L’occasione fa il ladro, une plaisanterie musicale de Rossini sur DVD

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Gioachino Rossini (1792-1868) : L’occasione fa il ladro, burletta per musica en un acte. Patrick Kabongo (Don Eusebio), Vera Talerko (Berenice), Kenneth Tarver (Comte Alberto), Lorenzo Regazzo (Don Parmenione), Giada Frasconi (Ernestina), Roberto Maietta (Martino), Gabriel Alexander Wernick et Silvia Aurea De Stefano (deux serviteurs de Don Eusebio). VIrtuosi Brunensis, direction Antonino Fogliani. 2017. Notice en anglais et en allemand, synopsis compris. Sous-titres en italien, en anglais, en allemand, en français, en japonais et en coréen. 90.00. Un DVD Naxos 2. 110706. Aussi disponible en Blu Ray.

L’année 1812 est prolifique pour Rossini. Six opéras sont créés, au nombre desquels L’inganno felice ou La scala di seta. Ainsi que cette burletta (« plaisanterie musicale ») -dont le titre complet est L’occasione fa il ladro ossia Il cambio della valigia-, présentée à Venise le 24 novembre. L’auteur du livret, Luigi Prividali (1771-1844) s’est inspiré d’une œuvre d’Eugène Scribe, Le Prétendu par hasard ou l’occasion fait le nom, jouée à Paris, au Théâtre des Variétés, en septembre 1810. Le marivaudage que l’on y retrouve à travers un échange de valises qui va entraîner des quiproquos est une veine exploitable ; ici, ce sera dans l’esprit débridé de la commedia dell’arte. 

Dans un coffret intitulé « Rossini, The early Operas », le label EuroArts a regroupé en 2008 quatre productions sur DVD du Festival de Schwetzingen, entre 1989 et 1992, mises en scène de façon classique par Michael Hampe et dirigées, à la tête du RSO de Stuttgart, par le spécialiste rossinien que fut Gianluigi Gelmetti, décédé en août 2021. Dans L’occasione fa il ladro, on avait apprécié les belles prestations de Susan Patterson, Robert Gambill ou Alessandro Corbelli. Cette savoureuse version, qui a été disponible séparément en 2006, procurait un vrai plaisir vocal et visuel.

L’intrigue est mince : trois voyageurs se réfugient dans une auberge à la suite d’un orage. Le Comte Alberto se rend à Naples pour épouser sa fiancée qu’il n’a jamais rencontrée. Lors de son départ a lieu une substitution de valises par Martino, le serviteur de Don Parmenione, qui doit aussi aller à Naples pour affaires. Le bagage d’Alberto contient de l’argent, son passeport personnel et un portrait de femme. Séduit, Parmenione décide de se faire passer pour Alberto. La suite se déroule dans la cité proche du Vésuve, chez Don Eusebio, l’oncle de Berenice, la promise d’Alberto. La jeune femme veut savoir si son prétendant est sincère et le mettre à l’épreuve : elle échange son identité avec son amie Ernestina. Des scènes de confrontation entre Alberto et Parmenione vont égayer une action au cours de laquelle les masques vont tomber et au bout de laquelle les couples seront logiquement réunis selon les affinités : Alberto avec Berenice, Ernestina avec Parmenione. On découvrira qu’Ernestina est la sœur de l’ami de Parmenione et que le portrait de la valise d’Alberto est celui de sa propre sœur…

Pour la présente production, filmée les 17 et 22 juillet 2017 au Köngliches Kurtheater de Bad Wildbad où se déroule chaque année un festival destiné aux opéras les moins connus de Rossini, le metteur en scène Jochen Schönleber, directeur artistique du lieu depuis près de vingt-cinq ans, a opté pour une adaptation dans un contexte moderne, sobre et dépouillé, avec des effets décoratifs réduits. La scène est divisée en deux parties, celle de l’arrière étant déterminée par un système de panneaux coulissants qui s’ouvrent et se referment, faisant apparaître à chaque fois un fond de couleurs différentes et des silhouettes plus ou moins en ombres chinoises. Dans ce décor assez froid, on trouve un canapé, des tables, des chaises, des petites colonnes avec des figures de type ancien… Pas de quoi flatter l’œil, assurément. On comprend donc assez vite que l’essentiel se portera plutôt sur les personnages, sur les déplacements (assez chorégraphiques, dus à Matteo Marziano Graziano), et sur le chant. Les costumes de Claudia Möbius sont modernes eux aussi, assez banals et pas toujours du meilleur goût. 

