Festival de Salzbourg : mythe et variation
Dans son exploration des mythes, le festival de Salzbourg ne s’est pas limité au grand répertoire dramatique et lyrique avec des œuvres comme Médée de Cherubini ou Œdipe d’Enescu. Il y a bien sûr aussi Jacques Offenbach qui s’est laissé inspirer par le monde antique. Et puisqu’en 2019, on commémore son 200e anniversaire, son opéra-bouffe Orphée aux Enfers était programmé dans une mise en scène du metteur en scène australien Barrie Kosky, directeur du Komische Oper Berlin, un artiste d’une grande imagination et d’une belle virtuosité. On avait annoncé la version originale en français avec les dialogues parlés en allemand. Finalement, tous les dialogues étaient confiés à l’acteur Max Hopp qui interprétait aussi le rôle de John Styx. Max Hopp a rempli cette tâche avec une grande et admirable virtuosité mais le public devait être aux aguets pour suivre le tourbillon imaginé par Barrie Kosky.
Il a présenté Orphée aux Enfers comme une grande farce sans grand raffinement, pleine d’entrain marquée de moments hilarants et d’autres d’un goût douteux dans un décor 1900 de Rufus Didwiszus, des costumes de Victoria Behr, des lumières de Franck Evin et une chorégraphie amusante de Otto Pichler. Eurydice (petite tenue et corset serré) saute, jambes écartées, d’un lit à l’autre, chantant de son soprano virtuose aux aigus brillants (Kathryn Lewek) pour échapper à son mari musicien (Joel Prieto, ténor gentil) et suivre Aristée/Pluton (excellent Marcel Beekman) aux enfers. Mais dans le royaume de Pluton Eurydice s’ennuie et fait une proie facile pour Jupiter qui se présente en belle mouche (Martin Winkler pas très convaincant). Finalement et malgré tous les efforts de l’Opinion publique (une Anne Sofie von Otter majestueuse), Eurydice devient prêtresse de Bacchus et le spectacle se termine dans une euphorie générale très appréciée du public. Pour ma part, malgré la qualité des prestations individuelles, je n’ai pas été convaincue par cette production surchargée. Offenbach était pourtant bien servi par le Wiener Philharmoniker, dirigé vigoureusement par Enrique Mazzola. Belle prestations aussi du chœur Vocalconsort, de l’ensemble des danseurs et de la distribution qui s’intégrait parfaitement au concept de Barrie Kosky pour cette coproduction avec le Komische Oper Berlin et le Deutsche Oper am Rhein Düsseldorf.
Avec Adriana Lecouvreur (Cilea), Simon Boccanegra et Luisa Miller (Verdi) le festival de Salzbourg offrait aussi des œuvres indépendantes de l’exploration des mythes. Si Adriana et Luisa étaient proposés en version concert, Simon Boccanegra offrait une nouvelle production : mise en scène d’Andreas Kriegenburg, décor d’Harald B. Thor, costumes de Tanja Hofmann, lumières d’Andreas Grüter et vidéo de Peter Venus. Kriegenburg abandonne le 14e siècle pour le nôtre et présentait le peuple de Gênes est un groupe de fonctionnaires rivés à leurs smartphones ! Pas d’autre actualisation signifiante pour une action qui se perd souvent dans le vaste décor élégant mais froid aux murs gris pâle. La direction d’acteurs et les mouvements des chœurs manquent de force dramatique et l’émotion est rare. Même l’orchestre, un excellent Wiener Philharmoniker dirigé par Valery Gergiev n’est pas en mesure de nous tenir en haleine dans cet univers stérile. La distribution vocale offre pourtant des chanteurs engagés aux voix solides et qui savent comment on chante Verdi. Le personnage le plus impressionnant est le Fiesco de René Pape, homme fier, père blessé et adversaire redoutable à la voix imposante, sonore et expressive. Luca Salsi donne humanité et vulnérabilité mais aussi autorité à Simon de son baryton homogène de belle couleur. Marina Rebeka fait une Amelia amoureuse et soucieuse, surtout convaincante dans les moments dramatiques mais elle peine un peu dan son air d’entrée « Come in quest’ora bruna ». Gabriele Adorno a l’impétuosité de Charles Castronovo et son ténor souple. André Heyboer offre sa voix rugueuse à Paolo et Antonio Di Matteo campe un Pietro correct. Bonnes prestations des chœurs du Wiener Staatsoper.
Salzbourg, les 17 et 18 août 2019
Crédits photographiques : Ruth Walz
Erna Metdepenninghen