Hommage à Stefano Mazzonis di Pralafera

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C’est avec stupeur et tristesse que le monde belge de la culture a appris ce dimanche soir, le décès de Stefano Mazzonis di Pralafera, Directeur Général et Artistique de l’Opéra Royal de Wallonie à Liège. Né à Rome en 1948, il avait été l’Intendant du Teatro Communale de Bologne avant de diriger l’institution liégeoise de 2007 à 2021. 

Sous son mandat, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège a poursuivi son rayonnement international en accordant une grande importance aux jeunes artistes, en particulier aux jeunes pousses belges. Metteur en scène prolifique, il avait su fidéliser un public très important qui n’hésitait pas à franchir les frontières, tant géographiques que linguistiques. Son action vers les jeunes publics est également exemplaire.

Crescendo Magazine partage ici quelques témoignages, hommages à cette personnalité attachante et très appréciée.

  • Ayrton Desimpelaere 

"Prends un whisky, ça te fera du bien !". Quelques mots tirés d’une conversation autour d’un bon dîner à l’automne 2016. Nous sortions d’une répétition de Nabucco sous la direction du Maestro Paolo Arrivabeni, mis en scène par Stefano Mazzonis. Il terminait son filet américain, moi mes boulets liégeois. De sa voix si caractéristique et emblématique, et avec son aplomb naturel, il m’orienta vers cette boisson pour laquelle il nourrissait une passion bien connue. Il ne se doutait pas à ce moment que j’en deviendrais un grand amateur…

Stefano Mazzonis vient de nous quitter. Je l’avais rencontré en janvier 2016 après un coup de téléphone qu’il me donna personnellement pour m’inviter à venir à l’ORW dans l’éventualité d’une collaboration. On me fit rentrer dans son bureau surplombant la place Saint-Lambert. Je ne me doutais pas alors qu'allait débuter une aventure de plus de cinq ans. Rapidement, la place très convoitée d’assistant à la direction musicale me fut proposée, ainsi que la direction d’une production jeune public. Un rendez-vous qui ne dura que quelques minutes mais qui serait le début d’une longue et étroite collaboration.

Je fis ensuite la rencontre du Maestro Arrivabeni, premier Directeur Musical nommé par Stefano Mazzonis à Liège. L’entente fut immédiate et les conseils nombreux. Turandot et Nabucco pour commencer, la tâche était rude. D’un œil attentif et bienveillant, le Directeur ne cessa jamais de m’accompagner et de guider mes premiers pas dans le monde lyrique. Anecdotes, plaisanteries,… il transformait une répétition en un moment de pure amitié, éloignant le stress et l’angoisse de mal faire. Après ces premières expériences, une deuxième saison se dessina pour moi. Ce fut un cadeau, mais surtout une belle reconnaissance. Depuis lors, une multitude de rencontres enthousiasmantes se succédèrent grâce au maître des lieux : Speranza Scappucci, Daniel Oren, José Cura, Ruggero Raimondi, Michele Mariotti, Lionel Lhote et tant d’autres artistes incroyables. Avec une efficacité saisissante, il tirait le meilleur de chacun, tout en laissant une place importante à la liberté interprétative. Quelques mois plus tard, il me proposa la direction d’Il Matrimonio segreto de Cimarosa, un premier test grandeur nature dans un répertoire délicat. Assurant la mise en scène, sa présence à mes côtés ne fit que m’encourager à mieux cerner et comprendre la complexité de l’œuvre. Tant dans le doute que dans la crainte, il était là pour me réconforter. Ensemble, nous avons fait rire des milliers de personnes à Liège et Charleroi. Les applaudissements nourris de la salle confirmaient l’intelligence et la clairvoyance du Directeur et de son projet artistique dans un répertoire quelque peu délaissé. En 2018, alors que je dirigeais Don Quichotte (jeune public), il me confia la direction des deux dernières représentations d’Aïda suite à un souci de santé de notre Directrice Musicale. Appelé professionnellement ailleurs et malgré son planning serré, il prit le temps de m’appeler chaque fois avant et après le spectacle ainsi qu’à l’entracte pour savoir si tout se passait bien et si j’étais heureux. Je l’étais, mais triste de pas le savoir à mes côtés. Qu’à cela ne tienne, la Maestra Scappucci m’offrit quelques jours plus tard la direction d’une représentation de Madama Butterfly qu’il ne manquerait pas. A l’entracte, c’est d'une tape paternelle qu’il me renvoya dans la fosse, accompagné de son célèbre « Forza ! ». Si cela peut sembler anecdotique, ces moments sont pourtant importants et marquent la vie d’un jeune artiste. L’Opéra Royal de Wallonie est avant tout une grande famille avec, comme dans toute famille, des moments heureux et d’autres moins. Nous avons vécu la disparition d’artistes et d'autres membres de la maison. Pour Stefano Mazzonis, c’était chaque fois un bouleversement comme s’il perdait une partie de lui-même. Il aimait son Théâtre, il aimait les équipes qui fourmillent jour et nuit pour offrir le meilleur à nos spectateurs, il aimait le public, il aimait Liège et ses citoyens, il aimait la Belgique, il aimait sa cuisine et ses innombrables bières. Il était devenu un enfant du pays. Notre relation -beaucoup l’ont dit- se dessinait progressivement comme une relation père-fils. Il pouvait être dur, mais toujours à bon escient. Sa disparition est cruelle pour nous tous et pour le monde de la culture qui l’a vu œuvrer chaque jour pour son bon fonctionnement. La vie est faite de rencontres, parfois inattendues, avec des femmes et des hommes qui nous poussent dans nos derniers retranchements, qui nous guident, qui cherchent en nous la petite étincelle qui fera la différence. Stefano Mazzonis faisait partie de cette catégorie de personnes. Aujourd’hui, je travaille toujours à l’ORW. Que deviendra cette institution, menée par lui au sommet, sans l’un de ses grands architectes ? Il laisse un message que nous tâcherons de perpétuer chaque saison.

