Fade promenade dans l’apogée du clavecin français 

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Le Clavecin à Paris au XVIIIe siècle. Louis Marchand (1669-1732) : Suite en ré [extraits, Premier Livre]. François Couperin (1668-1733) : Ordre I en sol, Ordre III en do [extraits, Premier Livre]. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Nouvelles Suites de Pièces de clavecin [extraits]. Antoine Forqueray (1672-1745) : Première Suite en ré, Cinquième Suite en do [extraits, Pièces de Viole mises en Pièces de Clavecin par Mr. Forqueray le Fils]. Jacques Duphly (1715-1789) : Troisième & Quatrième Livres [extraits]. Claude-Bénigne Balbastre (1724-1799) : Pièces de Clavecin [extraits]. Armand-Louis Couperin (1727-1789) : Pièces de Clavecin [extraits]. Jos Van Immerseel, clavecins. Livret en anglais, français et allemand, néerlandais. Novembre, décembre 2022, février 2023. TT 47’50, 51’37, 63’08. Coffret 3 CDs Challenge Classics CCS45523

Une affiche prometteuse, trois superbes et historiques clavecins de la Cité de la Musique. Le Jean-Henry Hemsch (Paris, 1761). L’Andreas Ruckers (Anvers, 1646) ravalé par Pascal Taskin en 1780. Le Jean-Claude Goujon (Paris, 1749) ravalé par Jacques Joachim Swanen en 1784. Mais globalement une impression de demi-mesure, à l’instar des minutages qui auraient pu accueillir une plus large anthologie, ou pouvaient se tasser en deux disques. Et finalement la déception. Certes, le titre du coffret parle de soi. Factuellement, une exploration chronologique, qui nous mène du crépuscule du Roi-Soleil jusque la fin de règne de Louis XV : sept compositeurs dont les Livres furent édités entre 1701 et 1768. Mais on aurait apprécié un livret qui précisât et personnalisât la démarche, alors que la présentation se limite à une notice organologique (impersonnelle et muséale) sur chaque instrument.

Malgré le profond et sincère respect qu’inspirent la carrière, le talent de Jos Van Immerseel, tant à la baguette qu’au clavier, éminent pédagogue aguerri aux pratiques historiquement informées dans divers répertoires, on doit toutefois avouer que d’amers regrets concernent la prestation. Surtout dans un contexte discographique qui regorge de préférables alternatives. Ces sessions in situ, fin 2022 début 2023, semblent captées en des jours de chandelle morte. Tempos distendus, phrasés mornes et parfois amorphes, ornementation qui décore sans raffiner le discours… Dès le Prélude de Marchand, dénervé, désorienté, jusqu’à L’Affligée d’Armand-Louis Couperin (anesthésiée sur le jeu de buffle, dirait-on), il n’est guère d’étape qui échappe à une écoute tantôt assoupie tantôt gênée. Que penser de cette Chaconne lourdement labourée sur le pourtant sublime Hemsch ? De ces Silvains grabataires ? De cette Favorite exténuée, sous anxiolytique ? De ces Sauvages platement civils, quand les épices et les rythmes chahuteurs auraient pu s’ensemencer à peu de frais sous les doigts ? De cette Enharmonique dépenaillée ? Pour que François Couperin retrouve son intimidante grandeur, on se repenchera par exemple sur les anciens témoignages d’Olivier Baumont (Erato). Pour que Rameau reprenne flamme et couleurs, on se réveillera avec Noëlle Spieth (Solstice) ou Bertrand Cuiller (Mirare).

Le fantasque univers du « Diable d’Antoine » entendrait nous sortir de la torpeur, ce que réussissent furtivement les étrangetés harmoniques de La Portugaise (jouée gros) et la véhémence de La Guignon, mais au préjudice d’une Boisson interminable, d’une Sylva sans piquant, d’une Jupiter anodine et enguenillée (à comparer avec le live fulminant d’un Scott Ross, préservé par l’INA !). Le troisième volume ne sauve pas la mise. Hormis un Air gay qui émoustille par la registration, on déplore une Forqueray élimée, une Pothouin neurasthénique, là où un Davitt Moroney (Hamonia Mundi) y condensait toute la mélancolie de l’Ancien Régime. Face à cette D’Héricourt pelucheuse, cette Castelmore sans malice, on se remémore la vigueur du regretté Jean-Patrice Brosse (Pierre Vérany). En complément à la candide Arlequine, on aurait aimé retrouver la flamboyante Intrépide immortalisée par Gustav Leonhardt dans son magistral récital (Philips, mai 1987).

Exécutions molles ou emplâtrées, d’un style poussiéreux et interchangeable qui nous promène dans une galerie de taxidermiste, estimera un auditeur sévère. Méforme ou contreperformance, en tout cas le projet et son traducteur, ici aux prises avec des muses malencontreuses, ne méritaient-ils mieux que cette déprimante réalisation ? Le vain mimétisme d’un deuil esthétique éteint les œuvres et ne tient pas lieu d’interprétation à la hauteur des enjeux. Reste le plaisir, malmené, d’admirer ces trois clavecins d’époque, –insuffisante consolation quand de ce florilège on attendait tellement mieux qu’un piètre sort.

Christophe Steyne

Note globale : 5

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