Hommage à Catherine Collard chez Erato
Catherine Collard. The Complete Erato, EMI Classics & Virgin Classics Recordings. Robert Schumann (1810-1856) Fantaisie en Ut Majeur, Op.17 ; Davidsbündlertänze, Op.6 ; Sonate pour piano n°1 en n fa dièse mineur opus 11 ; KInderszenen, Op.15 ; Sonate pour piano n°2 en sol mineur, Op.22 ; Arabeske, Op.18 ; 3 romances, Op.28 ; Papillons, Op. 2 ; Sonate pour violon n°1 en la mineur, Op.105 ; Sonate pour violon n°2 en Ré mineur ; Guillaume Lekeu (1870-1894) : Sonate pour violon en sol majeur ; César Franck (1822-1890) : Sonate pour violon en la majeur, FWV 8 ; Serge Prokofiev (1891-1953) : Sonate pour violon n°1 en fa mineur, Op.80 ; Sonate pour violon n°2 en ré majeur, Op.94bis ; Vincent d’Indy (1851-1931) : Symphonie sur un chant montagnard “Cévenole” en sol majeur, Op.25 ; Erik Satie (1866-1925) : 3 Morceaux en forme de poire pour piano à 4 mains, La Belle Excentrique pour piano à 4 mains. Catherine Collard et Anne Queffélec, pianos ; Catherine Courtois, violon ; Orchestre philharmonique de Radio-France, direction : Marek Janowski.1973-1990. Livret en français, anglais et allemand. 7 CD Erato 5 0544197 962639
Erato rend hommage à la grande Catherine Collard (1947-1993) en reprenant dans un coffret de poche l’intégrale de son legs pour les labels Erato, EMI Classics & Virgin Classics, une somme gravée entre 1973 et 1990. L’idée est excellente car l’art de cette magicienne du clavier est de la plus haute envergure, mais aussi car la disponibilité de ces albums était aléatoire. Certains sont même édités pour la première fois en CD.
Au commencement était Schumann, terre d’élection privilégiée de la pianiste avec 3 disques du catalogue Erato enregistrés dans les années 1970. La sélection reprend les grandes pièces du grand compositeur dont la pianiste laisse des enregistrements de grande référence. D’emblée le ton séduit par le naturel et l’évidence et par la force de la vision d’un romantisme sensible mais jamais exagéré auquel s’additionne une capacité à souligner la force visionnaire de l’écriture. La narration est aussi stupéfiante avec le geste chorégraphié des Davidsbündlertänze ou des KInderszenen qui suggèrent un infini des possibles avec des ombres joyeuses ou fantomatiques qui sortent de brumes de la musique. Rarement Schumann aura été une telle expérience suggestive qui nous plonge dans les scènes et les paysages de cette époque. Avec les Sonates pour piano n°1 ou n°2 ou la Fantaisie, Catherine Collard tisse un univers irisée de lumières ombrageuses tandis qu’elle soigne la forme avec passion. Trois disques pour l’éternité !
Trop oubliée aussi, la violoniste Catherine Courtois est la partenaire pour trois albums de sonates pour violon. Dans la droite ligne de l’immense réussite des oeuvres pour piano de Schumann, les deux musiciennes livrent une interprétation magistrale des deux Sonates du compositeur allemand. La fluidité du dialogue et la qualité d’écoute mutuelle atteignent des sommets, la musique vit et respire dans un unisson d’inspiration total. Autre grande réussite, le duo classique franco-belge des sonates pour violon de Guillaume Lekeu et César Franck. Il y a bien sûr des lectures plus plastiquement éblouissantes mais le présent enregistrement propose encore un naturel épatant et une grande qualité d’écoute. Les deux musiciennes cernent les liens et les différences entre ces deux partitions. Si pour la Sonate de Franck, la discographie est pléthorique et encombrée, pour la Sonate de Lekeu, cette version est une référence. Enfin, venu du catalogue d’EMI France, les deux Sonates de Prokofiev sont de belles réussites. On ne cherchera pas ici la puissance des braises de l’histoire ou la mécanique technique implacable, mais on apprécie la ligne mélodique et le travail sur les timbres d’un Prokofiev parfois tragique et souvent fauviste. La narration pure l'emporte sur la démonstration technique, mais c’est aussi singulier qu’attachant.
Seule captation concertante, on retrouve avec plaisir la Symphonie cévenole sur un chant montagnard français de Vincent d’Indy, une œuvre qui eut son heure de gloire avant de tomber dans un oubli scandaleux. Cette captation de 1990 est sans doute le dernier enregistrement de la pièce par des forces françaises car Catherine Collard est secondée par le Philharmonique de Radio France sous la direction exigeante de Marek Janowski. Il faut saluer la maîtrise de la pianiste qui construit une lecture poétique et stylistiquement contrôlée tandis que de son côté le chef dirige avec solidité et sens des harmoniques mais aussi avec un peu de raideur germanique : ça manque de poésie et de transparence des timbres. Il n'empêche, l’orchestre est concentré et appliqué et l’ensemble sonne avec effets ! Enfin, en conclusion, on retrouve deux petits Satie avec Anne Queffélec : 3 morceaux en forme de poire et La Belle Excentrique. Des lectures poétiques, suggestives et suspendues dans le temps, quelle si belle conclusion !
Dans l’absolu, même s’il y a quelques réserves ça et là (Prokofiev et d’Indy), ce coffret est un indispensable qui fait vivre l’art de cette immense artiste. Le livret de présentation est intéressant et il reprend différents témoignages sur la pianiste.
Son : 8/9 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 9/10
Pierre-Jean Tribot