Lola Descours, le basson en hommage à Nadia Boulanger
Soliste à l’Orchestre philharmonique de Rotterdam, Lola Descours fait paraître un album en hommage à Nadia Boulanger (Indésens Calliope Records). Ce parcours musical est une superbe carte de visite pour le basson, un instrument dont les potentiels expressifs sont sous-estimés. Crescendo-Magazine est heureux de s’entretenir avec cette musicienne, formidable ambassadrice du basson.
Nadia Boulanger, la “Reine de la musique” comme le disait Bernstein ! Qu’est-ce qui vous a motivé à consacrer un récital intégral en hommage à cette personnalité majeure ?
J'ai toujours été fascinée par cette femme qui, dans un monde si masculin, a eu une brillante carrière de pédagogue, de musicienne et de cheffe d'orchestre. Elle a été à contre-courant d'un XXe siècle où la composition était régie par écoles et dogmes. D'une grande ouverture d'esprit, elle affirmait apprécier toute bonne musique et a aidé un nombre impressionnant de compositeurs à développer leurs propres identités d'artistes. Bref c'est une femme d'une modernité incroyable, qui a su casser les barrières liées à son genre et décloisonner les styles. Quand, le label français Indésens Calliope Records m'a proposé d'enregistrer, il m'est venu tout naturellement à l'esprit de proposer à son directeur artistique un hommage à cette femme française si moderne et inspirante.
12 compositeurs et 1 compositrice sont représentés sur ce disque, comment avez-vous choisi ces musiciens et surtout ces partitions ?
À l'image de cette femme riche en contrastes et afin de refléter l'abondance d'esthétiques de son cercle au sens large, l'album Nadia comprend 13 compositeurs de styles extrêmement divers et une grande variété de formations instrumentales.
Ainsi, sa sœur Lili, son professeur de composition Gabriel Fauré, l'ami de sa famille Camille Saint-Saëns ainsi que ses proches amis et collaborateurs Igor Stravinsky et Francis Poulenc sont représentés. S'ajoutent des élèves aux styles extrêmement variés. L'école américaine, qui doit tant à Nadia, sera représentée par Aaron Copland ainsi que le minimaliste Philip Glass, sans parler de son ami Leonard Bernstein. Pour la France, citons Jean Françaix qu'elle a connu tout jeune et deux grands de la musique de film français : Vladimir Cosma et Michel Legrand. Bien sûr Astor Piazzolla qu'elle a su révéler dans son ambivalence entre la musique savante et tango argentin, est présent sur l'album. J'ai également décidé d'insérer une très belle et poignante mélodie composée par Nadia elle-même, bien qu'elle ne se soit jamais considérée comme compositrice.
Hormis Camille Saint-Saëns et Jean Françaix, la plupart de ces compositeurs n'ont pas écrit de partitions originales pour le basson. J'ai donc passé beaucoup de temps à découvrir et lire toutes sortes de leurs compositions afin de trouver les pièces adaptables au basson, les pièces où celui-ci apporterait selon moi un regard intéressant.
Le panorama des compositeurs est très large et le ton des œuvres se révèle très différent, le basson est-il un instrument dont le public sous-estime l’expressivité ?
J'en suis convaincue. Le basson est bien trop méconnu. Il est encore beaucoup trop relégué à son rôle orchestral et à son caractère de clown triste. A travers mon album précédent "Bassoon Steppes" (Orchid Classics) le lyrisme de l'instrument était sans cesse exploité, dans celui-ci "Nadia" c'est certainement la variété des jeux de cet instrument qui est le plus mise en valeur. Partager au public les multiples facettes de cet instrument que je chéris est un désir fort chez moi. D'ailleurs je vous invite à visionner sur Youtube les nombreuses vidéos artistiques réalisées avec le cinéaste Pierre Dugowson à cet effet.
Le panorama commence avec St Saens et se termine avec Philip Glass, comment l’écriture pour basson évolue-t-elle entre ces deux extrêmes du temps ?
