Edouardo Fernández révèle l’oeuvre pour piano de Zimmermann 

par

Dans le contexte éditorial actuel, certains enregistrements nous séduisent d’emblée par la pertinence de leur proposition. Dès lors, comment ne pas être attiré par cette intégrale pour Bis de l’oeuvre pour piano de Bernd Alois Zimmermann que propose  le pianiste. Devant l’immense qualité musicale de cette parution qui fera date, Crescendo Magazine a eu envie de l’interviewer. 

Vous avez enregistré l'intégrale des œuvres pour piano de B.A. Zimmermann. C'est un choix inhabituel. Qu'est-ce qui vous a attiré vers l'œuvre de ce compositeur ? 

À l'occasion de la première de son opéra Die Soldaten en Espagne, le Teatro Real de Madrid m'a demandé de jouer de la musique liée à Die Soldaten. J'ai commencé à chercher dans ses pièces pour piano et j’ai été absolument fasciné par la découverte de ces joyaux. La question était : "Pourquoi ces merveilles sont-elles inhabituelles dans le répertoire des pianistes ?" Zimmermann est l'un des plus grands compositeurs du milieu du XXe siècle, mais il est aussi quelque peu négligé. J'ai joué certaines de ces pièces pour piano, puis j'ai assisté à la première de Die Soldaten. J'ai été impressionné par la figure de Zimmermann, sa qualité, son énergie, son message, son évolution brutale. Une progression stylistique qui nous mène du style néoclassique vers l'avant-garde darmstadtienne, jusqu'à ce qu'il mette en scène son pluralisme musical et le Kugelgestalt der Zeit (forme sphérique du temps). Il y a quelques recoupements entre ces concepts et les théories scriabiniennes. Je jouais -et joue encore- l'œuvre complète de Scriabine, et ces coïncidences m'ont sans doute incité aussi à travailler sur cette réflexion particulière.

Zimmermann n'est pas souvent associé à ses partitions pour piano. Quelle place occupent-elles dans l'œuvre complète du compositeur ? 

Pour atteindre ce pluralisme musical et cette forme sphérique du temps, il a dû explorer toutes les possibilités imaginables. Zimmermann maîtrise parfaitement l'espace et le temps en termes musicaux, ainsi que toutes les différentes possibilités d'écriture multicouche, de couleurs, de contrastes... Dès le début, Zimmermann a été un virtuose des contrastes. En ce sens, je vois ses partitions de piano comme une sorte de laboratoire personnel où il expérimente sur l'espace, le temps, la forme et la densité.

Comment le style du compositeur évolue-t-il entre les Drei frühe Klavierstücke (1939-1946) et les Konfigurationen ( 1956) ?

Son évolution fascinante est le résultat de ce laboratoire esthétique. Les Drei frühe Klavierstücke sont des partitions de jeunesse, de ses années universitaires, écrites dans un style néoclassique avec quelques coups de pinceau impressionnistes. Extemporale est une collection intéressante de cinq pièces écrites pendant les années de guerre où l'on utilise davantage les contrastes. Capriccio, écrit en 1946, est une fantaisie sur sept chansons traditionnelles allemandes pour enfants, fluctuant de manière caractéristique entre l'enfant, la timidité et l'humour, et la maniaco-dépression, la folie et la terreur. Enchiridion est sa plus grande collection de pièces. Le nom signifie "manuel", un manuel de types d'expression et d'attaque. Enchiridion II, également appelé Exerzitien, crée un lien entre toutes les pièces en utilisant la même série de notes. Et ces notes seront les mêmes pour sa dernière suite pour piano, Konfigurationen, où il se réfère au concept de configuration chimique décrivant la position relative des atomes dans une molécule. Ici, selon ses propres termes, il reproduit au piano la constitution moléculaire par des formules structurelles qui tiennent compte aussi de la position précise des atomes de la molécule dans l'espace tridimensionnel. 

