Entretien avec Arnaud Marzorati : Histoire et musique se rencontrent

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Proposant une nouvelle épopée, Les Lunaisiens et Les Cuivres Romantiques, rejoints par Sabine Devieilhe, reviennent à la musique qui a accompagné les partisans et les détracteurs de Napoléon. Signant leur nouveau disque Sainte-Hélène : La légende napoléonienne, ils reconstruisent l'ambiance sonore de toute une époque. Le disque dépasse rapidement le concept du simple enregistrement et fascine par ses diverses entrées (musicologique, organologique, historique…) qui permettent à tous de s’approprier ces musiques. Une vraie leçon d’histoire racontée en musique. 

Arnaud Marzorati, le baryton et directeur artistique des Lunaisiens, a partagé avec nous quelques détails de la fabrication de cette aventure au vrai sens du terme.

Votre disque s’inscrit dans le cadre du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier. Quelle est l’origine de ce projet qui s’inscrit dans la continuité d’une longue série d’ouvrages et de disques publiés à cette occasion ?

Dès l’origine, les deux ensembles sont impliqués dans le projet : Les Lunaisiens pour le côté "chanson historique" et Les Cuivres Romantiques qui sont des grands spécialistes d’instruments anciens. Nous avons une passion commune pour l’histoire de la musique et nous avions véritablement cette envie de récréer un univers napoléonien. Cela fait des années que je travaillais sur ce répertoire de chanson et je voulais que Les Cuivres Romantiques accompagnent ce projet qui réunit des musiques de circonstance, des musiques presque guerrières et puis tout cet art de la chanson. C’est la raison pour laquelle nous avons été soutenus par Le Souvenir Napoléonien qui nous a attribué ce label.

Votre projet bénéficie de nombreux partenaires, notamment celui du Festival Berlioz qui vous accueille régulièrement à la Côte-Saint-André, de la Philharmonie de Paris et du musée de la Musique pour le prêt d’instruments historiques. Comment se sont déroulés ces divers partenariats qui vous ont permis de ressortir un répertoire méconnu et peu enregistré ? 

Effectivement, certaines chansons n’ont jamais été enregistrées même si, depuis déjà des années, un certain nombre d’historiens s’intéressent à cet univers de la chanson d’un point de vue poétique. Ils considèrent ces chansons comme une passerelle très pertinente pour s’intéresser à toutes les strates de l’histoire. 

Pour ce qui est des musiques instrumentales, nous avons eu le souci de faire sonner les instruments d’origine qui nous ont été prêtés par le Musée de la musique de la Philharmonie de Paris pour retrouver les couleurs originales de ces musiques. Rappelons qu’à l’époque c’étaient les grands solistes de l’Académie Royale de Musique de Paris qui jouaient ces instruments un peu inhabituels pour nous, comme le serpent, les cors naturels et autres. Lors de l’enregistrement, Les Cuivres romantiques maniaient certains de ces instruments avec des gants. 

À l’écoute du disque, nous sommes rapidement saisis par les textes de ces chansons peu banales. Parfois ironiques, les paroles font penser à une chronique de l'époque. Comment avez-vous choisi ses vingt-trois pistes parmi toute cette production si riche ? 

J’ai essayé d’imaginer un fil conducteur chronologique qui, finalement, n’était pas tenable. Nous commençons tout de même sous le Directoire et nous terminons à Sainte-Hélène. Mais comme vous l’avez souligné, nous voulions surtout marquer cette notion de chronique de média et de bataille par les chansons. Du côté des Cuivres romantiques, nous avons refait des adaptations pour faire sonner les timbres. Pour les chansons, le texte compte parfois plus que la mélodie, car il s’agit de propagande. Dans le disque, il y a aussi des chansons anti-napoléoniennes et des chansons royalistes. Nous avons voulu faire revivre toute cette époque par le combat des mots. 

Accompagnée par le piano de Daniel Isoir, Sabine Devieilhe incarne une autre manière de faire de la chanson. C’est la romance qui semble peut-être plus délicieuse, élégante et qui pourtant est là aussi pour faire valoir les qualités idéalisées de Napoléon. Au début du XIXe siècle, le piano est en train de prendre sa grande place historique et accompagne les romances d’une manière qui, imitant le style des troubadours, idéalise le soldat napoléonien comme un ancien chevalier des croisades.   

