Intimité de claviers et de violon au Festival de Saintes

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La 48e édition du Festival de Saintes s’est tenue du 13 au 20 juillet, avec une programmation qui garde toujours son identité initiale : La Mecque de musique ancienne. En effet, à ses débuts, dans les années 1970, le Festival a accueilli des chefs de file du mouvement baroque alors encore balbutiant, comme Jordi Saval, William Christie ou encore Philippe Herreweghe. Celui-ci en est devenu le directeur artistique en 1993 et a élargi le répertoire aux musiques classique et romantique. Aujourd’hui, tous les styles et genres sont à l’affiche, de la musique médiévale jusqu’au jazz et aux musiques du monde. Du 17 au 19 juillet, nous avons assisté à trois récitals intimes et envoûtants, par le pianiste Adam Laloum, par les deux clavecinistes Pierre Gallon et Yoann Moulin, et enfin, par le duo violon/piano constitué de Geneviève Laurenceau et David Bismuth.

Piano romantique germanique par Adam Laloum

Adam Laloum a offert le 17 juillet à 19 heures 30 un programme romantique germanique hautement lyrique, en commençant par la Sonate n° 28 en la majeur op. 101 de Beethoven. Le beau thème principal du premier mouvement dessiné avec une sonorité pure est avenant, comme si la Muse avait été convoquée par ses doigts. Il fait merveilleusement chanter le clavier et cette qualité incontestable du pianiste sera l’un des fils conducteurs de la soirée. Ainsi, de son interprétation de l’« Adagio ma non troppo, con affetto » de la même sonate et du « Rondo » final de la Sonate D 959 de Schubert se dégage une atmosphère de quiétude même si le 3e mouvement de Beethoven est teinté de mélancolie nostalgique. Saisissant est le contraste entre ce bonheur serein et l’exultation exprimée par les parties animées aussi bien dans Beethoven que dans Schubert. Pour la partie médiane en mineur du « Rondo » de Schubert, Laloum met si magnifiquement en avant le sentiment de l’angoisse que l’effet dramatique en est d’autant plus accentué, permettant aux auditeurs de voyager dans l’univers intime du compositeur. Pour parfaire cet effet, le 2e mouvement « Vivace à la marcia » de Beethoven et le Scherzo de Schubert sont marqués d'une grande vigueur, terre à terre pour le premier, aérienne pour le second.

Entre ces deux sonates, Adam Laloum introduit beaucoup de fantaisie avec les Humoresques de Schumann. Le changement d’humeur d’une pièce à l’autre, sans la moindre rupture, est réalisé avec naturel. Mais derrière cet air de « rien », on imagine quelle lecture approfondie de la partition était nécessaire ! Le pianiste propose de replonger en bis dans le monde schubertien, avec le mouvement lent de la Sonate en la majeur D 664 op. 120 et le 2e Moment musical. Avec toujours plus de sérénité.

For two to play : un répertoire anglais du clavier autour de 1600

Si les pièces pour deux pianos ou pour piano à quatre mains sont fréquentes dans le répertoire du clavier, la même configuration pour les clavecins est beaucoup plus rare. L’association de différents claviers, clavecin, virginal, clavicorde ou orgue, semblait être pratiquée couramment. Toujours est-il que les instruments de factures continentales -notamment italiennes et flamandes- étaient nombreux dans les palais des îles britanniques où on se faisait plaisir à jouer seuls mais aussi à deux. Cette pratique était certainement répandue dans la sphère privée et intime, mais peu de traces écrites sont parvenues jusqu’à nous. Le vendredi 19 juillet à 12 heures 30, les clavecinistes Yoann Moulin et Pierre Gallon ont tenté d’imaginer les musiques qui étaient ainsi jouées à l’époque. William Bird, John Bull, Thomas Tomkins, Orlando Gibbons, tous excellents claviéristes, et John Dowland connu aujourd’hui pour ses songs, mais aussi Anthony Holborne, John Coperario, Peter Philips et Nicholas Carlston figurent dans le programme. Les deux clavecinistes commencent et terminent leur concert à quatre mains ; au début sur une copie de Ruckers (milieu du 17e siècle), pour A Fancy de Tomkins, et à la fin sur une copie de l’instrument italien de la fin du même siècle, pour A Verse de Carlston.

Réalisés par Philippe Humeau, les deux clavecins ont des caractéristiques fort différentes. L’un est net et clair, l’autre riche et ample. Yoann Moulin et Pierre Gallon déploient leurs imaginations pour développer au maximum le caractère de chaque pièce. Ainsi, My Lady Nevell’s Ground interprété en solo par Pierre Gallon donne l’impression de faire sonner plusieurs claviers, et une improvisation à deux sur Gray’s Inn de Coperario est un véritable kaléidoscope sonore. English Toy de Bull évoque les premiers automates avec ces notes mécaniques mais teintées de tendresse et d'émerveillement devant une telle machinerie où la simplicité de l’interprétation fait joie. Dans The Battle de Byrd, un homme en haut-de-forme et en queue-de-pie plein de fantaisie anglaise annonce le titre de chaque pièce qui décrit musicalement le déroulement d’une bataille depuis « La Marche avant la bataille » jusqu’à « La Victoire », en passant par « La Convocation des soldats », « La Marche des fantassins », « La Marche des Irlandais » ou encore « La Retraite ». L’excellence et l’exigence des musiciens ont rendu ce concert à la fois amusant et réfléchi, et les murs de l’abbatiale ont probablement participé à créer cet enchantement !

De Paris à Grenade, la musique d'inspiration espagnole autour de 1900

Changement d’ambiance pour le 19 juillet à l’heure de déjeuner. Avec les œuvres de Manuel de Falla, Enrique Granados et Camille Saint-Saëns, le duo Geneviève Laurenceau et David Bismuth livre le secret de la mode espagnole dans des salons parisiens (même si le programme ne le précise pas !) De véritables cartes postales musicales, la Suite populaire espagnole de Falla et la 5e Danse espagnole de Granados (transcription de F. Kreisler) nous mènent dans la chaleur ibérique. Si le violon suggère l’ardeur et la sensualité grâce à la sonorité tout aussi chaude que ces mélodies et harmonies, il ne quitte jamais l’élégance ; le son s’élance sous la nef comme pour s’envoler librement dans les airs puis envelopper tout l’espace dans sa résonance généreuse. Le piano est son complice heureux, les deux instruments établissent un vrai dialogue. Les musiciens allient ensuite la rigueur rythmique et le pittoresque dans La Danse macabre de Saint-Saëns (une adaptation d’une mélodie, tout comme la Suite espagnole). En solo, David Bismuth brille dans l’Allegro appassionato, une œuvre de bravoure à la fois chopinienne et lisztienne. La partition a une allure d’étude (elle a été écrite pour le concours d’entrée au Conservatoire) voire d’exercice digital, à tel point que la musicalité de l’interprète est mise à rude épreuve. Notre pianiste y déploie sa virtuosité rassurante au service d’une expression frénétique. Pour terminer, ils jouent à nouveau ensemble la Sonate pour violon et piano n° 1 op. 75. Les oppositions entre « Allegro agitato » / « Adagio » et « Allegretto moderato » / « Allegro molto » sont éclatantes grâce à leur parfaite entente. La dynamique et l’agogique sont murement élaborés jusqu’à devenir parfaitement naturelles, rendant leur interprétation absolument éblouissante.

Crédits photographiques : Léa Parvéry

Victoria Okada

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