Curieusement, dans Konfigurationen, Zimmermann atteint le point le plus minuscule, les molécules du son, l'essence qu'il recherchait. Et puis il ferme son laboratoire de piano et compose des œuvres de grand format : Die Soldaten, Requiem für einen jungen Dichter, Stille und Umkehr, Ich wandte mich und sah an alles Unrecht das geschah unter der Sonne...

Quelle est pour vous l'importance de l’oeuvre de Zimmermann et de ses partitions pour piano dans l’Histoire musicale du XXe siècle ? 

Son chef-d'œuvre est évidemment son opéra Die Soldaten. J'aime aussi le Requiem, c'est l'une des œuvres les plus choquantes de l'histoire de l'art. Ce Requiem montre l'échec de toutes les révolutions, et toute la foi de Zimmermann en ce monde, toute sa souffrance au cours de sa vie. Fasciné par Nietzsche, il incarne dans ses œuvres le concept dionysiaque enveloppé dans un ordre apollinien monacal. Cette dualité, différente d'autres dualités musicales -comme avec Schumann ou Scriabine- a retenu toute mon attention. Je ne comprenais pas comment ces chefs-d'œuvre orchestraux avaient pu être écrits par un compositeur dont les pièces pour piano occupent une place insignifiante dans la musique pour piano du XXe siècle. Non seulement ces pièces cachent quelques joyaux, mais elles nous montrent le chemin de l'évolution de Zimmermann vers son système. J'aspire à leur donner un coup de pouce pour atteindre la place que mérite son compositeur. 

Vous avez enregistré autant de grands classiques du répertoire (Chopin/ Scriabine) que de partitions espagnoles du XXe siècle, et désormais vous publiez un disque dévolu à Zimmermann. Est-il important pour vous d'enregistrer un large éventail de répertoires ? 

Pas nécessairement. Ce que je considère important, c'est de s'attaquer au panel le plus large de chaque compositeur pour être fidèle à son écriture. Nous devrions connaître tout leur univers créatif, tout ce qui entoure leur vie, leurs pièces, les gens qui les entourent, la scène culturelle, le contexte social, pourquoi ils ont pu composer d'une manière ou d'une autre... afin de décomposer chaque petit détail à l'intérieur de la partition. 

En ce sens, jusqu'à présent, mes enregistrements ont été des œuvres complètes -comme ce Zimmermann, Iberia d'Albéniz, les Préludes de Scriabine- ou des monographies -les dernières pièces de Brahms, les œuvres pour piano de Paús. Mon intention n'est pas simplement d'enregistrer un large éventail de répertoires, mais ce sera le résultat d’intérêts multiples qui se construisent fil des ans. 

Avez-vous déjà choisi le répertoire pour votre prochain album ? 

Mon prochain enregistrement pour BIS sera la série complète des Études de Scriabine en 2021. J'ai depuis lontemps l'intention d'enregistrer toutes les sonates de Scriabine, mais j'ai finalement enregistré d'abord ses 90 préludes. Maintenant, je suis impliqué dans toutes ses études et je sens que ce chemin me mène à une vision plus profonde des sonates. Tout ce répertoire de Scriabine occupe une place prépondérante dans mes prochains concerts en 2021. Et j'aimerais poursuivre ma collaboration avec le compositeur espagnol Ramón Paús, en enregistrant un nouveau disque avec ses dernières pièces pour piano.

Le site d’Edouardo Fernández : www.eduardo-fernandez.com

Bernd Alois Zimmermann (1939-1970) : intégrale de l’oeuvre pour piano. Drei Frühe Klavierstücke, Extemporale, Capriccio, Enchiridion I, Enchiridion - Anhang, Enchiridion II (Exerziten), Konfigurationen. Eduardo Fernández. 2019 - Livret en anglais, allemand et français - 74’02 - SACD BIS 2495.

 

Un commentaire

  1. Ping : Zimmermmann, 100% piano  | Crescendo Magazine

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.