Illia Ovcharenko, promesse d’une belle musicalité à la Salle Cortot
Invité régulier du Festival d’Auvers-sur-Oise, le jeune pianiste ukrainien Illia Ovcharenko a donné un récital prometteur à la Salle Cortot, à Paris, organisé conjointement avec l’association Pianissimes pour célébrer la sortie de son premier disque. À 23 ans, il se distingue par un jeu qui allie engagement et sensibilité, témoignant d’une rare capacité à restituer l’essence de chaque œuvre avec chaleur et sincérité. Son programme, composé d’œuvres de Sergueï Bortkiewicz (1877-1952), Borys Liatochynsky (1895-1968) et Régis Campo, reflète son désir de faire découvrir un patrimoine musical méconnu tout en affirmant sa curiosité pour la création contemporaine.
Né à Tchernihiv, en Ukraine, Illia Ovcharenko a fait ses débuts en concerto à l’âge de 12 ans à la Philharmonie nationale d’Ukraine. Élève d’Arie Vardi, il s’est distingué en remportant de nombreux prix prestigieux, dont le 1er prix au Concours international de New York et un prix au Concours de piano Busoni. Il mène déjà une carrière internationale, se produisant avec des orchestres tels que les Orchestres symphoniques de La Monnaie, de Jérusalem, de Toronto, de Haïfa, ainsi qu’avec l’Orchestre national d’Île-de-France. On a également pu l’entendre dans des festivals et salles renommés comme le Menuhin Gstaad Festival, le Festival international de Dresde, ou encore le Carnegie Hall.
Dans ce récital, Illia Ovcharenko a pleinement révélé la richesse de son talent, alternant entre un lyrisme berçant et une puissance saisissante. La première œuvre au programme, Litanei auf das Fest Aller Seelen (Litanie pour la fête de tous les saints) extraite de Geistliche Lieder de Schubert et transcrite par Liszt, illustre bien sa sensibilité musicale. Dépourvue de ses paroles qui en faisaient une prière pour les défunts, la pièce devient, entre ses mains, une méditation céleste dont la mélodie est mise en valeur avec une sonorité épurée.
Cinq pièces suivantes sont du compositeur russo-autrichien d’origine polonaise Sergueï Bortkiewicz. Son style s’inscrit résolument dans la tradition romantique, rappelant fortement Mendelssohn (Lied ohne Worte), Schumann (Étude) et Chopin (Étude, Nocturne op. 24 n°1 « Diana », Étude op. 29 n°3 « Appassionato », Prélude op. 6 n°1). Illia Ovcharenko accorde une attention minutieuse à chaque détail, rendant le discours musical limpide.
Dans les Cinq Préludes op. 44 de Borys Liatochynsky, composés en 1943 dans un style post-romantique, il fait résonner le piano de manière assez directe, d’un son parfois massif et extrêmement sonore, pourtant sans être dépourvu de délicatesse et de subtilité. Le caractère de chaque pièce, fort distinct des autres, prend vie sous ses doigts, offrant un fascinant éventail de peintures sonores. Il évoque ainsi des couleurs et des formes presque plastiques de ces pièces : Lugubre grave et profond, Lento dépouillé rappelant l’austérité de Satie, Allegro où le chaos semble étrangement maîtrisé, Andante empreint de mysticisme, et enfin, Impetuoso mêlant espièglerie et solennité.
Dans la Sonate n°6 de Prokofiev, Illia Ovcharenko continue d’impressionner avec un jeu massif et puissant, enrichi par un caractère pulsatif à couper le souffle. L’acuité de ses attaques s’accorde parfaitement avec l’œuvre, et une force narrative vient exalter son expressivité kaléidoscopique. Il sublime la poésie envoûtante innée du troisième mouvement par un chant presque romantique qui semble contrebalancer le caractère belliqueux prédominant de la pièce, fidèle au surnom de « Sonate de guerre ».
Comme de nombreux jeunes artistes, il ne possède peut-être pas encore une maîtrise complète de l’adaptation de son jeu en fonction de la taille et des spécificités acoustiques des lieux. Son interprétation semble ainsi plus adaptée à une grande salle de concert de plus de 1500 places qu’à une salle intimiste comme la Salle Cortot, notamment en ce qui concerne le volume sonore. Pourtant, grâce à une réflexion murie des plans sonores, la musique ne se noie jamais dans l’exubérance du volume, malgré une puissance parfois surdimensionnée pour l’architecture d’Auguste Perret. C’est là que réside l’intelligence de ce jeune musicien : sa capacité à maintenir une clarté musicale, quelle que soit la situation.
Le récital s’achève avec deux pièces de Régis Campo : Starry Night « Hommage à Van Gogh », d’une sérénité méditative, et Toccata simpatica « Hommage à l’Ukraine », construite sur un rythme obstiné et énergique. Ces œuvres semblent résumer et condenser l’interprétation d’Illia Ovcharenko : un subtil mélange de poésie et de vigueur.
Deux bis, dont la Polonaise héroïque de Chopin, enflamment l’auditoire désormais totalement conquis, concluant ainsi une soirée intense.
Concert du 18 décembre 2024, Salle Cortot à Paris
Victoria Okada
Crédit photographique © Hilton Head Competition