Goldberg : l'homme derrière ses variations

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Johann Gottlieb GOLDBERG  (1727-1756) : Concertos pour clavecin en ré mineur et en mi bémol majeur.  Alina RATKOWSKA (clavecin), Goldberg Baroque Ensemble. 2017-SACD-61'48-Textes de présentation en anglais, français et allemand-MDG 901 2061-6

Non, Goldberg ne fut pas seulement un nom sur l'une des partitions les plus célèbres et les plus géniales de toute l'histoire de la musique ! Ce fut également un compositeur qui traversa notre monde tel un météore: mort tandis que naît Mozart, à moins de 30 ans, il eut pourtant le temps de se former chez Jean-Sébastien ainsi que chez Wilhelm Friedemann, d'être nommé en qualité de Kammermusiker au service du premier ministre de Saxe et de se faire admirer pour une oeuvre étonnamment variée et novatrice. Ses dispositions semblent avoir été exceptionnelles et l'on rapporte qu'il pratiquait son art jour et nuit, qu'il déchiffrait à vue sans la moindre difficulté. Aux côtés de deux cantates qui ont été conservées, de 24 polonaises pour piano, on trouve les deux concertos qui sont enregistrés ici. Il ne fait aucun doute que ce sont les pages concertantes de Carl Philipp Emanuel qui ont servi de modèle mais il se distingue de son aîné par un accompagnement très personnel qui cultive des couleurs inquiétantes -on ne peut se départir de l'idée que l'influence de Friedemann y est pour quelque chose- et donne à l'orchestre un rôle à part entière, qui dépasse celui de simple faire-valoir.

Un exemple frappant est fourni par le largo du concerto en ré mineur, où toute l'exposition, grave et sombre, se fait à l'orchestre, où le clavecin se contente de « suivre ». C'est ensuite celui-ci qui se livre à des variations sur le thème juste exposé et l'ensemble qui lui cède la parole, non sans toutefois plonger l'ensemble dans une atmosphère douloureuse par des accents très particuliers: un grand moment ! La durée même de cette oeuvre dépasse les normes de l'époque : plus de 34 minutes, avec des mouvements qui dépassent tous dix minutes. Cette particularité se traduit par des développements, sinon inédits, du moins fort rares à l'époque. Le finale, quant à lui, rappelle les partitions pleines de verve du second fils de Jean-Sébastien, en particulier ses concertos pour orgue.

Le concerto en mi bémol majeur est lui aussi imposant, même si un peu moins long (27 minutes). Une très longue introduction orchestrale annonce directement celles qu'écrira Mozart quelques décennies plus tard. On y retrouve ce style « galant-mais-pas-tant-que-ça » qui caractérisait le premier opus de ce programme. Le sommet du cd est peut-être bien le Largo con sordini où les ostinatos entêtés éclairent cette musique d'un caractère oppressant tout d'abord, consolateur ensuite. Le clavecin, quasiment livré à lui-même au début, exprime des sentiments une nouvelle fois plutôt sombres mais « se détend » au fur et à mesure qu'il est rejoint par l'orchestre. Le tout est d'une somptueuse facture que le divin Wolfgang n'aurait certes pas dédaignée. Un finale très enlevé conclut avec bonheur ce disque magnifique. Voici donc une très belle découverte, qui offre un trait d'union entre les oeuvres des deux premiers fils de Bach et le Mozart le plus inspiré. Interprétation parfaite, toute en finesse, qui rend au mieux les mille et une merveilles de ces partitions bien trop oubliées.

Bernard Postiau

Son: 10 Livret: 10 Répertoire: 10 Interprétation: 10

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