Stefano Mazzonis était un grand homme, une personnalité hors du commun, un être intelligent et cultivé. Je pense naturellement à sa famille et particulièrement à son épouse, Alexise Yerna à qui j’envoie toute mon amitié. Nous perdons l’un des meilleurs.

Ayrton Desimpelaere

  • Pierre Fontenelle 

C’est avec une immense tristesse que nous venons d’apprendre le décès de Stefano Mazzonis di Pralafera, Directeur Général et Artistique de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège,  À la tête de cette institution, il avait accompli un remarquable travail, ouvrant largement les portes de l’Opéra aux jeunes générations et réussissant à attirer les plus grandes voix dans la Cité Ardente. 

Mais ce dont on se souviendra par-dessus tout, ce sera de son éternel optimisme, véritable lumière dans cette période noire liée à la crise sanitaire. Sans jamais sombrer dans le défaitisme, il œuvrait sans relâche pour permettre à son institution de s’adapter à la crise COVID. Alors que tous les espoirs étaient au plus bas, son exemple inspirait tant. Avec Stefano Mazzonis (et si les normes gouvernementales le permettaient), chaque problème avait sa solution. Ainsi, en septembre dernier, l’ORW était un des premiers opéras européens à organiser des représentations avec public – sous la direction du phénoménal chef Frédéric Chaslin, La Bohème résonnait dans les murs, célébrant le bicentenaire de l’institution et ravissant notre public, fidèle comme toujours. 

Avec son enthousiasme, son humour et son indéniable charisme, il conquérait les cœurs de tous. Lors des enregistrements live, il s’assurait toujours de l’adhésion et de l’enthousiasme du public liégeois afin que ses applaudissements chaleureux soient retransmis à travers le monde (sous sa direction, l’Opéra a pu signer des partenariats privilégiés avec Mezzo TV et Culturebox). Ces mêmes qualités ont pu attirer les plus grandes voix – Angela Gheorghieu, Jonas Kaufmann, Anna Netrebko, Joyce Didonato, Léo Nucci… Tous ont accepté de fouler les planches du théâtre. Dans la fosse, il s’entourait autant de baguettes aguerries (Michel Plasson, Paolo Arrivabeni…) que de sang neuf promis à un avenir radieux tel que l’actuelle directrice musicale Speranza Scappucci, nommée en 2017. 

Grâce à la pléthore de productions pour jeunes publics que proposait son institution dont plusieurs créations (Ursule et Hirsute de Lionel Polis et Okilélé de Patrick Leterme), plus de 15,000 bambini de la région liégeoise découvraient le monde magique de l’opéra chaque année. La politique tarifaire hautement avantageuse a également permis à de nombreux adolescents de profiter de l’offre culturelle de l’Opéra – leurs témoignages touchants fleurissent sur les réseaux sociaux, preuve ultime que la vision de Mazzonis était juste. 

En tant que jeune violoncelliste engagé dans l’orchestre de l’ORW à 21 ans, je ne peux que saluer et remercier sa volonté de mettre en avant la jeune génération. Grâce à la confiance qu’il accordait aux talents prometteurs de notre plat pays, le public aura vu au fil des années éclore la carrière de chanteurs phénoménaux tels que Jodie Devos, Maxime Melnik et Kamil Ben Hsaïn Lachiri. 

Crescendo Magazine et son équipe rédactionnelle présentent leurs condoléances à sa famille et à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège.

Il nous manque déjà. 

Riposa in pace.

Pierre Fontenelle

  • Guido Jardon 

C'est avec stupeur et une immense tristesse que nous avons appris,  le décès inopiné de Monsieur Stefano Mazzonis di Pralafera, Directeur Général et Artistique de l'Opéra Royal de Wallonie.

Patron remarquable, personnalité visionnaire, c'est un homme au grand coeur et à l'écoute des jeunes qui nous quitte aujourd'hui... bien trop tôt... 

Au-delà de programmations spécifiques pour la jeunesse, c'est grâce à son attention et à sa passion pour les jeunes artistes que nous avons initié avec l'ORW depuis 2010 de grands et beaux projets pour le plus grand bénéfice de nos étudiants, chanteurs et instrumentistes.

Monsieur Mazzonis était un homme concret et efficace, aux décisions rapides. Loin des verbiages inutiles, nous avons pu mener en toute confiance avec l'ORW de superbes collaborations qui ont permis une approche bien trop rare de la découverte du monde lyrique, de la préparation et de l'insertion professionnelle de nos jeunes diplômés de l'IMEP qui écument aujourd'hui les scènes musicales internationales.

En mon nom personnel, au nom de toute notre équipe et de nos étudiants, je tiens à présenter à son épouse et à l'ensemble de sa famille nos condoléances les plus sincères.

Monsieur Mazzonis, Cher Stefano, tu nous manques déjà...

Guido Jardon, Directeur général de l’IMEP

Crédits photographiques : Opéra Royal de Wallonie-Liège 

 

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