Inoubliable Lisa Della Casa !

par

Christophe Capacci, Lisa Della Casa. Evocation. Paris, L’Avant-Scène Opéra, Editions Premières Loges, 2019. 32 Euros www.asopera.fr

Le 2 février dernier, Lisa Della Casa aurait eu… cent ans. A cette occasion, l’Avant-Scène Opéra a décidé de lui consacrer, non pas une simple revue, mais un livre de près de deux cents pages, illustré de photos souvent rares, rédigé par Christophe Capacci qui a eu la chance de rencontrer deux fois l’artiste entre août 1990 et l’hiver 1991. Je dis bien la chance, car depuis sa fin de carrière durant l’automne de 1973, elle vivait volontairement recluse du monde lyrique dans son château de Gottlieben sur les bords du Seerhein en compagnie de son époux, Dragan Debeljevic et de leur fille, Vesna. Toute demande d’interview était systématiquement refusée par quelques phrases de politesse ; et combien de fois a-t-on tenté de l’approcher avec un micro de radio, mais sans succès.

Il est vrai que le mari avait élaboré lui-même une première biographie intitulée Ein Leben mit Lisa Della Casa, publiée par Atlantis Verlag à Zürich en 1975, remaniée en 1990 ; et c’est lui qui a donné son blanc-seing à Christophe Capacci en l’autorisant à utiliser tous les éléments dont il avait besoin.

Aujourd’hui, le nom de Lisa Della Casa est d’abord associé à un rôle, Arabella, qu’elle incarna plus de cent-cinquante fois avec un naturel confondant. Parlant des ouvrages de Richard Strauss, elle déclarait : « Je me suis toujours demandé comment les publics qui ne comprennent pas l’allemand pouvaient être tenus en haleine une soirée entière par ces opéras de mots, par les raffinements de la langue ou les expressions de dialecte viennois. A vrai dire, je n’ai jamais vraiment chanté pour le public. C’est pourquoi beaucoup m’ont crue froide, arrogante et distante » (cf. p.25). Et cette prise de position résume toute la carrière. Cette œuvre s’inscrira à son répertoire à Zürich en début d’année 1946, lorsqu’elle campera le second rôle, Zdenka, face à l’Arabella de Maria Cebotari, ce qui suscitera la réaction du compositeur, présent aux dernières répétitions et à la première : « Die Kleine wird eines Tages ‘die’ Arabella sein ! » (La petite sera un jour l’Arabella par excellence) ; et ceci adviendra sur la même scène durant l’automne de 1950. Ce personnage emblématique l’imposera à Vienne, Munich, Londres, New York et Salzbourg.

A grands traits, Christophe Capacci évoque la naissance, à Burgdorf près de Berne, d’une fille d’une mère bavaroise et d’un père tessinois, ophtalmologue fou de théâtre, produisant en plein air Le Camp de Wallenstein de Schiller devant 15.000 spectateurs. A huit ans, Lisa voit au Stadttheater de Berne une Salome avec Else Schulz, ce qui l’incitera à trouver un professeur, Margarethe Haeser, qui lui inculquera que le chant est une respiration qui résonne. Après huit ans d’études, auront lieu, à vingt-deux ans, les débuts au Théâtre de Soleure en Butterfly, puis à l’automne de 1943, l’engagement au Stadttheater de Zürich où elle rencontrera l’homme de sa vie, Dragan Debeljevic, un mariage en 1949 et la naissance de leur fille, l’année suivante. Puis suivront les levers de rideau au Festival de Salzbourg avec Zdenka en août 1947, à la Volksoper de Vienne et, deux mois plus tard, avec Nedda d’ I Pagliacci.

Puis l’auteur condense la carrière en évoquant les grands rôles dans les ouvrages de Richard Strauss, Mozart et Wagner ; et parfois, l’on se perd un peu dans les nombreuses références aux devancières, alors qu’une chronologie complète en fin d’ouvrage aurait paru plus judicieuse. Mais vaut son pesant d’or le chapitre IX intitulé ‘Vienne, ville de la médisance, Salzbourg, festival de l’ingratitude’ ; car son extrême générosité le fait passer rapidement sur un fait capital : l’ouverture du Grosses Festspielhaus d’août 1960 avec un Rosenkavalier dirigé par Karajan où Lisa est la Maréchale pour cinq soirs, alors que, le 6 août, le rôle est tenu par sa rivale, Elisabeth Schwarzkopf, le soir où le spectacle est filmé par Paul Czinner, le mari de la dame, Walter Legge, ayant secrètement négocié le contrat avec la production. Ulcérée, Lisa coupera les ponts avec Salzbourg qui tentera de faire amende honorable en proposant nombres d’offres ultérieures, toutes refusées dédaigneusement.

Tout aussi intéressants, les deux chapitres suivants consacrés à la carrière américaine avec quinze saisons au Met (de 1953 à 1967) et des représentations à San Francisco, Los Angeles et Chicago, ainsi qu’au domaine du lied, anecdotique dans une trajectoire essentiellement vouée au théâtre.

Peut-être est-ce par délicatesse respectueuse que l’auteur n’évoque que rapidement un triste événement survenu en 1970 : Vesna, victime d’une rupture d’anévrisme à l’âge de vingt ans, la laissant plusieurs jours entre la vie et la mort, puis une délicate opération suivie d’une hémiplégie irrémédiable. Mais selon ce que m’affirma Inge Borkh, une amie très proche de Lisa, ceci accéléra la fin de carrière avec une dernière Arabella à la Staatsoper de Vienne le 25 octobre 1973. A quatre-vingts ans, l’artiste sera frappée par une encéphalite qui lui fait perdre la mémoire qu’elle retrouvera partiellement pour un documentaire, Liebe einer Diva, dont la publication en DVD sera obturée par le coût des images d’archives. Et elle s’éteindra le 10 décembre 2012 à l’âge de nonante-trois ans, laissant à jamais le souvenir d’une Arabella inégalable et surtout inégalée.

En conclusion, il faut acquérir à tout prix ce seul ouvrage en français qui lui est consacré !

Paul-André Demierre

 

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