Kirill Karabits, chef d’orchestre dans l’Histoire 

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Le chef d’orchestre Kirill Karabits que l’on apprécie beaucoup dans les pays francophones, est une baguette qui sort de l'ordinaire. Alors qu’il fait paraître une nouvelle interprétation de la Symphonie n°13 de Chostakovitch (Pentatone), il revient sur son parcours discographique, un itinéraire musical loin des facilités et conçu avec réflexion et sens de l’Histoire. 

Vous avez enregistré la Cantate pour le XXe anniversaire de la Révolution d’Octobre de Serge Prokofiev pour Audite (album primé d’un International Classical Music Award). Qu’est-ce qui vous a orienté vers cette oeuvre si particulière ? 

L’année 2017 était marquée par le Centenaire de la Révolution, c’était la meilleure occasion pour programmer et enregistrer cette partition. Elle requiert un effectif instrumental et choral démesuré et j’ai dû mobiliser toutes les formes musicales disponibles : deux choeurs, un ensemble d’accordéons et même un orchestre militaire qui viennent en complément de l’orchestre symphonique. Par ailleurs, cette interprétation marquait également mes premiers concerts comme directeur musical de la Staatskapelle de Weimar. 

Vous publiez un nouvel enregistrement de la Symphonie n°13 de Chostakovitch. C’est une oeuvre à la dimension musicale et historique particulièrement forte. Qu’est-ce qui vous attire dans cette partition ?  

L’histoire tragique narrée par cette oeuvre a une résonance personnelle car je suis né à Kiev, ville où s’est déroulé le massacre de Babi Yar. Dans le cadre de ma collaboration avec l’Orchestre National de Russie, la direction de la phalange m’a demandé de prendre part à leur cycle des symphonies de Chostakovitch pour le label Pentatone. Ils m’ont demandé quelle oeuvre je voulais enregistrer et j’ai naturellement proposé la Symphonie n°13. Ce fut une expérience très forte et très émouvante de la travailler et de l’enregistrer avec cet orchestre. 

Avec votre orchestre de Bournemouth, vous avez enregistré un cycle des symphonies de Prokofiev et des grands tubes du répertoire, mais vous menez également une série d’enregistrements pour Chandos qui met en avant des compositeurs moins connus. Comment avez-vous conçu ce projet éditorial ? 

Cette série prend le nom de “Voices of the East” et elle propose des oeuvres de compositeurs issus des républiques de l’ex-URSS. Trouver des répertoires pertinents à enregistrer n’est pas si facile. Nous sommes noyés par un flot incessant de nouvelles parutions, mais je voulais faire découvrir au public des chefs d’oeuvre oubliés ou méconnus. Cet aspect est très important pour moi, je ne souhaitais pas enregistrer pour enregistrer des oeuvres de second plan ou des compositeurs mineurs, mais il m’était cher de mettre en avant de très grandes oeuvres. Comme je suis issu de l’école soviétique, j’avais des idées sur les répertoires. Trois enregistrements sont déjà commercialisés, ils sont dédiés à Kara Karayev, compositeur d'Azerbaïdjan dont nous célébrions le centenaire en 2018 ; à Boris Lyatoshynsky, musicien ukrainien dont la Symphonie n°3 est le grand chef d’oeuvre de la musique ukrainienne, et à l’Arménien Avet Terterian. Nous devions enregistrer au printemps un nouveau disque consacré au Turkmène Chary Nurimov, mais la crise du Covid 19 a décalé ce projet ! 

 Avec l’Orchestre de la Staatskapelle de Weimar vous avez aussi enregistré des raretés de Franz Liszt dont son opéra Sardanapal. Encore une rareté… 

J’ai passé trois ans à la direction de la Staatskapelle de Weimar et je me suis rendu compte que Liszt était trop peu programmé par l’orchestre. N’oublions pas que cet orchestre a été celui de Liszt et qu’il a donné les premières de la Faust-Symphonie et du poème symphonique les Préludes ! Dès lors, j’ai souhaité mettre l’accent sur des grandes oeuvres comme la Dante-Symphonie, la Faust-Symphonie et nous avons également enregistré cet opéra dont j’avais été informé de la complétion par le musicologue David Trippett. Nous devions enregistrer la Faust symphonie ce printemps, mais les événements en ont décidé autrement.  

Vous êtes né en Ukraine, vous habitez Paris et vous occupez des postes en Allemagne et en Grande-Bretagne. Par votre regard très international, comment voyez-vous l’avenir de la musique classique en ces temps difficile ? 

La musique classique va continuer d’exister. Elle a survécu à deux guerres mondiales et à beaucoup d’autres choses, et donc elle va survivre au Covid-19 mais il y aura sans aucun doute des conséquences collatérales graves comme la disparition d’orchestres. La situation des orchestres aux Etats-Unis, du fait de leur fragilité financière, est des plus préoccupantes et tous ne survivront pas. 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot 

Le site de Kirill Karabits : http://kirillkarabits.com/

  • A écouter :

Chostakovich : Symphonie  No. 13 "Babi Yar". Oleg Tsibulko, Kirill Karabits , Russian National Orchestra, Pentatone

 

 

 

Crédits photographiques : Kirill Karabits

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