Au-delà de leur rôle de propagande, on se pose la question de la place de ces chansons dans la vie quotidienne des Français. Pour quelle occasion et par qui étaient-elles chantées ? Si certaines sont liées à un espace défini, comme les romances  dans les salons ou les chansons de guerre sur les champs de bataille, d’autres chansons encore sont assez virtuoses, notamment en ce qui concerne la diction, telle La Campagne de Russie.

Nous portons notre regard du XXIe siècle sur toutes ces chansons. En effet, certaines parmi elles ont été chantées dans des cabarets ; mais puisqu’on est dans une chanson plutôt anti-napoléonienne, nous imaginons plutôt quelqu’un qui, dans son salon, va s’essayer à cela en fermant les volets et en se planquant, au risque que la police secrète ne ressurgisse. C’est comme si on lisait un journal interdit. Globalement, on ne les chante pas. On les édite sur des feuilles volantes qu’on fait circuler sous le manteau. Lorsqu’on connaît le timbre, on les chante plutôt dans sa tête. Elles ne sont pas destinées à être interprétées sur scène en concert. C’est une autre manière de concevoir la musique, exactement comme la musique des cuivres, ces sonneries qui ponctuent le disque et qui ont accompagné les plus grandes batailles de l’épopée napoléonienne. 

Il y a quelques musiques cérémoniales, mais globalement ce sont des musiques de circonstance qui sont là pour frapper un moment précis de notre existence. C’est quelque chose qu’on a presque perdu dans notre usage de la musique. 

En écoutant le disque, nous découvrons les diverses facettes de l’opinion publique sur Napoléon à l’époque. La fabrication de ce disque a-t-elle eu un impact sur votre opinion sur ce personnage historique ?

Depuis longtemps, avec plusieurs de mes disques, j’essaie de chercher un autre regard. À partir du moment où j’aborde musicalement l’histoire, je veux avoir une distance par rapport à cela. Surtout lorsqu’il s’agit de faits politiques, je me rends compte que nous, les musiciens, nous n’avons pas d’armes. Nous sommes des interprètes. Ainsi, je cherche de plus en plus à m’associer à des historiens et à des spécialistes de la littérature pour permettre de faire avancer le débat. 

Quand je fais un disque, je le fais toujours avec mon âme d’enfant. Nous sommes faits de plein de paradoxes et, avec ce disque, je propose de nous interroger sur notre histoire de manière ludique. 

Votre restitution est tellement théâtrale qu’on pourrait presque imaginer une mise en scène de vos concerts, comme c’était parfois le cas avec votre projet dédié aux chansons de Boris Vian (MU-038). Comment vous êtes-vous inspiré pour créer des personnages qui accompagnent les chansons (comme Les Pommes de Terre ou Le Sacre de Napoléon) ?

Cette incarnation est issue de beaucoup de choses que j’ai accumulées et qui ne sont pas forcément musicales. Je lis beaucoup et je me suis aussi inspiré de la littérature d’époque. Quand j’essaie d’incarner des personnages du XIXe siècle, l’éloquence est omniprésente. On est absolument libre dans la chanson, à la différence de la mélodie française ou de l’opéra. Nous pouvons réinventer encore et toujours les personnages que nous incarnons. J’ai pris ce parti d’être un chanteur à voix. Il faut aussi se rappeler que jusqu’à l’invention du micro, il fallait se faire entendre et convaincre un public qui pouvait parfois être très bruyant. Ainsi, l’utilisation de la voix, du geste et de l’interprétation ne peut pas être minimaliste, en tout cas pas dans le cadre de la chanson. 

Le site des Lunaisiens  : www.leslunaisiens.fr

Propos recueillis par  Gabriele Slizyte

  • A écouter :

SAINTE-HÉLÈNE : La légende napoléonienne. Les Lunaisiens. Sabine Devieilhe, soprano ; David Ghilardi, ténor ; Igor Bouin, baryton ; Geoffroy Buffière, basse ; Daniel Isoir,  pianoforte ; Patrick Wibart, serpent ; Laurent Madeuf, orgue de barbarie&Les Cuivres Romantiques. Arnaud Marzorati, dir. artistique, baryton. Enregistré à l’Amphithéâtre de la Cite de la Musique – Philharmonie de Paris du 1er au 4 décembre 2020. www.muso.mu. mu-044

Crédits photographiques : Jean-Baptiste Millot

Gabriele Slizyte

 

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