L’Elisir d’amore de Donizetti à Londres, une éclatante réussite 

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Gaetano Donizetti (1797-1848) : L’elisir d’amore, opéra en deux actes. Nadine Sierra (Adina), Liparit Avetisyan (Nemorino), Boris Pinkhasovich (Belcore), Bryn Terfel (Docteur Dulcamara), Sarah Dufresne (Giannetta) ; Royal Opera Chorus ; Orchestre du Royal Opera House, direction Sesto Quatrini. 2023. Synopsis en anglais. Sous-titres en anglais, en français, en allemand, en italien, en japonais et en coréen. 139’00’’ + 9’ d’extras. Un DVD Opus Arte OA1385D. Aussi disponible en Blu Ray. 

Certains opéras sont vraiment bien servis par le DVD, confirmant l’idée que l’opéra à domicile peut procurer des instants de bonheur tout proches du direct en salle. C’est le cas pour L’elisir d’amore de Donizetti : à côté de versions italiennes locales de qualité variable, notamment celle de Bergame en novembre 2021, à l’affiche du festival qui porte le nom du compositeur, avec Caterina Sala et Javier Camarena dans le duo de base (Dynamic), trois spectacles filmés tenaient jusqu’à aujourd’hui le haut du pavé. Celui du Metropolitan de New York, en novembre 1991, avec une piquante Kathleen Battle et un brillant Luciano Pavarotti dirigés par James Levine (DG), celui du Wiener Staatsoper, en avril 2005, avec le couple haut en couleurs formé par Anna Netrebko et Rolando Villazon sous la baguette d’Alfred Eschwé (Virgin), et celui de l’Opéra de Paris, en juin 2006, dans la mise en scène éblouissante de Laurent Pelly, avec Heidi Grant Murphy (Adina), Paul Groves (Nemorino), Laurent Naouri (Belcore) et Ambrogio Maestri (Dulcamara), menés par Edward Gardner (Bel Air). Cette production de Pelly a tellement séduit qu’elle a connu depuis plusieurs reprises, dont celle qui a été programmée à Londres en septembre/octobre 2023, dans une distribution qui est une fête pour la voix. La voici disponible sous le label Opus Arte, dans une remarquable qualité d’images.

L’intrigue de ce melodramma giocoso en deux actes, créé à Milan le 12 mai 1832 (le quarantième opéra de Donizetti) est connue : le paysan Nemorino, qui est désargenté, aime Adina, riche et cultivée. Celle-ci est courtisée par un sergent, Belcore, qui lui propose de l’épouser. L’espoir renaît chez Nemorino lorsqu’il croit naïvement aux promesses de l’efficacité d’un élixir d’amour « à la Tristan et Yseult » (en réalité une bouteille de bordeaux) que lui propose le charlatan ambulant Docteur Dulcamara. Pour écarter son rival, Belcore lui fait signer un engagement dans l’armée. Adina, qui est en réalité amoureuse de Nemorino, rachète le contrat et lui avoue sa flamme. Tout est bien qui finit bien, Nemorino héritant en plus de la fortune de son oncle ! Le librettiste génois Felice Romani (1788-1865), qui écrivit abondamment pour Donizetti, mais aussi pour Mercadante, Rossini, Verdi ou Meyerbeer, a adapté le livret en français d’Eugène Scribe pour Le Philtre de Daniel-François-Esprit Auber, première à Paris le 20 juin 1831. La création milanaise de L’elisir d’amore a été un triomphe ; l’œuvre sera à l’affiche trente-trois jours d’affilée, soulevant l’enthousiasme du public et de la critique : la Gazzetta di Milano signale notamment une ligne vocale tantôt brillante, tantôt vivante, tantôt colorée (Philippe Thanh, Donizetti, Actes-Sud/Classica, 2005, p. 62). Le succès ne s’est jamais démenti depuis.

La mise en scène de Laurent Pelly, déjà devenue une référence, est une vraie réussite. L’action est transplantée de façon idéale dans l’Italie des années 1950, dans un paysage campagnard où sont amassées en hauteur des bottes de foin qui permettent des jeux subtils de séduction et où machines agricoles, camion imposant du Docteur Dulcamara ou scooters sont présents, ainsi qu’un bar/trattoria et une piste de danse pour la célébration du possible mariage Adina-Belcore. Tout cela satisfait l’œil au plus haut point, avec de belles lumières et des costumes chatoyants qui se déploient dans une ambiance gaie et animée, pleine de clins d’œil et de gags bienvenus (un chien traverse même le plateau en un éclair). La conduite d’acteurs est impeccable, dynamisant encore plus l’atmosphère d’allégresse qui parcourt le spectacle tout entier. Le spectateur ne peut pas douter un seul instant de l’issue heureuse de l’idylle Adina-Nemorino : elle est palpable dès le début d’une action dont les deux heures filent à toute allure, dans un bonheur complet, visuel, vocal et musical.

La distribution est impeccable, ainsi que le jeu scénique, encore plus que dans la version de Paris de 2006. La présence de la soprano américaine Nadine Sierra (35 ans au moment du spectacle), qui sait comment utiliser son fascinant physique épanoui, apporte un rayonnement que l’on qualifiera de solaire au personnage d’Adina. Robe sexy à l’appui, elle use de sa séduction avec une coquetterie espiègle. Elle peut se révéler rebelle, fantasque et même un peu cruelle, mais aussi très émouvante lorsqu’elle avoue enfin son amour à Nemorino. Le registre de cette cantatrice est vaste : elle brille par son chant, sa vocalité sans faille et sa tessiture affirmée. Les aigus sont aisés, de la souplesse et du velouté viennent souvent peaufiner une interprétation idéale, d’autant plus que, dans le registre théâtral, Nadine Sierra a de réels dons d’actrice, avec attitudes et mimiques en situation. 

À ses côtés, le ténor arménien Liparit Avetisyan (°1990) est un émouvant amoureux transi, d’abord désespéré, puis plein d’espoir lorsqu’il possède le faux élixir miraculeux, avant la joie finale du bonheur. On l’attend, bien sûr, pour la romance Una furtiva lagrima. On n’est pas déçu : il livre un air plein de délicatesse, évitant le pathos et dévoilant une vraie sensibilité, qui est d’ailleurs une constante de sa prestation. Le baryton russo-autrichien Boris Pinkhasovich (°1986), dans la peau de Belcore, le sergent prétendant, est viril, tendance macho ; la voix est solide. On saluera comme il se doit la prestation de Bryn Terfel (°1965), truculent et roublard Docteur Dulcamara. C’est un plaisir de retrouver cet immense Figaro ou Falstaff, distribué dans un rôle qui lui convient à merveille, où ses multiples qualités peuvent s’épanouir. Dans le rôle épisodique de Giannetta, la Canadienne Sarah Dufresne fait état de la qualité de son timbre. 

Une distribution de choix, répétons-le. Les airs, duos et trios sont savoureux ; l’éblouissante prestation des chœurs, qui animent maintes scènes de leur spontanéité, vient s’y ajouter, ainsi que la direction équilibrée du chef romain Sesto Quatrini (°1984), qui anime un orchestre londonien capable de fines nuances et de couleurs variées. Deux petits bonus, au cours desquels les protagonistes s’expriment, sont à recommander. Une réussite exaltante, qui vient s’installer sur le premier rayon de la vidéographie de ce génial Elisir d’amore.

Note globale : 10

Jean Lacroix

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