La Sonate de Camille Saint-Saens montre une facette très lyrique puis perlée du basson. Elle a d'ailleurs été composée en réaction "à l'utilisation inappropriée du basson" dans le Sacre du printemps de Stravinsky selon Saint-Saens ! Le Divertissement de Jean Françaix est extrêmement incisif et pétillant, il s'amuse des multiples possibilités d'articulations de l'instrument.
Pour les autres oeuvres qui sont des transcriptions, il faut en effet chercher d'autres modes de jeu, moins typiquement instrumentaux. Il s'agit de s'approcher de la sonorité, de la couleur de l'instrument d'origine. C'est une quête passionnante, qui enrichit le jeu !
Les mélodies demandent une attention particulière au texte, à sa signification mais aussi aux allitérations, aux consonnes, aux sonorités des mots, à leur importance etc ... Dans le Philip Glass, il s'agit moins de travailler chaque note comme une syllabe, mais plus de chercher un jeu très homogène, qui, dans la répétition et la durée, fera ressortir les couleurs de chaque harmonie et prendra sa forme générale. C'est très inhabituel comme jeu dans la musique classique !
Vous êtes actuellement basson solo du Rotterdam Philharmonic Orchestra. Dans cet orchestre, vous n’êtes pas la seule instrumentiste française, il y a la flûte solo Juliette Hurel. Est-ce que la culture française du son se caractérise dans la sonorité des vents ?
Quand j'ai gagné l'audition dans cet orchestre, la manager n'était pas étonnée qu'une française ait gagné : " il y a beaucoup de français chez les bois, d'anglais/d'américains chez les contrebasses, d'italiens chez les trompettes " m'a-t-elle dit !
Les bois français sont en effet très représentés dans les orchestres à l'étranger. Le jeu très solistique et la grande variété d'articulations et de couleurs que développent l'école française et le répertoire français font certainement des bois français une école prisée.
Je suis en effet entourée d'excellents collègues chez les bois, dont la grande Juliette Hurel, qui sont pour la plupart français ou issus de l'école française. C'était d'ailleurs déjà le cas dans mon ancien orchestre en Allemagne !
Le Philharmonique de Rotterdam est, comme beaucoup de grands orchestres, devenu très international dans sa composition. Comment les individualités parviennent-elle à se fondre dans une culture nationale dont l’ADN est l’interprétation de Strauss, Mahler ou Bruckner, 3 piliers de l'excellence des grands orchestres néerlandais ?
J'ai toujours été attirée par les orchestres néerlandais. Ce jeu si collectif avec une flexibilité et souplesse que les orchestres allemands peuvent leur envier. Cette capacité de changer de style, d'affiner ou d'épaissir très vite le son en fonction du répertoire me fascine.
Il y a de plus en plus de musiciens étrangers dans ces orchestres. Je dirais que s'insérer dans un ensemble c'est un fin mélange entre apporter sa touche personnelle, celle que les collègues ont aimé et choisi lors de l'audition, et se fondre dans une esthétique, une sonorité déjà sculptées. Cela prend du temps et se fait aussi naturellement par imprégnation. Je pense et j'espère que cela apporte une belle richesse à la sonorité du groupe !
Le site de Lola Descours : https://loladescours.com/
A écouter :
Hommage à Nadia Boulanger. Oeuvres d’Igor Stravinsky (1882-1971), Astor Piazzolla (1921-1992), Aaron Copland (1900-1990), Camille Saint-Saëns (1835-1921), Nadia Boulanger (1887-1979), Vladimir Cosma (1940–, Lili Boulanger (1893-1918), Françis Poulenc (1899-1963), Gabriel Fauré (1845-1924), Michel Legrand (1932-2019), Philip Glass (1937-), Jean Françaix (1912-1997), Leonard Bernstein (1918-1990). Lola Descours, basson ; Paloma Kouider, piano ; Trio ABC ; Octuor de France. 2024. Livret en français et anglais. 67’31’’. Indésens Calliope Records. IC039
Propos receuilllis par Pierre-Jean Tribot
Crédits photographiques : DR
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