Selon l’habitude prise par certains metteurs en scène de notre temps, Schönleber supprime ainsi une magie qui avait porté la version de Michael Hampe à laquelle nous avons fait allusion. L’un ou l’autre geste à connotation sexuelle larvée ne sont pas absents non plus ; on n’en voit pas toujours l’utilité. Schönleber joue aussi avec le scénario puisqu’au départ, Don Parmenione et son serviteur Martino ne font pas un malencontreux échange de valises, mais agissent au contraire sous le coup d’un acte de malveillance volontaire, leur méfait bénéficiant avec opportunité de « l’occasion qui fait le larron », ce qui confirme le propos des commentateurs qui voient dans ces deux personnages un rappel de Don Giovanni et de Leporello. Par ailleurs, lorsque les couples se sont finalement formés, un doute plane sur celui d’Ernestina et de Parmenione : ce dernier s’éclipse juste avant les dernières notes, peut-être pour ne plus revenir ! Schönleber ouvre là une porte inhabituelle. 

Au-delà des réticences, le grain de folie indispensable est heureusement au rendez-vous grâce à la prestation des chanteurs qui se révèlent dans le même temps des comédiens amusants et déjantés, parfois jusqu’à l’excès. Le ténor américain Kenneth Tarver, un excellent mozartien que l’on a pu applaudir en 2017 à l’Opéra des Flandres dans La Flûte enchantée, campe un vaillant et virtuose Comte Alberto. La basse vénitienne Lorenzo Regazzo est idéalement taillée pour être son « rival », Don Parmenione, avec une présence inventive à souhait. Ce spécialiste du baroque, du classique et du bel canto fait merveille par la qualité de son métier, exploité avec humour dans la comédie et avec éclat dans la voix. Son serviteur, le baryton Roberto Matteia, a des accès bienvenus de bouffonnerie, qu’il manie avec légèreté. 

Le ténor Patrick Kabongo, originaire du Congo mais de nationalité française, passé par le Conservatoire Royal de Bruxelles et par l’Opéra-Studio des Flandres, est délicieux en Don Eusebio, l’oncle de Berenice. Dans ce rôle entre hésitation et décision, il manie une séduisante clarté d’émission. Du côté féminin, la mezzo Giada Frasconi est pleine de vivacité, et la soprano lettonne Vera Talerko, au physique avantageux, assure l’emploi avec une souplesse qui n’est pas toujours exempte de scories, notamment lors de notes suraigües qu’elle ne domine pas parfaitement. Mais son investissement scénique est complet et sa perruque rousse en fait un point de repère des plus colorés. On savoure les duos ou ensembles qui jalonnent la partition, en particulier le quintette qui se situe au tiers de l’opéra. 

Menés par le chef sicilien Antonino Fogliani, un habitué du répertoire rossinien, les Virtuosi Brunensis, répondent, dès l’orage initial, à un geste souple et équilibré. Nous n’avons cependant pas été transporté par cette production de Wildbad, la mise en place moderniste n’étant pas, selon nous, du meilleur aloi dans cette partition légère. Ceux qui sont réfractaires aux costumes d’époque et souhaitent un ancrage dans le présent apprécieront de leur côté ce qui relève de la sobriété pour se centrer sur l’action, mais l’ancienne production du DVD EuroArts des années 1990, très stylée, offrait à cet égard un écrin plus proche de l’esprit rossinien. Le chant et le jeu scénique sont l’atout majeur de cette soirée du festival allemand, dont les prises de vue ont été bien réalisées, les voix bénéficiant d’une belle présence sonore. 

Note globale : 7

Jean Lacroix

 

      

 

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