In memoriam Leon Fleisher 

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C’est un artiste exceptionnel qui nous a quittés ce 2 août à Baltimore.

Né en 1928 à San Francisco dans une famille d’émigrés juifs d’Europe de l’Est (son père était originaire d’Odessa et sa mère de Pologne), Leon Fleisher reçut ses premières leçons de piano à l’âge de 4 an. Par l’entremise de Pierre Monteux, il fut présenté à Artur Schnabel qui, impressionné par le talent du garçon, accepta -en dépit de ce qu’il refusait par principe d’enseigner à des enfants- de le prendre pour élève en 1938 alors que Leon n’avait que 9 ans. Le grand pianiste exigea en revanche que l’enfant ne se produise pas en concert. Même si Fleisher resta son élève jusqu’en 1948, Schnabel autorisa quelques exceptions à cette règle et c’est ainsi que le jeune virtuose put se produire sous la baguette de Monteux en 1942 dans le Deuxième Concerto de Liszt et en 1944 dans le Premier de Brahms qui deviendrait l’un de ses chevaux de bataille.

Après un beau début de carrière, Fleisher, se voyant proposer moins d’engagements aux Etats-Unis, décida de s’établir en Europe en 1950 et y resta jusqu’en 1958, d’abord aux Pays-Bas puis en Italie. C’est donc un pianiste expatrié qui remporta en 1952 le Concours Reine Elisabeth, jouant en finale le Premier Concerto de Brahms. Il fera par la suite partie du jury à cinq reprises, la dernière en 1999.

Son triomphe bruxellois ne fut pas sans écho dans son pays natal, où il entama dès 1954 une collaboration avec le chef George Szell et l’orchestre de Cleveland qui allait déboucher quelques années plus tard sur d’inoubliables intégrales des concertos de Beethoven et de Brahms.

L’artiste semblait promis à la plus belle des carrières quand, entre 1963 et 1965, il perdit peu à peu l’usage de sa main droite en raison d’une dystonie focale, un problème neurologique qu’il attribua lui-même à un régime d’étude et d’exercices excessif. Après avoir dans un premier temps renoncé à se produire en public, Fleisher décida de se consacrer dorénavant au répertoire solo pour la main gauche, dont les concertos de Ravel et Prokofiev et les Diversions de Britten qu’il enregistra avec Seiji Ozawa et l’Orchestre Symphonique de Boston. Il s’essaya également avec réussite à la direction d’orchestre.

Après avoir tenté toutes sortes de traitements, Fleisher recouvra peu à peu sa maîtrise de la main droite à partir du début des années 1990 grâce à une combinaison de Rolfing (une technique de thérapie manuelle) et d’injections de botox, si bien qu’il put à nouveau jouer à deux mains dès 1995.

Leon Fleisher fut également un pédagogue justement renommé et enseigna durant des décennies à l’Institut Peabody à Baltimore, où il où il forma de très nombreux élèves dont André Watts et Lorin Hollander, ainsi que notre compatriote Sylvia Traey, subtile musicienne et finaliste du Concours Reine Elisabeth en 1978. Un autre pianiste belge, le flamboyant Robert Groslot, suivit quant à lui des cours de perfectionnement avec auprès du maître américain.

Comme le montrent ses enregistrements (en particulier ceux de la période qui précéda sa maladie), Fleisher était un pianiste et un musicien hors du commun. Ses interprétations étaient marquées par une irréprochable rigueur intellectuelle (qui devait certainement beaucoup à l’enseignement de Schnabel) dépourvue cependant de toute sécheresse, un son  splendide véritablement buriné, une vitalité conquérante, un goût parfait et une grâce sans afféterie. Les témoignages que le disque nous a légués de son art permettront à ceux qui n’ont pas eu la chance de l’entendre sur scène d’apprécier un interprète exceptionnel.

Patrice Lieberman

Crédits photographiques : Leon Fleisher en 1963 / DR

 

 

 

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