de suite à l’esprit, même si, en réalité, elles sont écrites non pour piano, mais pour harmonium. Et si ce sont tous deux des instruments à clavier, leurs sonorités n’ont rien à voir. L’harmonium, qui remplace souvent l’orgue dans les paroisses modestes, est un instrument à vent. Il donne à ces cinq Bagatelles une couleur tour à tour chaleureuse, nostalgique, euphorique, rêveuse et rustique que l’on ne retrouve pas avec le piano. Avec l’un, nous nous imaginons dans une église de campagne ; avec l’autre, dans un salon bourgeois.

Cela étant, les Moreau en donnent une lecture tout à fait agréable. Le premier Allegretto scherzando est peut-être plus sensuel qu’intime, et un rien démonstratif, mais le Tempo di Minuetto est tout à fait charmant, et le second Allegretto scherzando joliment bondissant, avec cependant des contrastes que l’on peut concevoir moins accusés. Le Canon est plein de sensibilité, mais à nouveau un rien expansif. C’est probablement le Poco allegro qui est le plus réussi, croustillant et vigoureux, avec une partie centrale où l’on sent la fusion des archets fraternels.

Suivent deux pièces arrangées pour violoncelle et piano, de chacun des deux compositeurs. La sonorité du violoncelle, fait en 1711 par le luthier allemand David Tecchler, spécialiste des instruments graves, est extraordinaire, proche de celle d’un alto, que ce soit dans le registre aigu de la pièce de Dvořák ou dans le registre medium de celle de Goldmark. Edgar joue ces deux pièces, à l’origine pour voix, avec une merveilleuse vocalité ; il y est admirable d’émotion intérieure. Le piano de Jérémie est aussi très sensible, mais en retrait.

L'album se termine avec la pièce de consistance : les trente-six minutes des cinq mouvements de la Suite pour deux violons, violoncelle et piano main gauche écrite par Goldmark en 1930 pour honorer une commande du célèbre pianiste manchot Paul Wittgenstein. Si elle n’est pas exempte de quelques longueurs, voilà une œuvre qui ne manque pas d’attraits, avec son écriture encore tonale mais avec ses nombreuses impertinences. Dans le Präludium (pour piano seul, ce qui nous permet de pleinement apprécier le beau Bechstein de Jérémie) und Fuge, les Moreau trouvent de belles couleurs, et savent créer une ambiance mystérieuse et délicate, quoiqu’un peu sage. La Walzer n’a rien de viennois, mais un petit côté taquin dans lequel les interprètes pourraient s’engouffrer davantage ; ils nous proposent une jolie valse, sans les aspérités qui pourraient donner un réel relief à cette pièce où l’on sent poindre un malaise. C’est encore plus flagrant dans le Groteske, vraiment bien policé ici alors qu’il pourrait être grinçant et sarcastique ; nos quatre musiciens nous régalent de la suavité dont ils colorent la partie centrale, avant de retrouver l’ambiance du début, un peu plus débridée, en particulier grâce aux accents du violoncelle d’Edgar. Le Lied est un moment enchanté, où les violons de David et surtout de Raphaëlle, plus exposée, font merveille ; les Moreau savent éviter l’aspect sirupeux de ces quelques minutes qui pourraient pourtant donner lieu à bien des débordements. Cela nous prépare idéalement au Rondo final. La mélodie, exposée au violoncelle, et reprise au violon, est d’une douceur exquise ; puis ce sont des variations où nous retrouvons les qualités de cohésion, de fluidité et de musicalité des Moreau, mais aussi les légères réserves sur leur engagement pas encore tout à fait abouti.

Voilà un enregistrement très sympathique. D’autres seront bienvenus. 

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8

Pierre Carrive

 

 

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