Hommage à Corbetta, guitariste des rois, tressé par I Bassifondi
La Guitarre Royalle. Francesco Corbetta (1615-1681) : extraits de De gli scherzi armonici, Varii caprricii per la ghittara spagnuola, La Guitarre Royale (Paris 1671, 1674). Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : La Généralle de la Garde françoise. Robert De Visée (c1650-c1732) : Tombeau de Mr. Franc.que [Livre de Guitarre dédié au Roy]. I Bassifondi. Simone Vallerotonda, guitare, colachon, théorbe. Stefano Todarello, colachon, théorbe, chitarra battente. Gabriele Miracle, percussion, colachon. Bor Zuljan, guitare. Monica Piccinini, Francesca Boncompagni, soprano. Davide Benetti, basse. 2023. Livret en anglais, français, italien. 55’45''. Arcana A556
Preuve de la précocité de ce fondamental représentant de la guitare du XVIIIe siècle, son tout premier recueil fut publié alors qu’il n’avait que vingt-cinq ans. Le présent disque y pioche une Mantovana, mais illustre surtout trois recueils ultérieurs, à commencer par les Varii caprricii per la ghittara spagnuola (1643) où l’influence des luthistes fertilise l’écheveau contrapuntique. La première Guitarre Royale (1671) compile diverses pages écrites pendant le séjour en Angleterre où Corbetta contribua à la vogue de l’instrument dans le royaume de Charles II. Dédiée à Louis XIV, la seconde Guitarre Royale (1674) traduit la mode plus raffinée qui ravissait la cour versaillaise, et qui culmine dans la suite de Prélude, Allemande, Sarabande, Passacaille, Menuet d’un élégant Concert en e mi la. Une fine sensibilité que Rolf Lislevand conviait dans son magistral album « La Mascarade » (ECM, 2016), partagé entre Corbetta et Robert De Visée, lequel célébra la mémoire du disparu par un émouvant Tombeau ici égrené par Bor Zuljan.
Le recueil intermédiaire des Varii scherzi di sonate per la chitara spagnola, imprimé à Bruxelles en 1648 et reflétant une quête progressive de complexité, n’est pas abordé dans ce CD dont la durée aurait cependant pu lui accorder une place. Le programme accueille néanmoins quelques pages vocales dérivées du recueil de 1671, et pas impérissables : une transversalité d’autant dispensable qu’elle distrait de la cohérence purement instrumentale de ce récital qu’on eût lui souhaité plus fourni.
Rythmée par Gabriel Miracle, une martiale entrée de Lully annonce que quelques pièces de danse (Folia, Passacagli, Gigue et autre Fanfares) s’agrémenteront de percussions, conformément à l’iconographie du temps. Parfaite transition avec une Trompette, tambour de France et de Suisse fait sur la prise de Maastricht, avant que cette anthologie ne nous emporte dans un cortège où rêverie et réjouissance, divertissement et recueillement garantissent la variété des ambiances.
« La densité de l’écriture, la complexité instrumentale est poussée jusqu’à ses limites. La fusion des accords battus et du contrepoint est parfaitement équilibrée » nous rappelle la notice. Au confluent de ferments hispaniques, des goûts italiens et français, la notoriété et la qualité de l’œuvre de Corbetta lui nantissent une place d’honneur dans la discographie soliste des cordes pincées à l’heure baroque. Outre l’expertise de chaque partenaire d’I Bassifondi, la proposition de l’équipe de Simone Vallerotonda tire son attrait dans l’art de tisser les voix, d’entremêler les timbres de la guitare, du colachon, du théorbe. Le tramage collectif, la science de la respiration commune, aussi adroite qu’expressive, nous vaut un florilège à la hauteur du virtuose Pavesan qui au gré de sa voyageuse carrière, ainsi que le pleurait son épitaphe, sut gagner « le cœur des princes et des rois ».
Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 7-9 – Interprétation : 8 (vocal) à 10
Christophe Steyne