Hommage au tango

par

José van Dam meets Carlos Gardel (1890-1935)
José van Dam (baryton-basse), Jean-Philippe Collard-Neven (piano), Jean-Louis Rassinfosse (contrebasse)
2014-DDD-58’41-Textes de présentation en français et anglais- Cyprès CYP 1671

Dans le livret qui accompagne cet enregistrement assez inattendu, le pianiste Jean-Philippe Collard-Neven, cheville ouvrière de ce projet hors du commun, explique comment il découvrit par hasard l’admiration que José van Dam portait à Gardel, et comment naquit l’idée de ce projet qui amènerait le grand baryton, aujourd’hui retraité des scènes d’opéra, à interpréter sur scène des tangos de Gardel et autres de ses contemporains, héros de la période d’or du tango argentin dans l’entre-deux-guerres.
La première chose qui surprend dans ce disque, c’est la partie instrumentale d’où est étonnamment absent l’instrument-emblème que l’on croirait indissociable du tango, le bandonéon auquel, après 1950, Astor Piazzolla sut redonner une inattendue jeunesse qui révéla cette musique à une nouvelle génération. Et on n’entendra pas davantage le violon, dont les plaintes accompagnent si bien la tristesse des paroles du tango. Ici, seuls le piano subtil et virtuose de Collard-Neven et la contrebasse de l’excellent Jean-Louis Rassinfosse assurent l’accompagnement du chanteur, créant un écrin magnifique mais qui relève plus d’un très subtil jazz de chambre que de l’atmosphère lourdement sensuelle qu’on imagine être celle d’un tango joué dans une salle de bal enfumée : on est bien ici au concert, et certainement pas dans une arrière-salle peut-être mal famée. Quant à José van Dam, c’est un trop grand musicien pour se contenter d’un banal crossover à la tentation duquel tant de ses confrères ont cédé (et rarement avec bonheur). Ce grand artiste aborde cet audacieux défi de se frotter à un genre nouveau pour lui avec le plus grand sérieux, comme il le ferait d’un récital de mélodies. A priori, la voix où maintenant les atteintes de l’âge se font quand même sentir, aurait pu obtenir d’intéressants résultats dans ce répertoire où les douloureuses peines d’amour et les blessures de la vie ne manquent pas. D’ailleurs, dans Lejana tierra mía de Gardel, morceau de coupe plus classique, le chanteur obtient des résultats assez convaincants. Et dans l’immortel Volver, de Gardel toujours, il paraît vraiment à l’aise. Mais c’est ici l’exception plus que la règle, car le sérieux et la noblesse de l’approche de van Dam semblent être aux antipodes de la sensualité et de la souplesse innée des véritables chanteurs de tango qui, comme les musiciens de jazz, font leur miel de micro-variations de tempo et de justesse qui semblent vraiment étrangers à l’entreprise indubitablement sincère mais pas toujours très réussie de l’illustre baryton qui, sans se risquer à une véritable diction argentine, manie un espagnol très correct mais semble incapable de faire oublier que ce à quoi il a consacré avec succès sa vie, c’est bien le chant classique. Au point qu’à certains moments, la prudence un peu raide du chanteur (et on peut comprendre qu’il se risque à ce défi avec quelques craintes) induit quelque chose de bizarrement solennel dans son approche et fait qu’Adiós muchachos de Filiberto fait assez curieusement penser aux Adieux du Wotan de la Walkyrie et qu’on se croirait à Bayreuth davantage qu’à Buenos Aires. Ce disque ravira certainement les nombreux admirateurs de José van Dam mais il risque de laisser assez perplexes les vrais aficionados du tango.
Patrice Lieberman

Son 10 - Livret 8 - Répertoire 8 - Interprétation: chant 7, accompagnement 9

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